Dans « Le cratère » (Sabine Wespieser), Arièle Butaux ose lever le voile sur l'abyme intérieur provoqué par la mort de son frère handicapé. L'écrivaine nous livre un texte vibrant, aussi intense qu'essentiel, qui nous laisse le souffle coupé. « Le cratère » a été couronné par le Prix de la Closerie des Lilas 2024.
Est-ce pour conjurer le silence qu'Arièle Butaux est devenue musicienne, puis journaliste à France Musique où elle produit et anime de nombreuses émissions ? Le silence d'une blessure. Celle qui l'a consumée de l'intérieur alors qu'elle n'était qu'une enfant. Au soleil noir de la mélancolie, Arièle Butaux a préféré les envolées symphoniques et les violons de la vie.
Dans son dernier livre, Le cratère, elle ose lever, pour la première fois, le voile sur son abyme intérieur. Cet abyme, un cratère, provoqué par le deuil de son frère. Un deuil si douloureux, si profondément bouleversant. Une déflagration, avec sa force et son incandescence. Là où il n'y a pas de mots, il reste l'écriture.
Alors, Arièle Butaux se souvient son enfance. Il était une fois, une petite fille qui s'appelait Aurore. Son grand frère Lucas ne parle pas et ne bouge presque plus. Malgré le handicap, l'auteure raconte le lien qui se tisse sans paroles. Elle raconte aussi la force de son éclosion, pendant que son frère s'efface de plus en plus. Elle grandit si bien, Aurore. Si enjouée et si vivante. Arièle Butaux raconte aussi les non-dits, les sanglots étouffés des parents et des grands-parents. Elle raconte ces deux temporalités, côte à côte : celle qui annonce bientôt sa finitude et celle qui se prépare à l'envol de l'adolescence.
Malgré la mort sous-jacente, l'auteure écrit un texte sensuel, presque gourmand. Entre les mains d'Aurore coulent les petites choses de l'enfance, ces multiples sensations d'éveil au monde : saveurs, odeurs, audaces, expériences... Dans cette chronique d'une mort annoncée, Arièle Butaux raconte les douceurs de sa petite enfance malgré tout. Lorsqu'interviendra l'inéluctable, elle sera en train de danser, incarnant ainsi l'ultime trahison : être celle qui reste.
« Il avait suffi d'un seul coup, brutal et définitif, pour mettre fin à l'enfance.
Mais de quoi cette fin était-elle le début ? se demandait Aurore tandis que lui parvenaient ces rires d'enfants en provenance du jardin voisin. »
Le chagrin, comme un cratère, une perte de frère et d'enfance. La mort en face, trop jeune. Mais aussi une famille qui entoure, en silence.
Ce texte vibrant n'est, on l'aura compris, en aucun cas larmoyant. Il est bref, intense, à l'instar de cette vie trop tôt emportée.
Il est dédicacé :
« Aux frères et sœurs
Aux survivants »
Merci Arièle d'avoir si bien parlé, au nom de nous tous.
Et d'avoir lancé quelques poussières de lumière au dessus de nos propres cratères.
> Arièle Butaux, Le cratère, Sabine Wespieser, 128 pages, 17 euros
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