Dire ou ne pas dire

L'aveu dans «La Princesse de Clèves»

Classiques sont les scènes d’aveu en littérature : c’est Phèdre qui déclare son amour à Hippolyte, ou bien Cyrano à Roxane, ou encore Valmont à Madame de Tourvel. Celles de la Princesse de Clèves, écrites par Madame de La Fayette en 1678, sont particulièrement intéressantes à étudier par le jeu entre la parole et le silence qui y figure. Intention sincère ou motivation égoïste ? La visée de l’aveu est souvent ambiguë. Qu’en est-il de la jeune Madame de Clèves ?

Dire pour mieux agir

L’œuvre de Madame de La Fayette est souvent considérée comme l’un des premiers romans d’analyse. En effet, l’action d’un personnage est justifiée par les sentiments qu’il éprouve, soit à l’intérieur de l’action, soit par la parole qu’il va tenir. Exprimer des sentiments longtemps contenus, pousse le personnage à agir. Cela explique alors l’importance de l’aveu qui apparaît à plusieurs reprises dans l’ouvrage. Nous allons étudier le plus décisif : celui où la princesse avoue à son mari, Monsieur de Clèves, qu’elle aime un autre homme que lui. Son épouse est à la campagne pour être loin de celui qu’elle aime, et son mari l’invite à le rejoindre à la Cour. Nous sommes au milieu de l’œuvre, au troisième chapitre, et il est temps désormais pour la princesse de rompre le silence.  

Un silence qui n'est pas d'or

Tout l’enjeu du roman est de dire. Depuis le début, le récit est rythmé par une binarité qui fait alterner silence et parole. Madame de Clèves, à ce moment de l’histoire, ne parvient plus à réprimer les sentiments qu’elle éprouve à l’égard de M. de Nemours. Les doutes de Monsieur de Clèves, devant sa distance et son « profond silence », sont en train de croître. Parfois, il est des silences plus révélateurs que la parole elle-même : « et son silence achevant de confirmer son mari dans ce qu’il avait pensé ».  Se taire ou parler, il faut agir.

Briser le silence 

L’aveu surgit dans une grande mélopée, et débute ainsi : « - Eh bien, monsieur, lui répondit-elle en se jetant à ses genoux… ». Le silence est brisé par la parole apparemment spontanée (qui débute par une interjection) et les gestes de Madame de Clèves. Le discours direct retranscrit cet élan verbal dans lequel le personnage s’emporte littéralement, de façon théâtrale, puisqu’elle se jette « à ses genoux ». La princesse avait pourtant tenté de détourner sa réponse en disant à son époux de « songe(r) seulement que la prudence ne veut pas qu’une femme de (son) âge, et maîtresse de sa conduite, demeure exposée au milieu de la Cour », et signifiait déjà, qu’elle était exposé à mille dangers en étant entouré d’hommes. Ainsi, elle ne parvient et ne parviendra pas à nommer complètement ce qui lui est délicat, l’obligeant à emprunter des tournures allusives. Elle déclare qu’elle a « des sentiments qui lui déplaisent » certes, mais ne révèle pas clairement, par cette périphrase, qu’elle aime un autre homme, et encore moins son identité ; par crainte d’abord, par pudeur ensuite, voulue par les bienséances du XVIIe siècle.  

S’exprimer pour affirmer son identité

La parole dans le roman est le lieu par excellence où le personnage peut s’affirmer comme étant maître de lui-même. Car est-ce par affection pour son mari ou par égoïsme que notre héroïne décide de tout révéler, ou presque ? Cet aveu, à cet endroit du roman, est pour le moins improbable pour ce siècle où les ménages ne résultent généralement pas d’amour mais de convenances. Cela, le récit nous le fait comprendre par les paroles de la princesse, annonçant qu’elle va « faire un aveu que l’on n’a jamais fait à son mari ». Le personnage, par son courage, passe pour une héroïne et elle s’en flatte elle-même en rappelant la dimension incroyable de son comportement. Elle dira ainsi à son mari : « Songez que pour faire ce que je fais, il faut avoir plus d’amitié et plus d’estime pour un mari que l’on n’en a jamais eu ». Le lecteur le voit bien. Si l’un des enjeux de l’aveu est d’être honnête avec son interlocuteur, la motivation égocentrique apparaît bien ici. Il s’agit de se libérer, et cela, seule la parole l’a permis.

L’aveu, fondation du récit

Plus qu’un moment d’introspection que le genre du roman autorise, cet aveu décisif permettra au récit d’évoluer. Monsieur de Nemours, qui, dissimulé, a assisté à la scène, vient d’apprendre que la princesse l’aime ; Monsieur de Clèves prend conscience des sentiments de sa femme ; et la Princesse de Clèves a mis son mariage en péril. Le roman prend alors une nouvelle tournure autorisée par les trois aveux qui rythme l’intrigue.

 

En savoir plus

La Princesse de Clèves, Madame de La Fayette

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