Xi Jing Ping vient de se nommer "Empereur" à vie, montrant à la fois son pouvoir aux yeux du monde, mais aussi la présence désormais incontournable de la deuxième puissance économique. Nouvel enjeu pour l'Empire du Milieu : devenir influent dans les domaines des arts et des lettres pour, à l'instar des Etats-Unis, influencer l'imaginaire de la planète. Revenons sur l’actualité de la littérature chinoise, avec laquelle il va falloir désormais aussi compter.
De quoi ça parle ? Yan Lan a grandi dans la proximité des hommes les plus puissants de la Chine, de Zhou Enlai à Deng Xiaoping… Son grand-père, Yan Baohang, d’abord compagnon de route du nationaliste Chiang Kai-shek, épouse la cause communiste et sera agent secret pendant la Seconde Guerre mondiale. Son père, Yan Mingfu, diplomate, interprète personnel de Mao pour le russe, est le seul témoin vivant des discussions entre Mao et les dirigeants soviétiques. Mais la Révolution culturelle fait basculer la vie des Yan. Lan a neuf ans quand, un soir, les Gardes rouges font irruption dans l’appartement familial. Son grand-père est jeté en prison et meurt sept mois plus tard. Son père croupira dans une cellule pendant sept ans et demi. Sa mère, Wu Keliang, diplomate, accusée d’être issue d’une famille de contre-révolutionnaires, est reléguée dans un camp de rééducation par le travail où elle passera cinq ans avec sa fille.
Pourquoi on aime ? Chez Les Yan, c’est un siècle d’histoire chinoise, de 1900 jusqu’ après la Révolution culturelle. A la fois récit de la vie d’une famille et témoignage historique, ce livre se distingue par une documentation incroyable. Passionnant, du début jusqu’à la fin, on apprend beaucoup de choses sur l'évolution du pouvoir et les dérives de la Révolution dite culturelle. L'histoire est racontée de l’intérieur. Le lecteur comprend les dégâts qu'a provoqués cette période au sein des familles chinoises. Cela donne une idée de l’incroyable violence de cette campagne politique. A la lecture de ces pages, on partage avec cette famille attachante les sombres années où révolution n’était que terreur.
De quoi ça parle ? Fondé sur des faits réels de la terre natale de l’auteur, le Henan, ce livre flamboyant s’ouvre sur la mort et se clôt par la naissance. Depuis toujours, les habitants d’un village perdu au cœur des montagnes luttent pour survivre à une maladie qui les emporte avant quarante ans. Depuis toujours Sima Lan, le chef du village, aime d’un amour fou la douce Sishi. Aujourd’hui Sima Lan se meurt et le cours du temps s’inverse pour remonter vers les causes premières, en un cheminement qui est celui des combats opiniâtres qu’ont depuis toujours livrés les hommes pour assurer leur maîtrise sur le monde et leur propre survie. Car ce que célèbre ce livre, ce n’est pas la victoire impossible de l’homme sur la mort, mais le courage, l’obstination avec lesquels ces villageois, portés par une immense force collective, entreprennent, à chaque génération, de titanesques travaux pour conjurer le mal qui empoisonne leur terre et leur eau, leur capacité à puiser au plus profond d’eux-mêmes aux sources de la vie, et de l’amour, dans l’espoir de continuer à entendre bruire la lumière et respirer l’odeur verte de la sève au printemps.
Pourquoi on aime ? Yan Lianke nous conte l'histoire de ce village et de ses habitants qui, de génération en génération, luttent pour survivre. Le lecteur découvre un monde inconnu, où croyances et magie s’entremêlent, et dont les habitants attachants et violents sont bien loin des clichés habituels. Son écriture lyrique et crue fait de cette œuvre, une création atypique, où la violence est extraordinaire. Comme le savent les lecteurs familiers de Yan Lianke, le tour de force de l’écrivain réside dans le suspense entretenu du début jusqu’à la fin. Cette aventure universelle ne célèbre pas la mort mais le courage de la force vitale, la lutte constante, telle une grande œuvre tragique.
De quoi ça parle ? Lorsque Yan Lianke s'empare du célèbre slogan de la Révolution culturelle, c'est pour piétiner au passage les tabous les plus sacrés de l'armée, de la révolution, de la sexualité et de la bienséance politique. De quoi donner une crise d'apoplexie au ministre de la Propagande chinois, en charge de la censure. Son court roman est aussi iconoclaste que jubilatoire. Ou comment Servir le peuple devient, pour l'ordonnance d'un colonel de l'Armée populaire de libération, l'injonction de satisfaire aux besoins sexuels de la femme de son supérieur. Le mari s'étant absenté pour deux mois, les deux amants passent leurs journées cloîtrés dans la maison, où ils découvrent par hasard, en brisant une petite statue en plâtre de Mao, que ce geste sacrilège décuple leur désir. Dès lors, c'est à qui se montrera le plus " contre-révolutionnaire " en détruisant le maximum d'objets liés au Grand Timonier. Un amour fétichiste et une variation insolente de l'Histoire officielle qui ont valu au livre d'être saisi et interdit en Chine dès sa publication.
Pourquoi on aime ? De prime abord, l’histoire pourrait paraître assez classique. Cependant lorsque Yan Lianke en prend possession ce récit a une tout autre dimension. L’auteur a un véritable talent pour parler de ses congénères et nous introduire dans l’intimité de ces hommes et de ces femmes. Cette œuvre endosse un rythme fou, le suspense, l’humour, la moquerie, tout est présent pour rendre dingue les autorités chinoises. Le narrateur interpelle le lecteur avec des phrases telle que « Et que croyez-vous qu'il arriva », et immerge ainsi son lecteur au cœur de l’Histoire de Chine. Dans ce pays où la censure fait rage, Yan Lianke (qui fut militaire et écrivain officiel de l’armée) n'a pas peur d'attaquer le pouvoir en place, Mao et sa Révolution culturelle.
De quoi ça parle ? Au creux des marais du canton nord-est de Gaomi, le clan des chiqueurs de paille a pour ancêtre mythique une pouliche et pour caractéristique son attachement à un chaume à mâcher, rouge, aux vertus singulières, mais qui le désigne comme le clan des « brouteurs », « mangeurs de paille »» en butte à l’incompréhension, voire à l’hostilité de ses voisins. Le pays subit aussi à intervalles réguliers l’invasion de nuages de sauterelles qui dévorent le chaume, détruisant – mais jusqu’où puisque le narrateur est encore là pour le dire ? – le clan mythique. Les rêves du narrateur et de ses comparses s’enchaînent, entrecroisant les histoires, les légendes et les souvenirs, les personnes et les dieux. Six rêves où se brouillent les pistes, où le lecteur s’égare, emporté jusqu’au dénouement étrange, carnavalesque et inattendu.
Pourquoi on aime ? Ici, Mo Yan laisse libre cours à l’imagination en s’aventurant dans un univers mi réel, mi magique. Le lecteur est plongé dans un milieu onirique ou les êtres sont mystérieux et palmés. Les histoires se mêlent et semblent venir du fond des âges. Six récits se succèdent à la façon d’un rêve ou d’un mythe fantasmagorique. L’invasion des criquets dans la campagne chinoise début le récit. A partir de là, la vie du clan et l’imagination du narrateur seront hantées par ces insectes qui ne laissent rien derrière eux. Mo Yan instaure une continuité entre les humains, les animaux et les plantes. Il est vrai que « dans le monde de Mo Yan, tous les hommes sont des animaux (…) et tous les animaux sont des hommes »
De quoi ça parle ? Gulu, «Fours anciens», village reculé des montagnes du Shaanxi, dans la Chine du Nord, est réputé depuis des siècles pour la qualité de sa porcelaine. Rythmé par les travaux saisonniers, la quête de nourriture et le poids des traditions, le quotidien de ses habitants n’était jusque-là que la répétition d’un même ennui. Pissechien est le souffre-douleur autant que la mascotte du bourg. Petit de taille malgré ses treize ans, d’origine incertaine, il rend de menus services aux villageois. Truchement du merveilleux dans ce monde dur, il parle aux animaux, assujettis eux aussi à la loi du plus fort. Mais si la vie était rude avant la Révolution culturelle, elle devient alors absurde. La gestion du village tourne à la foire d’empoigne et Gulu glisse dans le chaos. Les rebelles affrontent les révolutionnaires pour s’emparer des précieux fours à porcelaine. Protégé par sa «mauvaise origine de classe» et sa candeur, Pissechien assiste, en observateur, au déferlement de haine.
Pourquoi on aime ? Vingt ans après sa parution, L’Art perdu des fours anciens, est enfin traduit en français. Avec cette œuvre, Jia Pingwa signe l’un des plus grands romans chinois sur la Révolution culturelle. Ce véritable événement littéraire en Chine, en 2011, permet au lecteur de découvrir de plus près les mécanismes de la violence politique et sociale qui ont marqué le pays et ses habitants. Cette immense fresque de mœurs prend la forme d’une satire magistrale. Jia Pingwa réussi sa révolution littéraire en mêlant la fable politique, le suspense policier, le fantastique et le drame, sans oublier le plus important : le rire.
De quoi ça parle ? Dans le Shanghai du siècle dernier, nous découvrons l’existence insouciante et précaire des artistes de l’opéra, entre ombre et lumière, d’où émerge la figure de cette jeune fille, née de père inconnu, dont la force d’âme nous éblouit. Sa vie se pare de l’éclat du théâtre, et pourtant sa naissance scandaleuse, sa beauté sensuelle lui valent de subir médisances et même humiliations. Mais rien n’entame l’enthousiasme et la générosité de Xiaoqiu, qui éclaire de sa lumière toutes les épreuves qu’elle traverse.
Pourquoi on aime ? « La Coquette de Shanghai » s’inscrit dans une série de portraits féminins. Ces récits forment, sur une période d’une dizaine d’années, une galerie de tableaux de la ville de Shanghai qui adapte le passé pour mieux décrire le présent. Comme la plupart des œuvres de Wang Anyi, les événements historiques sont peu fidèles et ont une place minime. La description de la vie quotidienne et sa capacité d’observation, sont ses principaux talents. Les titres et les intitulés des cinq chapitres du roman sont frappants par leur style à la fois concis et poétique. Ce joli récit nécessite néanmoins une connaissance sur la Révolution Culturelle et le mouvement d’envoi des jeunes « à la campagne », afin de l’apprécier à sa juste valeur.
De quoi ça parle ? Célèbre présentateur sur une chaîne de télévision pékinoise, Yan Shouyi anime un talk-show intitulé «Appelons un chat un chat» où honnêteté et franchise sont de mise. Mais derrière le rideau, il s'enlise inexorablement dans le mensonge et la trahison. Marié à Yu Wenjuan, il la trompe en effet avec la belle Wu Yue. Or, infidélité et téléphone portable ne font pas bon ménage. Et l'inévitable finit par se produire : Yu confond le mari volage et demande le divorce.
Pourquoi on aime ? Liu Zhenyun est le maître des situations cocasses et décalées. C’est probablement pour cette raison qu’il fait partie des auteurs les plus célèbres en Chine aujourd’hui. En ouvrant ce roman, le lecteur découvre le flux urbain chinois, les bouleversements technologiques, les nouveaux riches mais également les paysans qui rêvent de conquérir la ville. Derrière cette satire des relations humaines, Liu Zhenyun nous parle de cet instrument de communication, qui initialement devait créer du lien et finit par éloigner les gens les uns des autres. Dans un style incisif, aux phrases limpides, l'auteur traite une nouvelle fois ses thèmes de prédilection : la parole et son rôle dans les interactions humaines. Le téléphone portable, ou quand la technologie transforme la société, mais pas dans le bon sens.
De quoi ça parle ? « En ces temps de misères omniprésentes, de violences aveugles, de catastrophes naturelles ou écologiques, parler de la beauté pourrait paraître incongru, inconvenant, voire provocateur. Presque un scandale. Mais à cause de cela même, on voit qu'à l'opposé du mal, la beauté se situe bien à l'autre bout d'une réalité à laquelle nous avons à faire face. Nous sommes donc convaincus qu'au contraire nous avons pour tâche urgente, et permanente, de dévisager ces deux mystères qui constituent les deux extrémités de l'univers vivant : d'un côté, le mal, et de l'autre, la beauté ... Ce qui est en jeu, nous n'en doutons pas, n'est rien moins que l'avenir de la destinée humaine, une destinée qui implique les données fondamentales de la liberté humaine. »
Pourquoi on aime ? François Cheng, aujourd'hui membre de l'Académie Française, fait appel à ses deux cultures, chinoise et française, pour définir ce qu’est la beauté. Que faut-il pour qu'elle existe ? Peut-elle exister si personne n'est là pour l'admirer ? A quoi tient-elle ? La seule beauté extérieure est-elle beauté ? Il répond à ces questions grâce à cinq méditations passionnantes. Dense et complexe, il faut s’imposer une lecture lente afin de mieux savourer le texte, la profondeur des réflexions et ainsi mieux le comprendre. Cette lecture permet au lecteur de réfléchir sur la vie en général, sur sa propre vie et sur les valeurs qui nous sont importantes. On referme ce livre avec le sentiment de s’être élevé du quotidien et on se sent plus instruit. François Cheng est un grand passeur.
Légende photo : Jérôme Garcin, Hervé Le Tellier, Rachida Brakni, Marthe Keller, Gaël Faye, Kamel Daoud, Rebecca Dautremer, Emmanuel Lepag
Avec la saison automnale, le Mois du film documentaire du Territoire de Belfort est l’occasion de se réchauffer tout en explorant une grande divers
Légende photo : Abnousse Shalmani, lauréate du prix Simone Veil 2024, entourée de Pierre-François Veil (à gauche sur la photo) et Jean Vei