Chronique d'Agnès Séverin

Dermot Bolger : son hommage à Eva Fitzgerald, pionnière des combats pour la liberté

Avec Une arche de lumière, l’écrivain irlandais Dermot Bolger livre la suite de Toute la famille sur la jetée du paradis , déjà consacré à la figure engagée d’Eva Fitzgerald. Pionnière des combats d’aujourd’hui, mère courage et… artiste manquée qui construit son parcours sur ses échecs. Preuve que le rêve, l’ouverture aux autres – et la méditation ? – mènent à tout. Eva Fitzgerald, role model que l’on n’oublie pas.

« On vit de ce que l’on obtient. On construit sa vie sur ce que l’on donne ». La maxime de Winston Churchill semble taillée sur mesure pour l’héroïne d’Une arche de lumière. Eva Fitzgerald - qui encouragea le jeune Dermot Bolger dans sa vocation d’écrivain - est une héroïne d’aujourd’hui. C’est une figure d’engagement en avance sur son temps.

Une héroïne d'aujourd'hui

Certes être vegan, lutter contre le racisme, protéger les animaux ou s’inspirer des spiritualités orientales était déjà bien vu de la jeunesse dans les années soixante. Mais dix ans plus tôt, lorsqu’Eva Fitzgerald s’affranchit d’un mari paresseux, personnage fruste, alcoolique, chasseur et ancien militaire (pas très au goût du jour, tout ça) son désir d’émancipation suppose plus de sacrifices. Eva peut en effet le quitter mais pas divorcer.

Eva Fitzgerald, role model

Dans une Irlande corsetée de religion, le « qu’en dira-t-on » ne s’apaise que grâce à ses origines sociales. Mais une précarité crasse sera le prix à payer de ce désir d’épanouissement. La condition pour réaliser enfin son rêve d’enseigner l’art aux enfants. Freddy (le mari infréquentable) n’était pas du genre à favoriser la « confiance en soi » de sa moitié.

«Elle en était venue à comprendre qu’elle ne possédait aucun don ou talent particulier, si ce n’était ce sens de l’empathie enraciné en elle (...).»

Femme engagée, professeur d’arts plastiques adepte des valeurs de partage et de la liberté d’esprit, Eva [Sheila pour l’état civil] Fiztgerald construit ainsi son parcours sur ses échecs – elle fait même preuve d’un certain talent en la matière. Qu’importe, elle affirme et assume sa différence. Tant de constance force le respect. « Elle en était venue à comprendre qu’elle ne possédait aucun don ou talent particulier, si ce n’était ce sens de l’empathie enraciné en elle au point d’être parfois un fardeau. »La lucidité n’est pas la moindre de ses forces.
« Elle voulait empêcher ce que Wordsworth appelait « les ombres punitives » de faire taire leur esprit, les libérer en leur permettant de croire que tout était possible. »

Modèle de développement personnel Eva Fitzgerald ? Role model, surtout. Son destin est un rappel à l’ordre de chaque instant pour qui serait tenté de s’écouter. Une lumière bien utile face aux difficultés de l’existence, qui comparativement à ses deuils en cascade, paraissent bien douces… « Avec une feuille blanche, tout est possible », la maxime qui surplombe son atelier est tout aussi criant d’actualité que tous les autres principes qu’Eva vit jusqu’au bout. Jusqu’à la lie. Sa capacité à repartir de l’avant est un moteur de la narration – qui pourrait sinon s’alanguir, malgré un détour du côté du roman d’espionnage. C’est surtout la source du rayonnement et de la postérité de l’étonnante Eva. Modèle de résilience, sans aucun doute !

Une quête hors norme de beauté, d’amour et de tolérance

Chacune des épreuves – et non des moindres - que le destin place sur le chemin d’Eva est l’occasion pour cette âme d’artiste de se montrer plus généreuse et ouverte aux autres. Fidèle à sa quête de beauté, d’amour et de tolérance.
Sur ce chemin difficile, l’imagination est sans doute son meilleur guide.
« Elle aimait à penser avec Cižek que les enfants dessinaient ce qu’ils pensaient et non ce qu’ils voyaient, que le réalisme ne leur était pas naturel et que tout enseignant ayant un rebelle dans sa classe était béni. Elle adorait l’histoire de cette jeune Autrichienne qui, après avoir peint un éléphant en violet, avait expliqué à Herr Cižek [auquel le Dr Wilhelm Viola, de la Royal Drawing Society, qui soutint Eva Fitzgerald, rend hommage dans son ouvrage L’Art des enfants et Franz Cižek ] que le gris était une couleur trop lugubre pour un animal si exotique (…). »

Un nomadisme et une bohème d’avant-garde

Son fils est homosexuel, un peu trop sensible. À cette époque bardée de principes, pudibonde et
conformiste - surtout en Irlande -, le soutenir est un combat de chaque instant. Sa fille, plus
pragmatique, souvent cynique, s’abîme dans les mirages de la vie coloniale. La solitude est
dorénavant le lot d’Eva. Le nomadisme, les rencontres et la méditation lui offrent une planche de
salut. L’indépendance d’esprit aussi.
Elle porte sur le trajet de ses frères communistes un regard critique pour le moins rare à l’époque.
« (…) certes les choses restaient souvent pour elle relativement floues, pourtant elle avait une
certitude, l’histoire et la politique ne s’écrivaient pas en noir et blanc. Ce n’était pas une guerre civile
qu’il y avait eue, mais une dizaine, simultanément embrasées comme une série de matriochkas en feu,
et Brendan s’était retrouvé piégé en leur sein comme la plus petite des figurines au cœur de toutes les
autres. Le peu qu’elle savait de Staline l’horrifiait et, à son avis, le seul intérêt que ce dernier pouvait
avoir à eu à aider le gouvernement espagnol était de s’approprier les réserves d’or nationales
». Le
destin de ses deux frères, à eux aussi, sera tragique. Les Russes n’ont jamais été des tendres.
« Alors que l’Irlande se préoccupait de son indépendance, Eva s’inquiétait de trouver une philosophie
qui lui corresponde, testait et savourait tout service religieux accessible, tandis que son intuition lui
disait toujours d’avancer et de ne pas prendre chaque étape pour un sommet
». La quête de liberté
n’a jamais été un chemin semé de roses.

Des choix de vie qui résonnent comme autant de mantras

Eva Fitzgerald était déjà l’héroïne d’un précédent roman de l’écrivain irlandais Dermot Bolger.
 Toute la famille sur la jetée du Paradis, qui a contribué à la renommée de l’auteur, est consacré à
l’enfance et à la jeunesse de ce personnage au grand cœur. Ce second roman biographique porte sur
la période de la maturité, de la vieillesse, jusqu’à la mort d’Eva Fitzgerald. Un opus « plus paisible et
solitaire
», de l’aveu même de l’auteur. Qui voit en Sheila-Eva : « Un esprit bohème et alternatif qui se
serait démarqué à toutes les époques
», estime Dermot Bolger, autant biographe que romancier.
Ses choix de vie résonnent comme autant de mantras. « (…) j’ai compris ce que toi et moi nous
devons faire de nos vies : éclaircir autour de nous un espace suffisant pour pouvoir respirer et
simplement vivre notre vie, en restant nous-mêmes
», lui écrit son fils Francis. Car la véritable héroïne
de ce treizième roman est la liberté.
Une valeur que notre époque n’a pas fini de célébrer – sans pour autant se donner les moyens de
la défendre. Tant il est vrai que la tendance n’est pas au sacrifice, surtout pas de son petit confort. La
cohérence des actes et des convictions, voilà ce qui rend inoubliable le parcours d’Eva Fitzgerald ainsi
conté avec ferveur. Dévotion ?

«Joie ; oui si nous avons le courage d’en vouloir !»

Dans son journal intime Eva note les mots du poète et philosophe Sri Aurobindo : « Joie ; oui si nous
avons le courage d’en vouloir ! Les lauriers plutôt que la croix devraient être le but de notre âme
conquérante… mais les humains ont un faible pour la souffrance… et le Christ reste cloué en croix
».
Le second tome de la vie d’Eva Fitzgerald est le récit d’une renaissance. Un art de la joie. Difficile de
résister à une telle philosophie de vie !
>Une arche de lumière, de Dermot Bolger. Traduit de l’anglais (Irlande) par Marie-Hélène Dumas. Joëlle Losfeld Editions, 458 pages, 23 euros.>> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien

0
 

En ce moment

Foire du Livre de Brive 2024 : une 42e édition qui a battu tous les records

La 42e édition de la Foire du livre de Brive vient de se terminer.

Julia Deck lauréate du prix Médicis pour « Ann d'Angleterre »

Le prix Médicis 2024 a été attribué, mercredi 6 novembre, à la romancière 

Les 8, 9 et 10 novembre 2024, la Foire du Livre de Brive se déroulera sous la présidence de Jérôme Garcin

Légende photo : Jérôme Garcin, Hervé Le Tellier, Rachida Brakni, Marthe Keller,  Gaël Faye, Kamel Daoud, Rebecca Dautremer, Emmanuel Lepag

Du 5 au 22 novembre 2024 : le mois du Film documentaire sur le thème « Petite planète » en Territoire de Belfort

Avec la saison automnale, le Mois du film documentaire du Territoire de Belfort est l’occasion de se réchauffer tout en explorant une grande divers

Le TOP des articles

& aussi