Lorenzo Soccavo : de la lecture immersive à l'écriture interactive

Lire un livre et se sentir transporté. Magie de la lecture. En lisant, le lecteur se trouve plongé dans l'histoire, « comme s'il y était ». Et s'il allait plus loin et rentrait directement dans le récit pour se lancer dans une écriture depuis l'intérieur du livre ? C'est le projet un peu fou que poursuit le chercheur Lorenzo Soccavo, avec une expérience littéraire « intégrative » qu'il a imaginée à partir d'un de ses livres-fétiches, La Montagne magique de Thomas Mann. 

La Montagne magique, roman emblématique et symbolique de Thomas Mann 

Pourquoi Lorenzo Soccavo a-t-il choisi de s'attaquer à La Montagne magique, monument de plus de 800 pages ? Le roman de Thomas Mann est un roman qui regarde le monde en hauteur. Il offre une vue des paysages politiques, philosophiques et sociaux de l'Europe d'avant la Première guerre mondiale. Dans une unité de lieu, un sanatorium de Davos en Suisse, le livre parle des manipulations du temps et des effets de l'environnement sur l'identité. Les personnages incarnent différents visages de l'humanité qui se confrontent, s'assemblent et s'affrontent. Le tout dans un environnement feutré, en confinement strict, loin des fureurs du monde. Ou plutôt portant en son sein, la fureur ontologique du monde. Ici, le temps se dilate et les esprits s'élèvent, dans un mouvement apparemment immobile. Une vie spirituelle par opposition à la vie matérielle. La magie de cette montagne provoque une inversion des choses. Le héros Hans Castorp, ressent d'abord comme le lecteur un enfermement, mais finalement il se rapproche de l'essence de la vie. Même si la mort rôde au sanatorium. Il existe ainsi une tension entre le précipice, tout près, et l'appel des hauteurs. Une tension et une attraction.

La traversée du miroir : quand le lecteur devient acteur

Lorenzo Soccavo a traversé le miroir de cette montagne. Il s'est introduit en esprit dans La Montagne magique et s'est imaginé prendre place au milieu des personnages. De lecteur, il est devenu acteur, ce qu'il appelle un fictionaute, c'est à dire la part de lui-même qui se promène dans les livres de fiction. 
Pour le chercheur en prospective du livre, la lecture relève de l'expérience immersive. Que ce soit seul chez lui, en groupe ou à l'intérieur du métavers, il explore toutes les possibilités de la lecture. Pour lui, un livre se prête à une évasion qui va bien au-delà du simple divertissement. Plus fort qu'un film, plus intense qu'un jeu vidéo, la lecture d'un livre permet au cerveau de se projeter dans un autre univers. Plusieurs études en neurosciences ont d'ailleurs montré que la lecture mobilise le cerveau de façon très profonde. Une lecture attentive pourrait presque s'apparenter à un état hypnotique.  
>lire aussi notre interview de Lorenzo Soccavo sur le métavers

Retour à Davos, écrire dans et à côté du livre

De la lecture à l'écriture, il n'y a qu'un pas. Une expérience que nous pourrions qualifier de lecture immersive et interactive. Alors en quoi consiste l'expérience Retour à Davos ? 
Commençons par dire ce que cela n'est pas :

• Il ne s'agit pas d'identification. Lorenzo Soccavo ne devient pas le héros Hans Castorp. Il reste lui-même, comme un personnage, un avatar qui vient se greffer aux différents protagonistes du livre.
• Il ne s'agit pas non plus de réécriture. 
• Il s'agit encore moins d'imaginer une suite à La Montagne. 
• Il ne s'agit pas de fanfiction,  une forme de récit qui prendrait un des héros pour le transporter ailleurs.

Alors ? 
Retour à Davos propose plutôt des "arrêts sur chapitres" à découvrir dans le site Panodyssey. Des haltes au sein desquelles l'auteur se place comme il le ferait dans un jeu vidéo ou dans le métavers. Des séquences qui jonglent avec les situations. Le lecteur regarde les protagonistes et les rejoint. L'auteur devient lui aussi partie du livre et du récit. 
Par cette action, non seulement le chercheur cherche à incarner l'acte de lecture, mais il confronte aussi la fiction et le réel en entrant dans le récit pour mieux l'appréhender. C'est fort et subtil. Risqué ? Tester les frontières du réel et s'autoriser une liberté imaginaire décloisonnée est un pari. Comme tout acte d'écriture finalement. Ici, l'imaginaire s'adosse à une autre réalité imaginée. C'est en cela que la démarche devient troublante. Lorenzo Soccavo traverse un miroir tout en gardant un pied de chaque côté.
>Lire aussi notre interview de Lorenzo Soccavo sur une expérience d'écriture menée sur Wattpad 

De nouvelles voies pour explorer les classiques de la littérature

Cette nouvelle forme d'écriture, adossée à un texte existant, ouvre une large voie à toutes sortes d'explorations sur les livres et la création. On peut d'ores et déjà imaginer les applications de la démarche avec les lycéens, pour les amener à une lecture immersive des classiques. On peut aussi imaginer comment ces exercices à l'ombre des grands textes pourrait aider des apprentis écrivains à explorer leur propre imaginaire. Ateliers d'écriture d'un nouveau genre, les lectures immersives de Lorenzo Soccavo n'ont certainement pas dit leur dernier mot. 

Pour aller plus loin

>Pour suivre l'expérience d'écriture de Lorenzo Soccavo : >>se rendre dans sa creative room sur Panodyssey
>Lorenzo Soccavo propose aussi des ateliers d'écriture immersive.>>Renseignements via ce contact
>Relire La Montagne magique de Thomas Mann>>acheter le livre

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Lorenzo Soccavo est chercheur associé à l'Institut Charles Cros, rattaché au séminaire Ethiques et Mythes de la Création, conférencier et prospectiviste du livre et de la lecture à Paris.
>Suivre les travaux de Lorenzo Soccavo sur son blog : Prospective du livre