« Marcel Proust: Une vie de lettres et d'images »

Pedro Corrêa do Lago: « J'ai voulu montrer les différentes facettes de la vie de Marcel Proust avec des documents inédits »

Pedro Corrêa do Lago, qui est le plus grand collectionneur privé de manuscrits et autographes au monde, vient de remporter le prix Céleste Albaret pour son remarquable ouvrage : Marcel Proust: Une vie de lettres et d'images (Gallimard). Un livre qui se lit autant qu'il se regarde et qui nous fait entrer dans l'intimité du grand écrivain. Nous rencontrons ce passionné de culture française à l'Hôtel Swann, lieu où se passait la remise du prix. Une interview proustienne, comme il se doit.

Pedro Correa do Lago photographié à l'Hôtel Swann lors de la remise du prix Céleste Albaret pour son livre :  "Marcel Proust: Une vie de lettres et d'images" © Olivia Phelip Pedro Correa do Lago photographié à l'Hôtel Swann lors de la remise du prix Céleste Albaret pour son livre : "Marcel Proust: Une vie de lettres et d'images" © Olivia Phelip

Pedro Corrêa do Lago a réuni la plus grande collection privée de lettres et de manuscrits autographes au monde. Parmi laquelle, l'une des plus importantes consacrée à Marcel Proust, son écrivain fétiche. Cet historien d'art et conservateur brésilien, qui est aussi l'auteur de plus de vingt livres sur les manuscrits et l'art brésilien, est une sommité mondialement connue. Ancien président de la Bibliothèque nationale du Brésil (2003 à 2005), il est autant un érudit, un lettré, un collectionneur, qu'un passionné. Sa grande renommée -  au Brésil, il est une vraie star, où il est considéré comme un croisement de Borges et d'Umberto Eco-, est inversement proportionnelle à sa simplicité et sa courtoisie. Signature probablement de son éducation de fils de diplomate. 


Légende photo : Détail d'une bibliothèque de l'hôtel Swann contenant de nombreuses éditions des livres de Marcel Proust devant une sculpture le représentant.

Le Prix Céleste Albaret pour son livre Marcel Proust: Une vie de lettres et d'images

Il vient de recevoir le prix Céleste Albaret pour son livre Marcel Proust: Une vie de lettres et d'images (Gallimard). Un merveilleux ouvrage qui permet de découvrir près de quatre cent cinquante documents exceptionnels, pour la plupart jamais dévoilés, qui sont une plongée dans l'intimité de l'écrivain. On se délecte avec des lettres envoyées à ses nombreux amis, sans parler de celles destinées à sa mère. On vibre devant les lieux de sa vie. On découvre aussi un Marcel Proust dessinateur, maniant le crayon avec bonheur et humour. Les pages se tournent en double : il y a ce que l'on regarde et ce que l'on lit. 

La vie de Proust défile sous nos yeux

Au fur et à mesure, c'est la vie de Marcel Proust qui défile sous nos yeux, une empreinte qui nous le rend si proche. « La lecture est une amitié » écrivait-il dans De la lecture. Il signifiait ainsi que le lecteur se retrouvait en amitié avec l'auteur d'un livre. Ici, cette phrase prend toute son ampleur : nous nous trouvons véritablement en amitié avec Marcel Proust, qui nous apparaît tellement présent. Va-t-il surgir au détour de ces pages ? Va-t-il s'adresser à nous ? L'émotion nous étreint souvent. Devant nous, les fantômes d'un passé proustien défilent. La fabrique du texte, la matrice d'une inspiration. Soudain, apparaît un morceau déchiré du cahier de Marcel Proust, dans lequel il avait envisagé un autre début pour Du Côté des chez Swann.

Une interview à l'Hôtel Swann

On comprend pourquoi Pedro Corrêa do Lago traque depuis plus de quarante ans les documents proustiens aux quatre coins du monde. Avec son français parfait, qu'il a appris au sein de sa scolarité dans les lycées français à l'étranger, il nous accueille à l'Hôtel Swann, lieu de sa remise de prix. L'instigateur du Prix Céleste Albaret, Jacques Letertre, passionné de Proust et collectionneur, lui aussi, a  même préparé une petite réception à l'intention de son ami brésilien. Il y a foule. Tous les spécialistes de Proust sont présents : Jean-Yves Tadié (qui a écrit la préface du livre), Antoine Compagnon... Nous volons quelques instants d'un temps que nous suspendons, pour poser nos questions au grand Pedro Corrêa do Lago - il doit faire 1,90 m !


Légende photo : Pedro Correa do Lago photographié à l'Hôtel Swann lors de la remise du prix Céleste Albaret pendant son interview © Olivia Phelip

Viabooks : D'où vous vient votre passion pour Marcel Proust ?

-Pedro Corrêa do Lago :  Je l'ai découvert à l'école assez tôt. Au début, je n'ai pas accroché. Je n'avais pas compris. Puis, je l'ai redécouvert vers l'âge de 18 ans. Jusqu'à ce que j'achète ma première lettre de Marcel Proust à New York (une lette à Bernard Grasset où il explique qu'il va le quitter pour aller chez Gallimard). Je m'étais ruiné pour cela. C'était comme une rencontre, le début d'une longue histoire. Cette lettre, c'était comme avoir été présenté à Marcel Proust en personne.

Un manuscrit ou une lettre représente donc une rencontre pour vous ?

-P. C. d. L. : Oui, une rencontre. Je me sens très proche de Marcel Proust quand je consulte ses lettres ou ses dessins. Ils sont comme les reliques d'une mémoire. On peut imaginer la main de celui qui les a écrits, on ressent son énergie dans la composition du texte, sur le papier avec sa fièvre, son emportement, son regard. Je ressens  presque sa présence. Ses lettres sont aussi la trace de ses relations, car à cette époque, tous les échanges à distance passaient par le courrier. Je ressens comme un privilège de les tenir dans mes mains. En écrivant le livre, j'ai voulu partager avec les lecteurs le bonheur de découvrir Marcel Proust sous ses différentes facettes.  


Légende photo : une double page du livre Marcel Proust: Une vie de lettres et d'images, consacrée à Anna de Noailles avec un dessin de Marcel Proust

On découvre un Proust dessinateur...

-P. C. d. L. : Proust aimait dessiner. Des croquis, des esquisses. Il croquait ses amis, ou des paysages. Proust était éminemment visuel. Ce qu'il dessine, c'est aussi ce qu'il décrit. Il y a aussi des dessins qui témoignent de son humour, comme celui sur son amie Anna de Noailles, à la limite de la caricature.

Quel autre document vous touche particulièrement dans votre collection ?

-P. C. d. L. :  Le billet de Marcel Proust à sa mère. Il est particulièrement émouvant.  On y trouve l'expression d'un lien tellement fusionnel. Il avait pourtant déjà 19 ans. Mais, toutes les lettres m'émeuvent en réalité, car elles sont comme les pièces d'un puzzle. On dit que Proust en aurait écrit près de cinq mille.  Beaucoup ont été détruites par leur destinataire. Mais nous en retrouvons petit à petit. J'en possède quatre-ving-dix. La vie de collectionneur, c'est aussi cette volonté de reconstituer un ensemble, qui éclaire sur l'auteur. Les lier entre eux,  c'est leur donner sens.

Vous allez presque jusqu'à réparer le destin...

-P. C. d. L. : Ce que l'on ne sait pas toujours, c'est que Proust était aussi grand  amateur d'autographes. Un jour par exemple, il avait désiré obtenir un autographe d'un poème écrit de la main de Sully Prudhomme. Mais celui-ci lui avait échappé et il en avait été peiné. Il s'agissait d'un poème que Proust aimait particulièrement. Céleste Albaret le connaissait  par cœur à force de l'entendre. Et puis,  il y a quelques années, j'ai pu retrouver cet autographe et l'acheter. Il m'avait semblé avoir sa place au sein de ma collection autour de Proust. C'était comme une harmonie retrouvée. 
Légende photo : une double page du livre Marcel Proust: Une vie de lettres et d'images, qui reproduit le fameuse page déchirée du manuscrit de Du côté de chez Swann. 

Des manuscrits portent aussi la trace de la genèse, le souvenir des repentirs ...

 P. C. d. L. :  Il est passionnant d'étudier les strates de l'écriture. Ainsi du fragment déchiré du cahier de Marcel Proust, dans lequel il avait envisagé un autre début pour Du Côté des chez Swann. Proust avait d'abord écrit : « Pendant bien des années, le soir, quand je venais de me coucher... » Avant que le fameux «Longtemps, je me suis couché de bonne heure... » ne surgisse. Plus ramassé, plus fulgurant.

Dans quel était d'esprit recevez-vous ce Prix Céleste Albaret ?

-P. C. d. L. :  J'en suis très honoré ! C'est une belle reconnaissance de mon travail qui réunit mes trois grandes passions : pour la langue française, pour l'œuvre de Marcel Proust, ainsi que celle pour les manuscrits et les autographes. Ces trois passions enrichissent ma vie. Je suis heureux, moi qui suis brésilien, de pouvoir rendre hommage à Marcel Proust par un livre qui le révèle autrement.
> Pedro Corrêa do Lago, Marcel Proust. Une vie de lettres et d'images, Préface de Jean-Yves Tadié, Gallimard, 288 pages, 35 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien
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