J. D. Salinger (1919-2010) est sans doute l’un des écrivains les plus populaires – et ce malgré lui - et, dans la veine d’Hemingway et Fitzgerald, l’un des plus novateurs de son époque. A l’occasion de la découverte de lettres évoquant de nouveaux manuscrits, revenons sur l’œuvre intemporelle de ce pilier de la littérature américaine.
J. D. Salinger a fui sa popularité à mesure qu’elle grandissait, et a contribué par là même à l’élaboration de son propre mythe. Sa dernière œuvre publiée date de 1965, et sa dernière interview de 1980. Il a essentiellement publié des nouvelles, la plupart dans le New Yorker, bien que son œuvre la plus célèbre soit un de ses rares romans, L’Attrape-cœurs. Il se fait connaître grâce à la publication d’un premier ensemble de nouvelles qui paraissent en 1940 dans le magazine Story, mais c’est après la guerre qu’il acquiert véritablement une notoriété, avec la publication en 1948 dans le New Yorker de la nouvelle Un Jour rêvé pour le poisson-banane (et plus largement de l’ensemble des nouvelles rassemblées plus tard dans le recueil Nine Stories). La nouvelle est immédiatement remarquée pour ses dialogues maîtrisés et son humour macabre. Elle est considérée comme un exemple saisissant de la théorie de l’absurde. Ces débuts remarqués en littérature vont ouvrir la voie à l’émergence d’un des romans les plus controversés de la modernité littéraire.
A sa sortie en 1951, L’attrape-cœurs a provoqué des réactions violentes (rappelons le, l’œuvre a longtemps été interdite dans les programmes des lycées américains). De l’amour à l’abjection, la critique s’est déchaînée à la sortie de cet ovni littéraire, qui a immédiatement remporté un grand succès auprès du public. Si un immense lectorat s’est reconnu dans le roman, et particulièrement à travers son personnage principal Holden Caulfield, c’est bien par sa singularité que l’œuvre s’impose. En effet, le récit rejette dès son célèbre incipit une filiation avec le roman traditionnel : « Si vous voulez vraiment que je vous dise, alors sûrement la première chose que vous allez me demander c'est où je suis né, et à quoi ça a ressemblé ma saloperie d'enfance, et ce que faisaient mes parents avant de m'avoir, et toutes ces conneries à la David Copperfield, mais j'ai pas envie de raconter ça si vous voulez tout savoir. » S’il a souvent été assimilé à un roman d’apprentissage, le récit n’offre aucune forme de réelle résolution, et laisse le personnage face à la difficulté de l’accès à l’âge adulte, sans qu’il acquière de maturité. La quête initiatique se voit donc défiguré, tout autant que les limites du langage sont repoussées. Le récit est de fait narré à travers les mots du personnage principal Holden Caulfield, un jeune adolescent, qui emploie donc un vocabulaire propre à son âge, et à sa représentation d’ado révolté. Le récit qui se fait sous la forme du langage parlé rend bien compte des tics de langage, des fautes et des tournures grossières propres à la langue de l’adolescent, et a irrité bien des pudibonds à sa sortie. C’est pourtant à travers ce langage un accès véritable au personnage qui nous est offert, à l’inverse de la « phoniness », soit l’hypocrisie, si souvent dénoncé par Holden à travers le récit.
Salinger confiait au Harper’s Magazine en 1946 : « I almost always write about very young people » ("J’écris quasiment tout le temps à propos de très jeunes gens"), soulignant par là sa fascination pour l’adolescence – on pense notamment à son premier recueil de nouvelles Young Folks – qui est pleinement explorée à travers L’Attrape-cœurs. Le roman montre à travers l’errance et les interrogations d’Holden la difficulté et la souffrance du renoncement à l’innocence de l’enfance pour accéder à l’âge adulte. La figure de l’enfant tient de fait une place capitale dans l’œuvre avec la vision idéalisée de la petite sœur d’Holden, Phoebe, qui est perçue par le narrateur comme le seul être de valeur. Mais également à travers l’image de leur jeune frère décédé, Allie, dont le spectre enchanteur hante perpétuellement les pensées d’Holden, qui ne parvient pas à dépasser l’absurdité de sa perte. Le récit remet toutefois en question l’interprétation du monde d’Holden, à travers sa féerie du champ de blé, qui donne son titre original à l’œuvre (The Catcher in the rye). En effet, lorsque sa jeune sœur lui demande ce qu’il veut faire de sa vie, il lui répond qu’il aimerait surveiller des enfants qui jouent dans un champ de blé, pour les empêcher de basculer de l’autre côté du champ – qui serait la dureté et l’hypocrisie de l’âge adulte - et c’est l’enfant qui fait preuve de sagesse dans leur dialogue et qui ressent la nécessité de grandir.
La quête d’Holden est marquée par un isolement profond. La narration se fait quasiment à huit-clos entre lui et nous, ponctué par plusieurs rencontres et échanges, qui tournent mal la plupart du temps. Le personnage est en effet partagé entre une aspiration à la solitude, marquée par un rejet des autres et, paradoxalement, par un besoin perpétuel de rencontre. De fait, le récit met en scène de manière saisissante l’aliénation de l’adolescence, en nous livrant l’incapacité à communiquer paradoxale de notre narrateur. Il apparaît comme exclu du monde qui l’entoure, et incapable de l’intégrer. L’isolement d’Holden semble à la fois sa plus grande force, et sa pire souffrance, puisqu’elle apparaît comme son moyen de se protéger du monde, tout en l’en tenant éloigné – on pense par exemple à sa relation avec Jane, avec qui il rêve de retrouver l’intimité atteinte, mais qu’il a trop peur de rappeler. On entrevoit là la perception incisive de l’auteur de la souffrance adolescente, mais peut-être également une part de cele de ce créateur atypique, qui a choisi de vivre dans un isolement croissant durant toute sa vie.
J. D. Salinger, L'attrape-coeurs, Pocket
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