Dans un premier roman en forme de déclaration d’amour à la ville de Marseille, Hadrien Bels empreinte à la tradition du film noir la gouaille, le goût pour la castagne, les formules bien envoyées. Une entrée en littérature en forme d’uppercut.
Stress, l’anti-héros de ce premier roman a quelque chose de Vernon Subutex. Attachant, agaçant parfois, emblématique de son époque. Il grandit dans le quartier du Panier, fait des virées à la plage, explore les méandres et les tréfonds de la nuit marseillaise.
Stress évolue dans le milieu arty aussi, ce petit monde de l’art qui fait l’objet d’un véritable culte très souvent immérité. Et, comme Vernon, reste en marge. Trop occupé à vivre. À observer les caractères, les petits défauts, ces héroïsmes dérisoires qui fusent autour de lui comme des éclairs dans un ciel d’août. Incapable d’embrasser pleinement les codes et faux-semblants de la faune et de la flore du petit peuple des créateurs.
Ce premier roman plein de verve a la fougue et l’impertinence de la jeunesse. Avec un sens aiguisé de la satire, Hadrien Bels joue des détails kitsch, des tics de ce milieu de l’art subventionné. On croise ainsi « Michel Renard, artiste contemporain au visage d’entre-deux-guerres qui quémande un film d’auto-promo qui prendrait la forme d’une « soirée de débauche et d’auto-destruction. Il attendait des aides. Les artistes passent leur vie en salle d’attente ».
Le regard ce looser au cœur tendre et à la dent dure est trop acerbe pour se couler dans le moule. Son sens de la critique et de l’ à-propos trop aiguisé.
Le jeune romancier dissèque les us et coutumes des Marseillais auto-proclamés installés, hypsters à la barbe bien taillée, opportunément recyclés dans un Panier rénové. Il s’invite dans les appartements à tommettes et poutres apparentes modelés par le home design avec ses décors taupe- blanc crème courus sur Air B&B. « Ces dernières années, les programmations électro-art-contemporain-fooding se sont imposées dans le paysage culturel de la ville ». Joli poncif tiré de la novlangue administrative.
Stress, c’est le surnom de ce jeune cameraman « de mariages arabes », aspirant réalisateur incapable se réaliser pleinement. Dans ce premier roman haut en couleurs, saturé d’images pop, Hadrien Bels rend hommage à sa ville avec brio. Marseille, c’est à travers l’épopée et les mésaventures d’une bande de « potes » d’enfance que le primo-romancier nous la fait vivre et sentir. Vibrer par tous les pores.
« Cinq dans tes yeux » n’épargne pas non plus les codes d’appartenance et les signes de ralliement des petites frappes dont le bassin méditerranéen a le secret. Celui qui « s’en est mis trop dans le nez » prend aisément « une tête de requin-marteau ». Quant au dit « Pichon », il se trimballe « une bouche de poisson-pilote » dans le sillage d’un plus gros poisson.
Mais bagarres, bravades et coup de poings ne font que masquer le tristesses et les larmes rentrées, les peurs et les échecs. « Dans [la] sacoche Longchamp [de son copain Djamel], c’était le communisme : carte d’identité, carte Vitale, carte de bus gratuite obtenue grâce à sa pugnacité administrative, et un paquet de Marlboro presque plein ».
C’est toute la force du personnage de Stress que de ne pas dissimuler ses failles, ses faiblesses et ses petites lâchetés. « Je m’agitais toujours à rendre l’eau, autour de moi, encore plus trouble ». Pas assez armé – et guère motivé non plus - pour se faire une place au soleil dans cette petite-bourgeoisie « mal rasée, bien habillée », le jeune boxeur. Trop remuant, vite lassé des conformismes, il épouse le destin de rebelle à plein temps. Autre forme de conformisme non moins répandue.
« Je m’étais lentement laissé dériver vers la petite délinquance. Et je m’y sentais bien ».
Avec les années, les fils de l’amitié, insensiblement, se délitent. Comme les histoires de cœur du jeune Stress, qui l’est de moins en moins. « Ma mère disait souvent que je jouais au dur mais que j’avais un cœur d’artichaut. Elle avait raison. Ce soir-là, au Montréal, j’ai perdu toutes mes feuilles ». Restent les souvenirs enserrés dans ce tombeau des amitiés adolescentes et des amours de jeunesse.
Son histoire d’amour avec Marseille, elle, ne prend pas une ride. Au contraire, elle ne fait que s’intensifier avec le temps. Anthropomorphisée à l’excès – à l’image de la place de Lenche, « maquillée comme une fille qui se trémousse devant un mafieux dans un bar à entraîneuses de l’opéra » -, la ville bien-aimée est la véritable héroïne de ce roman avec cocaïne (et joints). Elle donne sa forme et son force à ce premier roman initiatique.
C’est vrai, quelle autre métropole dégage autant « nos odeurs de crasse et nos instincts animaux », et serait capable, en fin de soirée, de vous « ouvrir ses bras de vieille Méditerranéenne qui arrête pas de dire, « Comme tu es beau mon fils » » ?
>Cinq dans tes yeux, d’Hadrien Bels. L’Iconoclaste. 296 pages, 18 euros.
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