Karine Tuil plonge dans les coulisses sombres de la justice anti-terrorisme avec La décision (Gallimard).Un livre fort qui renvoie à la difficulté du jugement et à la complexité de la conscience. Karine Tuil répond à quelques questions au sujet de ce portrait de juge en quête de la décision juste.
Karine Tuil voit en la Justice un miroir social, pour ne pas dire sociétal. Après Les choses humaines qui montraient les jeux de la justice et du pouvoir dans le contexte d'un viol perpétré par un étudiant sur une de ses congénères, l'autrice s'attaque à un autre sujet central : le terrorisme. Cette fois-ci, avec La décision, c'est dans la tête d'une juge d'instruction que Karine Tuil nous place. Son héroïne et narratrice, Alma Revel, est confrontée à la gravité et la portée de sa future décision. Acte de justice, ce choix prend une dimension presque philosophique. Que signifie le terrorisme ? Juger un terroriste ne revient pas à faire le procès du terrorisme. Il s'agit de juger une personne. Se méfier des grands principes lorsqu'il s'agit d'êtres humains et non pas de concepts abstraits. Car là est tout le paradoxe : la noirceur de l'âme humaine reflète-t-elle malgré tout une étincelle d'humanité ? Face à l'attente compréhensible d'une population bouleversée, comment garder son sang froid et ne pas se laisser submerger par l'émotion ?
« Je me nomme Alma Revel […]. Je suis juge d’instruction antiterroriste. Il y a trois mois, dans le cadre de mes fonctions, j’ai pris une décision qui m’a semblé juste mais qui a eu des conséquences dramatiques. Pour moi, ma famille. Pour mon pays. On se trompe sur les gens. D’eux, on ne sait rien, ou si peu. Mentent-ils ? Sont-ils sincères ? Mon métier m’a appris que l’homme n’est pas un bloc monolithique mais un être mouvant, opaque et d’une extrême ambiguïté, qui peut à tout moment vous surprendre par sa monstruosité comme par son humanité. »
Karine Tuil nous prend et nous surprend. On commence la lecture de son roman rempli de certitudes et au fur et à mesure, on réalise la complexité et l'ampleur du sujet. La conscience de ce qui relève encore des choses humaines affleure à chaque chapitre comme l'impitoyable balancier de la justice. Quelle décision la juge d'instruction va-t-elle prendre ? Comment sa vie privée va-t-elle interagir avec son cheminement ? Non seulement ce livre nous évite de tomber dans le piège de la simplification, mais il nous fait prendre aussi conscience de l'isolement des juges d'instruction, subissant de nombreuses pressions et finalement seuls face à leur conscience. Dans un entretien organisé par son éditeur, Karine Tuil répond à quelques questions au sujet de La décision.
Légende photo : L'entrée du Palais de Justice de Paris DR.
-Karine Tuil : Ce roman est dans la continuité du précédent Les choses humaines, j’y poursuis mon exploration de la justice à travers le quotidien de juges d’instruction antiterroristes cette fois. Je voulais écrire le portrait d’une grande juge, une femme de pouvoir soumise à des choix qui ont des conséquences sur la sécurité et l’avenir de la nation. On la voit subir une pression de tous les instants, la haine, les menaces, ses propres doutes…
-K.T. : Il y a une part de raison et une part d’instinct dans toute décision. Alma Revel, la juge, se prononce chaque jour sur le sort de jeunes de retour de Syrie notamment, elle se fie à des charges mais a peur de se tromper. Au pôle d’instruction antiterroriste, une simple erreur de procédure peut être fatale et, une décision, entraîner des événements dramatiques. Elle doit, par ailleurs, faire un choix qui concerne sa vie privée. À ses conflits professionnels s’ajoute un conflit d’ordre intime : elle vit une passion amoureuse avec un avocat qui représente l’un de ses mis en examen.
-K.T. : Cela fait longtemps que je m’intéresse au terrorisme, j’ai assisté à de nombreux procès, depuis 2007. Dans ce livre, je voulais aller plus loin : dévoiler ce qu’il y a dans la tête d’un jihadiste à travers les interrogatoires menés par les juges et les agents du renseignement. On évoque souvent les procès, les auteurs d’attentats, les victimes ; plus rarement ces hommes et ces femmes de l’ombre qui dirigent les enquêtes, interrogent les mis en examen, les complices, reçoivent les familles des victimes. Pour ce texte, j’ai travaillé au plus près du réel… Je souhaitais raconter les états d’âme de ces juges, leur confrontation quotidienne avec la noirceur humaine, leur sentiment d’impuissance face à des victimes ou des familles ravagées, je suis restée fidèle à leur réalité, mais c’est avant tout un roman hanté par des conflits éthiques, moraux – sans doute l’expérience humaine et littéraire la plus intense que j’aie vécue.
(Lire l'interview de Karine Tuil en version intégrale dans le site des éditions Gallimard.
>Karine Tuil, La décision, Gallimard, 304 pages, 20 euros
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