Alors que le Festival "Etonnants voyageurs" ouvre ses portes à Saint Malo, revenons sur la littérature du voyage. A l’heure où le voyage est devenu une évidence. A l’heure où en une poignée heures grâce à la machine volante de notre temps, le voyageur passe d’une culture à l’autre, qu'est ce que le concept et l'écriture du voyage ?
Aujourd’hui voyager est devenu si aisé qu’on oublie un peu vite qu’il n’y a pas si longtemps des trajets dans un même pays pouvaient être infiniment longs. Avec la réduction du temps des voyages, l’homme peut passer d’un bout à l’autre de la planète sans presque s’en apercevoir. Le temps du voyage reste un temps intermédiaire mais il ne compte presque plus. Aujourd’hui, il est presque dépassé de demander si l’un ou l’autre a fait bon voyage. C’est d’une telle banalité ! On peut dire ainsi que d’une certaine manière, on a rompu avec la poésie des voyages. La période passée entre deux points est comme effacée. Au fond, seuls importent le point d’où l’on part et celui où l’on doit arriver et surtout les moyens que l’on se donne pour faire en un minimum de temps un maximum de choses. Ceci étant dit le voyage peut tout de même rester grisant mais d’une manière différente.
La course de vitesse de tous les instants délaisse souvent les exigences de qualité. A force de vouloir aller toujours plus vite, on perd en substance. A force de vouloir découvrir les villes d’un même pays ou plusieurs pays en un temps record, l’homme consomme le voyage au lieu de le rendre sien.
L’écrivain voyageur lui prend une autre position. Il prend le temps comme un ami. Il s’imprègne des lieux pour traduire les images vers lesquelles il va en mots. L’écrivain voyageur prend du plaisir à faire durer le voyage.
Rudyart Kipling disait que « tout bien considéré, il y a deux sortes d’hommes dans le monde, ceux qui restent chez eux et les autres ». Voyager c’est se confronter au divers, s’intéresser à l’autre. Si dans le voyage, il y a d’abord généralement un changement géographique, celui-ci s’accompagne parfois d’un mouvement existentiel. Voyager c’est en effet perdre ses repères. Kerouac dans « Sur la Route » décrit ce sentiment dans l’incipit du roman lorsqu’il se perd à la limite de New-York, subissant une pluie violence qui l’oblige à rebrousser chemin.
Chaque soir en voyage, Sylvain Tesson épingle dans son carnet sa pensée. Quelques mots posés sur la page forment un aphorisme. La somme d’aphorismes donnera ce merveilleux petit livre « Aphorismes sous la lune et autres pensées sauvages ». Cet écrivain voyageur dont on se souvient aussi du « Petit Traité sur l’Immensité du Monde » regarde le voyage à travers le prisme de notre époque et réagit. Pour ralentir la fuite du temps, Tesson a choisi de parcourir le monde à cheval, à pied en canot. Il souhaite embrasser la terre et restituer un parfum d’aventure au ralenti.
Pour voyager réellement, il faudrait ainsi se perdre et voir poétiquement. Cette position nous invite à une nouvelle lecture et perception du monde. Alexandre Dumas recommande aussi dans « Excursions au bord du Rhin » la méthode consistant à « aller droit devant soi, en marchant au hasard ».
L’écrivain voyageur est inspiré par l’ailleurs. Pour lui, le voyage est essentiel pour connaître la beauté du monde. Le voyage est aussi moteur de l’inspiration. Kessel sillonna les continents pour écrire. Le voyage devient matière de l’œuvre. Georges Walter notait à propos de Kessel que les reportages du journaliste « constituaient le matériau de ses romans : dans l’éphémère il voyait le légendaire. »
De manière différente, on peut voir dans la démarche de Théodore Monod une soif d’aventure. Curieux de tout, Monod restera fasciné par le désert. Jusqu’à l’âge de 93 ans, presque aveugle, il accompagnera une expédition botanique au Yémen et retournera un an plus tard dans le Sahara. Dans cette soif de là où les limites sont poussées aux extrêmes, il y a une vraie recherche d’absolu.
Cette recherche de profondeur est aussi la clé des récits de voyages de Gérard de Nerval. « Le voyage offre un cadre précis pour le récit et la représentation de la réalité y donne une allure d’objectivité, mais aussi elle compose un objet esthétique à elle seule. Le récit de voyage qui est une écriture référentielle est également une écriture artistique et créative » note une des spécialistes de Nerval Hisashi Mizuno.
Nerval est à la fois attiré par le voyage tout en le craignant. Lorsqu’il quitte l’Egypte pour la Syrie, le départ lui serre le cœur et d’un autre côté, l’espoir flou de l’inconnu le fait battre tout autant. Il note alors : « Cependant un astre éclatant gravit peu à peu l’arc en ciel et jette sur les eaux des reflets enflammés. C’est l’étoile du soir, c’est Astarté, l’antique déesse de Syrie ; elle brille d’un éclat incomparable sur ces mers sacrées qui la reconnaissent toujours. » Puis plus loin, il fait l’éloge de la divinité « toi qui n’as pas la teinte blafarde de la lune, mais qui scintilles dans ton éloignement et verses des rayons dorés sur le monde comme un soleil de la nuit ».
Or, ces sentiments d’angoisse et d’excitation sont le propre du voyage. On est attiré par l’ailleurs et de la même manière il nous inquiète car il est autre.
Chez Jules Verne, le voyage est source d’émerveillement. La science et les techniques sont à l'origine du fabuleux . L’aventure est alors source d’excitation et répond à l’insatiable curiosité. "Les Voyages Extraordinaires" de Jules Verne sont une infatigable source d’invention. Mais, le plus fascinant chez l’auteur, reste qu’il a réussi à mêler dans une même œuvre, le voyage géographique, moral et scientifique.
Réapprenons grâce aux écrivains voyageurs à nous émerveiller et reprenons cette belle phrase de Michel Strogoff : "Regarde de tous tes yeux regarde".
Jean Yves Tadié,Regarde de tous tes yeux, Regarde, Gallimard, L'Un et l'Autre
Gérard de Nerval, Voyage en Orient, Gallimard Folio.
Jules Verne, Le Tour du Monde en 80 jours, Livre de Poche
Jules Verne, Michel Strogoff, Livre de Poche.
Sylvain Tesson, Petit Traité sur l'Immensité du Monde, Equateurs.
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