«Terres de Fiction »

Lorenzo Soccavo : « Nous sommes les jardiniers des textes que nous lisons »

Avec « Terres de fiction: De quel côté du miroir sommes-nous ? » (Bozon2x), Lorenzo Soccavo nous emmène en voyage. Le chercheur en littérature nous invite à prendre le chemin de l'imagination par-delà les miroirs des textes et les limites de nos vies. Son essai est un chemin passionnant sur la fonction créatrice de l'imaginaire. Rencontre avec un chercheur qui écrit comme il lit : en toute liberté.

Portrait de Lorenzo Soccavo © Olivia Phelip Portrait de Lorenzo Soccavo © Olivia Phelip

Avec Terres de fiction: De quel côté du miroir sommes-nous ?, le chercheur en littérature, Lorenzo Soccavo nous emmène en voyage. Un voyage dans notre imaginaire qui représente un monde infini.

Un essai qui passionnera les amoureux des livres et éclairera les réticents

Selon Lorenzo Soccavo, les livres fonctionnent sur cette planète, comme des miroirs réfléchissant nos imaginations. Ces résonances sont dynamiques, le va-et-vient est incessant entre le réel et cette reconstruction par nos projections imaginaires. Terres de fiction est un essai qui passionnera les amoureux des livres et éclairera les autres. Il lèvera le voile pour ces derniers sur le mystère de l'écrit, lieu de passage vivant et non pas figé dans un ensemble de formules-mots. 

Mots et métaphores

Pour caractériser ce lieu vivant, Lorenzo Soccavo utilise de nombreuses métaphores. L'essayiste en devient presque poète. Son autre côté du miroir à lui est une magnifique porte ouverte sur un autre monde : « Un texte littéraire, c’est-à-dire un écrit narratif tissé d’une double intention éthique et esthétique, est à la fois un terrain de chasse et une voie traversière. Il y est question de forêts. Nous le verrons. Ce type de textes est aussi à la fois un jardin et un miroir. Un miroir parce que le langage qui l’enserre le constitue de fait comme miroir, l’encercle et le glace comme une eau dormante et réfléchissante. Un jardin aussi, parce que la lecture nous institue de fait jardinier du texte que nous lisons.»

Ouvrir la porte, prendre un chemin

Pour autant, tout en nous faisant entrer dans ce cheminement qui mélange habilement les références à ses compagnons littéraires comme Gaston Bachelard, Roland Barthes ou Italo Calvino, à ses propres analyses et ressentis, Lorenzo Soccavo renvoie son lecteur à sa propre perception. Il ouvre une voie mais n'impose aucune directive. 

« La palissade ou la haie, comme la marge qui, sur la page, délimite le texte-jardin, atteste toujours du travail de gestation qui y a lieu, là, en son sein, qui y fait lieu en se verbalisant, en s’arrachant au lieu commun du non-dit, du non-lieu dans le sens juridique du terme et du lieu-dit dans son sens topographique. Le miroir du texte pourrait se traverser comme un fleuve, mais aussi est-il préférable que nous sachions sur laquelle de ses rives nous sommes. »

De laquelle de ces rives parlons-nous, ou lisons-nous ? A nous de la trouver. A chacun de la cultiver en son jardin. Terre de fictions est un éveilleur. Il nous guide vers une promenade qui nous ouvre à nos imaginaires en toute liberté.

En une belle journée d'hiver ensoleillé, nous rencontrons Lorenzo Soccavo, qui navigue toujours entre deux livres et deux fictionologies.

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Légende photo : Pour Lorenzo Soccavo, le lecteur est un jardinier. Photo Olivia Phelip.

Viabooks : Pouvez-vous nous expliquer ce que vous nommez «Terre de fiction » ?

Lorenzo Soccavo : Une Terre promise. Un monde moins cruel, un « pays où coulent le lait et le miel » comme il est dit dans l’Ancien Testament. Mais pour moi sans référence particulière à Israël. Dans nos sociétés contemporaines les mondes des fictions figurent tous génériquement une Terre promise je crois. Bien sûr, il y a des dystopies mais, à la fin, le héros s’en sort toujours plus ou moins. Le pluriel c’est juste pour signifier que dans l’élocution, même silencieuse de la lecture, les mondes fictionnels dans
lesquels nous nous absentons de celui réel dans lequel nous lisons, expriment tous en quelque sorte une nostalgie de la Terre promise. D’où le sous-titre : De quel côté du miroir sommes-nous ? Sous-entendu quand nous lisons...

D'où vous vient cette passion pour la littérature et ses mondes imaginaires ?

L. S. : Je préciserais d’abord que pour moi, c’est de langage et de fuite qu’il s’agit, de lecture et de territoires. Pour moi, la littérature est, dans les faits, un laboratoire pour éprouver l’au-delà des mots. J’ai toujours eu un rapport difficile avec le langage, notamment enfant, et en même temps je jouais beaucoup. Par le jeu, j’accédais en imagination à d’autres territoires que ceux qui étaient présents et refermés sur eux, la chambre et le jardin, et où j’échappais à la toxicité du cercle familial réduit. Un jour, une journaliste a écrit que je m’étais réfugié dans la lecture parce que j’avais eu une enfance malheureuse. C’est caricatural. Je ne suis pas une victime.

Que représente la lecture pour vous ?

L. S. : Je cherche par la lecture, dans la manifestation du langage qu’est la littérature, à approcher le passage tout en restant vivant. Il y a, je crois, une fonction psychopompe de la lecture de fictions. 

Vous avez inventé le concept de fictionaute...

L. S. : Le fictionaute représente ce que nous projetons de nous dans le monde de la fiction et de ses personnages, quand nous lisons un roman. Lorsque j'ai lu enfant le Voyage au centre de la Terre de Jules Verne,  je suis devenu fictionaute sans le savoir, emporté que j'étais dans le radeau de Jules Verne. Puis, j'ai réalisé à quel point chacun de nous, en s'immergeant dans un récit, voyage en terre de fiction, et devient ainsi fictionaute.

Que signifie l'écriture de cet essai dans votre œuvre ?

L. S. : Avec cet essai, c’est un grand jeu auto-fictionnel qui commence pour moi. Un jeu dans lequel je cesse enfin d’être une marionnette. Marionnette dans le destin tracé par mes parents. Ou tout simplement par rapport à la réalité matérielle. L'écriture est une fenêtre vers la liberté. Et c'est pourquoi le lecteur est lui aussi invité à investir cette liberté et à déployer ses ailes vers ses propres mondes imaginaires. A chacun sa traversée du miroir...

 >Lorenzo Soccavo, Terres de fiction: De quel côté du miroir sommes-nous ?, Bozon2x, 142 pages, 16 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien

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A propos de Lorenzo Soccavo

Chercheur en littérature à Paris, Lorenzo Soccavo est depuis l'adolescence un lecteur assidu passionné de romans. Après des études de psychologie et quelques années de journalisme, il se lance au début des années 2000 dans le conseil aux auteurs. Il publie plusieurs guides pratiques et s'intéresse de plus en plus aux
mutations des dispositifs et des pratiques de lecture induites par le numérique. En 2007, Malo Girod de l'Ain édite son livre Gutenberg 2.0, le futur du livre, ouvrage qui fut le premier à lancer l'idée d'une prospective du livre et à annoncer les premières tablettes de lecture à encre électronique (liseuses). S'il intervient toujours régulièrement comme conférencier, enseignant ou formateur pour tout ce qui concerne le futur du livre et de la lecture et notamment leurs nouvelles formes de médiation dans le métavers francophone, il est depuis 2015 membre de l'Institut Charles Cros auprès duquel il est rattaché au séminaire « Éthiques et Mythes de la Création ». Plus que jamais passionné par l'immersion fictionnelle, ses travaux portent aujourd'hui sur le concept original de Fictionaute (ce que nous projetons de nous dans le monde de la fiction et de ses personnages quand nous lisons un roman) et le sentiment de « traversée du miroir » par les lectrices et lecteurs de fictions littéraires.

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