Depuis le prix Goncourt pour La carte et le territoire, Michel Houellebecq est devenu persona grata dans la nébuleuse des médias: en plus d'être difficile à approcher (et prompt à disparaître, comme il l'a prouvé début septembre), l'auteur est taiseux. Pas évident pour obtenir quelques confidences sur son écriture en interview. Quand les éditions du CNRS ont annoncé la publication d'un livre d'entretien entre Juremir Machado da Silva, écrivain et traducteur brésilien, et Michel Houellebecq, en Patagonie qui plus est, l'espoir d'approcher le coeur de l'oeuvre houellebecquienne était grand. A la place, séance de diapos et glaciers bleus.
Je me souviens d'un professeur de philosophie qui demandait à ses élèves: « Avec quel philosophe voudriez-vous partir en vacances? » En choisissant notre docte compagnon de voyage, nous élisions l'auteur qui recueillait tous nos suffrages intellectuels. Juremir Machado da Silva, lui, a carrèment choisi Michel Houellebecq. Ça calme. Le lauréat du dernier Goncourt (qui ne l'est pas encore, la virée a eu lieu en 2007) pour La carte et le territoire accepte: une courte entrevue au Brésil, le temps d'égratigner subtilement et littérairement (en visant son texte, et non sa personne) Louis-Ferdinand Céline, avec un brillant et laconique « Céline, à vrai dire, a créé un genre de musique, mais une musique banale, quelque chose entre le jazz et la chanson populaire française du début du siècle. », puis le départ pour la Patagonie, Terre de Feu. On comprend l'appréhension mélée d'excitation ressentie par Juremir Machado da Silva au début du voyage: quand son épouse lui demande si Houellebecq va « parler pendant le voyage », l'écrivain brésilien hoche la tête et tente de se convaincre. « Bien sûr que oui. La Patagonie est son rêve. Il ne va pas se taire tout le temps. », assure-t-il. C'est toute la difficulté du livre d'entretien: susciter la confidence, et la retranscrire, sans paraître inquisiteur.
« - L'art, c'est la transgression? », « - Quel est le sens de la vie, Michel ? », « - Un gros sexe fait-il la différence? »: da Silva, traducteur des textes de l'écrivain français et véritable inconditionnel de son style, se comporte comme tout lecteur de Houellebecq le ferait face à l'auteur. En d'autres termes, il l'assaille d'interrogations et de remarques plus ou moins judicieuses. Le brésilien le remarque lui-même à plusieurs reprises: « sans craindre le ridicule de ma comparaison », « Je me sentis obligé de faire une citation intelligente de Baudrillard pour compenser », « je me risquai à poser cette question creuse ». L'enretien est rythmé par ces hésitations qui précèdent inévitablement des interrogations beaucoup trop générales, très "dissertations", qui chassent le naturel au galop. Si l'entretien avait pris corps dans les autres échanges plus spontanés, le livre aurait certainement permis une approche moins conventionnelle de l'oeuvre. A la place, les déambulations de l'écrivain brésilien, de son épouse Cláudia et de Michel Houellebecq, sur fond de glaciers bleus ou de self-service, n'aboutissent qu'à de brèves citations typiquement houellebecquiennes: « Hummm... Apparemment, le bout du monde est maintenant seulement une stratégie de marketing. » Bien vu, mais légèrement en deçà de ce qu'on pouvait attendre.
Finalement, même l'un des plus grands écrivains français a besoin de vacances: rythme piano pour Houellebecq, donc. Bonnet et anorak (à la fermeture récalcitrante), long dialogue sur les mérites comparés des pingouins et des loups de mer, d'accord, mais l'auteur refuse d'être un distributeur automatique de citations. Et le sens de la vie, alors? « J'allais presque le découvrir quand tu m'as interrompu [...]. Maintenant, je ne sais pas quand je serai en mesure de percer ce mystère. J'étais vraiment tout près... » lâchera-t-il malicieusement. A plusieurs reprises, on pressent que l'intimité est réelle, et qu'elle pourrait être le vecteur d'une réflexion sur les textes de l'auteur, et son écriture. Monsieur Houellebecq chante Trenet, sous les éclairages du bar de son hôtel: l'instant est précieux, le côté « humain » de l'auteur apparaît (comme si on en doutait une seconde), mais qu'en tire le lecteur? Jamais les textes ne seront évoqués dans leur construction, sauf peut-être à l'occasion d'une réflexion sur leur aspect scientifique, aspect que tout lecteur attentif aura repéré dans les oeuvres elles-mêmes. Quand Houellebecq imite Ardisson ou PPDA, on a curieusement l'impression qu'il ne fait qu'alterner entre Houellebecq mondain et Michel intime. Et jamais écrivain. Tant pis, ce sera pour les vacances de l'an prochain.
Juremir Machado da Silva, En Patagonie avec Michel Houellebecq, CNRS Editions
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