Jean-Paul Dubois remporte le prix Goncourt 2019 pour Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon (L’Olivier) par 6 voix contre 4 pour Amélie Nothomb avec Soif (Albin Michel), qui ne remporte pas le célèbre prix pour la 3e fois. Un choix qui n'est pas une surprise, car le livre doux-amer de cet auteur singulier faisait partie des favoris. Les deux autres finalistes étaient Olivier Rolin pour Extérieur monde (Gallimard) et Jean-Luc Coatalem pour La Part du fils (Stock).
Entre une Amélie Nothomb déjà superstar qui se prend pour Jésus dans Soif et Jean-Paul Dubois qui part à la recherche du bonheur perdu (et peut-être jamais trouvé) dans Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon (L'Olivier), les jurés du Prix Goncourt ont choisi l'honorer le récit d'un "looser magnifique", figure très française s'il en est.
Chez Drouant, aujourd'hui lundi 4 septembre, ce fut le combat entre deux figures très contrastées : Jean-Paul Dubois, auteur discret vivant à Toulouse parlant avec une pointe d'accent du sud-ouest, aimant le rugby, les tondeuses à gazons et les douces prairies, adepte de la slow écriture, face à Amélie Nothomb, star ultra-médiatique internationale, sacrée baronne par le roi des Belges, aimant les chapeaux, le champagne et stakhanoviste de l'écriture... Les jurés du Goncourt ont préféré les racines du terroir à une plume cosmopolite.
Il faut dire qu'une légère polémique avait surgi ces derners jours, soulignant que, parmi les quatre finalistes, seul le livre de Jean-Paul Dubois était à proprement parler un roman. Sachant que l'année dernière les jurés du Goncourt avait expliqué ne pas avoir retenu Le lambeau (Gallimard) de Philippe Lançon, car ce livre n'appartenait pas à la catégorie des romans. Même si Bernard Pivot, le président de la célèbre Académie s'en était expliqué récemment en affirmant que les jurés avaient le droit de changer d'avis, il n'empêche que beaucoup voyaient d'un mauvais oeil que la suprême récompense de la littérature française puisse être attribuée à un essai.
Jean-Paul Dubois aime les profondeurs simples. Il navigue entre mélancolie, sourire et désillusion avec des narrateurs souvent nommés Paul, son double littéraire. Dans Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, ce Paul- là se nomme Paul Hansen. Il purge une peine dans la prison provinciale de Montréal. Il y partage une cellule avec Horton, un Hells Angel incarcéré pour meurtre. Cet enfermement, immobilité forcée, est l'occasion d'un retour sur la vie de Paul. Du temps où il était superintendant à L’Excelsior, une résidence où il déployait ses talents de concierge, de gardien, et – plus encore – de réparateur des âmes et consolateur des affligés. Lorsqu’il n’était pas occupé à venir en aide aux habitants de L’Excelsior ou à entretenir les bâtiments, il rejoignait sa compagne, Winona. Aux commandes de son aéroplane, elle l’emmènait en plein ciel, au-dessus des nuages. La vie "planait" ainsi entre ciel et terre. Jusqu'à l'arrivée d'un nouveau gérant, des difficultés et des conflits qui s'enchaînent... les rouages partent à l'envers. Et l’inévitable se produit. Comment et pourquoi une vie sans histoire bascule dans une histoire de vie ? Comment le banal devient-il romanesque ? Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon est un très beau livre de Jean-Paul Dubois. On y retrouve son talent pour saisir les émotions et décrire les émotions, les paysages et les couleurs des âmes. Un sens de l'intime en grandeur magistrale. Le Goncourt 2019 était un de nos coups de coeur de cette rentrée. Les lecteurs ne s'y sont pas trompés puisque le livre caracole déjà en têtre des ventes. Avec le Goncourt, les récalcitrants n'hésiteront pas à se précipiter. Et ils ne seront pas déçus.
Car il s'agit bien d'un livre de "littérature". Qu'est-ce que la littérature aujourd'hui ? l'Académie Goncourt, Donnons la parole à Olivier Cohen, directeur fondateur des éditions de L'Olivier, éditeur des livres de Jean-Paul Dubois. Dans un document célébrant les 20 ans de sa maison d'édition, Olivier Cohen écrit : "Le danger qui nous menace n’est pas le numérique. Cette révolution dont les effets se font déjà sentir aux États-Unis nous oblige à repenser notre métier de fond en comble. C’est une chance à saisir, quelles qu’en soient les conséquences. Le vrai danger, c’est la confusion entre la littérature et les produits de substitution avec lesquels on la confond de plus en plus : numéros d’exhibitionnisme, récits de vie édifiants, mémoires écrits par d’autres, romans larmoyants ou bourrés de clichés se déversent dans les librairies et les médias en quantités chaque jour plus grandes. Les repères se brouillent. L’exploration de la vie, qui est la fonction essentielle de la littérature, est remplacée par des platitudes. Le mercantilisme et la mièvrerie triomphent. Dans un texte célèbre dénonçant ce qu’il appelait le poshlust, Nabokov écrivait ceci : « Le poshlust ne relève pas seulement de ce qui semble manifestement médiocre, mais également de ce qui est faussement beau, faussement intelligent, faussement séduisant. » Avec le kitsch (Kundera : « Le kitsch nous arrache des larmes d’attendrissement sur nous-mêmes, sur les banalités que nous pensons et sentons ») et sa principale variante, le schmaltz, la littérature connaît ses ennemis mortels. Saurons-nous les tenir à distance ? À nous d’être vigilants." Une vigilance qui a animé le choix du jury, pour justifier leur engouement pour un livre qui place le romanesque au centre de la tradition littéraire française. N'oublions pas que le Goncourt célébrait cette année les 100 ans de son prix accordé à un jeune prometteur du nom de Marcel Proust pour A l'ombre des jeunes filles en fleurs. Un siècle plus tard, c'est un livre sur la quête du bonheur perdu qui succède à la recherche du temps perdu.
>Jean-Paul Dubois, Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, L'Olivier, 256 p
>Ecoutez la déclaration de Jean-Paul Dubois en direct à l'annonce de son prix (Euronews) :
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