Daniel Sarfati revient sur une nouvelle d’Anton Tchekhov parue en 1894 : « Le violon de Rotschild », variation sur le thème de l'antisémitisme et de la musique. Un texte à relire avec une acuité particulière dans le contexte actuel. Et si la musique pouvait transmuter les souffrances et changer la haine en accord ?
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Iakov Matvéitch Ivanov est un vieil homme aigri de 70 ans. Il est menuisier et gagne péniblement sa vie en confectionnant des cercueils.
Les affaires marchent mal, les gens ne meurent pas beaucoup dans sa ville.
« La ville était petite, pire qu’un hameau et habitée presque uniquement par des vieillards qui mourraient si rarement que c’en était contrariant. »
Iakov joue très bien du violon, surtout des mélodies russes.
Pour quelques kopecks, il accepte de jouer dans un orchestre juif pour des fêtes, des mariages.
Il en souffre, Iakov est antisémite.
« Dès qu’il prenait place dans l’orchestre, il se mettait à suer et à rougir ; il faisait une chaleur étouffante, cela sentait l’ail à en étouffer…
Près de son oreille gauche pleurait la flûte dont jouait un maigre youpin roux qui s’appelait Rothschild comme le célèbre richard. Et ce maudit youpin se débrouillait pour jouer sur un mode plaintif même les morceaux les plus gais.
Sans raison apparente, Iakov se laissait peu à peu gagner par la haine et le mépris des Juifs en général et de Rothschild en particulier ; il se mettait à le chicaner, le couvrir de mots orduriers. Une fois, il allait même le frapper. »
L’orchestre juif se passera des services de Iakov.
Iakov vit seul avec sa femme Marfa, ils ont perdu leur unique enfant, cinquante ans plus tôt.
Ni l’un ni l’autre n’en ont jamais parlé. Ils ont gardé pour eux leur souffrance.
Un jour, Marfa tombe malade et c’est Iakov lui-même qui prendra ses mesures pour son cercueil.
Iakov n’a plus quelques mois à vivre.
Il va léguer son violon à son pire ennemi, le joueur de flûte, Rothschild.
Car il sait que seul ce juif saura tirer de cet instrument ces accords infiniment tristes, cette souffrance qu’il n’a jamais pu exprimer, qui l’a rongé toute sa vie.
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Daniel Sarfati est médecin ORL, passionné par le langage, par les signes, la lecture des mots qui s’écrivent, se lisent sur une page ou sur des lèvres, les histoires qui se vivent ou qui s’inventent.