"Avant que les ombres s’effacent"

Louis-Philippe D’Alembert rappelle le rôle d'Haïti pendant la Seconde Guerre Mondiale

Avant que les ombres s’effacent (Sabine Wespieser) dévoile un fait historique méconnu: le rôle d’Haïti pendant la Seconde Guerre Mondiale. Comment les Haïtiens sont-ils venus en aide à la population juive qui fuyait le nazisme ? Le livre remarquable de Louis-Philippe D’Alembert a pour sujet central la solidarité humaine, lueur d’espoir dans l' atmosphère sombre en 1939. Et par extension toutes celels qui mettent en cause la vie humaine. Un livre instructif autant que bouleversant.

Avant son arrivée à Port-au-Prince à la faveur de ce décret, le docteur Ruben Schwarzberg fut de ceux dont le nazisme brisa la trajectoire. Devenu un médecin réputé et le patriarche de trois générations d’Haïtiens, il a tiré un trait sur son passé. Mais, quand Haïti est frappé par le séisme de janvier 2010 et que sa petite-cousine Deborah accourt d'Israël parmi les médecins du monde entier, il accepte de revenir sur son histoire. Pendant toute une nuit, sous la véranda de sa maison dans les hauteurs de la capitale, le vieil homme déroule pour la jeune femme le récit des péripéties qui l’ont amené là. Au son lointain des tambours du vaudou, il raconte sa naissance à Łódź en 1913, son enfance et ses études à Berlin – où était désormais installé l'atelier de fourrure familial –, la nuit de pogrom du 9 novembre 1938 et l'intervention providentielle de l’ambassadeur d’Haïti. Son internement à Buchenwald ; son embarquement sur le Saint Louis, un navire affrété pour transporter vers Cuba un millier de demandeurs d’asile, mais refoulé vers l’Europe ; son séjour enchanteur dans le Paris de la fin des années trente, où il est recueilli par la poétesse haïtienne Ida Faubert, et, finalement, son départ vers sa nouvelle vie : le docteur Schwarzberg les relate sans pathos, avec le calme, la distance et le sens de la dérision qui lui permirent sans doute, dans la catastrophe, de saisir les mains tendues.

Une saga familiale

Le roman se passe lors d’une nuit où le Docteur Schwarzberg raconte à sa petite cousine pour la première fois l’histoire de leur famille. Il lui conte le long périple qui le conduisit des bords de la Lodka, en Pologne, jusqu’à Port-au-Prince en Haïti.  Avant que les ombres s’effacent est donc une saga familiale sur quatre générations. Le portrait de cette famille haut en couleur, est librement inventé et s'inspire de ces familles juives d'Europe centrale, répandues aux quatre coins du monde, qui ont fui face à la menace nazie de plus en plus concrète. Cette famille originaire de Pologne, installée en Allemagne afin de fuir les humiliations se retrouve une nouvelle fois contrainte de tout abandonner pour sauver les siens.  Dans la famille Schwartzberg on suit Ruben qui deviendra un citoyen haïtien, Salomé qui ira à New York accompagnée de son mari et de ses parents et Ruth qui partira fonder le futur Etat d’Israël. Le déroulement de ce récit autour du monde est rocambolesque et s’appuie principalement sur des concours de circonstances fortuits. Cependant la véritable délivrance viendra avant tout de l'accueil des haïtiens.

L’Histoire comme maitre mot

Suspendue aux lèvres de Ruben Schwarzberg, comme Deborah, le lecteur découvre l’incroyable histoire de cet homme, qui va au-delà d’un simple roman. A travers ses péripéties, nous explorons de nombreux pans de l’Histoire réelle. Notamment l’épisode du Saint-Louis. Transatlantique allemand sur lequel plus de neuf cents juifs avec un visa ont embarqué le 13 mars 1939. Cependant ni Cuba, ni les Etats-Unis, ni le Canada n’acceptèrent de les accueillir sur leur terre et les obligèrent à retourner en direction de l’Allemagne. Durant la traversée du retour, Morris Troper, directeur pour l'Europe de l'American Jewish Joint Distribution Committee, entreprit des démarches pour trouver une issue. Le capitaine Schröder avait notamment envisagé d'échouer son navire sur les côtes britanniques, de manière à rendre impossible le retour de ses passagers en Allemagne. Cette affaire fit beaucoup de bruit et heurta l’opinion publique. Par suite la Belgique, le Royaume Unis, les Pays Bas et la France acceptèrent d’accueillir une partie des passagers qui avaient embarqué depuis 44 jours.

On apprend également que l'état haïtien a délivré des passeports, à partir de 1939, à tous les juifs qui le demandaient afin qu’ils puissent enfin trouver une terre d’accueil. De ce fait Haïti déclare la guerre à l'Allemagne du IIIe Reich, à l'Italie et au Japon le 12 décembre 1941.

Ces évènements de l’Histoire se mêlent adroitement avec l’histoire vraisemblable et nous transportent aux cotés de Ruben Schwarzberg.     

Notre avis ?

Si les livres sur le Seconde Guerre Mondiale foisonnent pour cette rentrée littéraire, Avant que les ombres s’effacent s’émancipe du lot en évoquant un moment de l’histoire rarement évoqué ; le rôle de terre d’accueil d’Haïti pour les juifs. Si l’Histoire reste sombre, le récit de Louis Philippe D’Alembert regorge d’humour, d’autodérision et de légèreté qui ouvrent le chemin vers l’espoir, la lumière et le sourire. Ce livre passionnant s’appuie sur un fond historique mais permet tout de même aux lecteurs de s’évader vers d’autres horizons. Un héros au cœur de situations extravagantes et l’imagination débordante de l’auteur font de ce livre une véritable réussite. C’est une œuvre que l’on a hâte de retrouver le soir et que l'on quitte avec regret. La belle plume de l’auteur est un vrai plus à la fois poétique et sensuelle, bien qu’elle soit tout en simplicité. Si l’on devait retenir un point important de livre ce serait le message qu’il délivre à notre société.  Une belle leçon de vie d’un pays caractérisé par son courage bien qu’il soit régulièrement malmené par les éléments naturels.

Quelques extraits

« Le Vendredi 12 décembre 1941, par une paisible matinée caraïbe où le soleil, à cette époque de l’année, caresse la peau plutôt que de la mordre, la république indépendante, libre et démocratique d’Haïti déclara les hostilités au IIIe Reich et au Royaume d’Italie. L’annonce prit de court les citoyens, qui, tournés vers les festivités de Noël, avaient déjà oublié que, quatre jours plus tôt, incapable d’avaler l’anaconda de Pearl Harbor, leur bout d’île avait fait une virile entrée en guerre contre l’Empire nippon. L’information avait déboulé à la vitesse d’un cyclone force 5 sur la planète ; des centaines de millions de sceptiques avaient eu du mal à en croire, qui leurs yeux, qui leurs oreilles, selon qu’ils l’avaient lue dans les gazettes ou captée sur leur poste TSF. Les têtes couronnées du Japon et leurs fidèles sujets n’en étaient toujours pas revenus. »

« Le Dr Schwarzberg ne mit pas longtemps à s'en apercevoir: à l'hôpital, dans les ministères comme dans le reste de la fonction publique, les postes de décision semblaient revenir de droit à une minorité, les Mulâtres, reconnaissables à leur peau moins sombre et aux cheveux moins crépus, quitte à forcer sur la vaseline, encore que, pour certains, il fallait chercher à la loupe les différences avec la masse. Mais ici, les multiples nuances épidermiques, dans lesquelles le docteur se perdait, revêtaient une importance considérable, pouvant décider de l'appartenance sociale, et donc du destin d'un individu. »

« S'il avait accepté de revenir sur cette histoire, c'était pour les centaines, les millions de réfugiés qui, aujourd'hui encore, arpentent déserts, forêts et océans à la recherche d'une terre d'asile. Sa petite histoire personnelle n'était pas, par moments, sans rappeler la leur. Et puis, pour les Haïtiens aussi. Pour qu'ils sachent, en dépit du manque matériel dont ils avaient de tout temps subi les préjudices, du mépris trop souvent rencontré dans leur errance, qu'ils restent un grand peuple. »

Louis Philippe d’Alembert, le vagabond haïtien

 

Louis-Philippe Dalembert est né à Port-au-Prince en 1962. Il grandit au Bel-Air, un quartier populaire de la capitale, dans un univers entouré de femmes, son père étant décédé quelques mois après sa naissance. C’est donc au côté des cousines de sa mère, sa sœur ainé, ses grandes tantes et sa grand-mère qu’il grandit. À l'âge de six ans, il connaît la première grande séparation de sa vie : la famille laisse le quartier et part s'installer ailleurs. De cet épisode il en fera un roman intitulé "Le crayon du bon Dieu n'a pas de gomme", trace d'une enfance très religieuse placée sous le signe du sabbat. Louis Philippe Dalembert suit une formation littéraire et journalistique et travaille comme journaliste d'abord dans son pays natal. Il part ensuite en France en 1986 afin de poursuivre ses études qu'il achève à l'université Paris-III - Sorbonne Nouvelle par un doctorat en littérature comparée sur l'écrivain cubain Alejo Carpentier. La vie de l’écrivain est marquée par ses voyages. Depuis son départ d’Haïti, il a vécu tour à tour à Nancy, Paris, Rome, Jérusalem, Berlin, Milwaukee… Ces lieux se retrouvent d’ailleurs régulièrement dans ses œuvres et se font souvent écho. Aujourd’hui l’auteur vit entre Paris, Port-au-Prince, l'Italie et ailleurs. En 2010 il est fait Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres. Depuis 1993 Louis Philippe Dalembert publie chez divers éditeurs, en France et en Haïti, des nouvelles (au Serpent à plumes dès 1993 : Le Songe d’une photo d’enfance), de la poésie, des essais (chez Philippe Rey/Culturesfrance en 2010, avec Lyonel Trouillot : Haïti, une traversée littéraire) et des romans (Au Mercure de France : Noires blessures en 2011 et Ballade d’un amour inachevé en 2013). Professeur invité dans diverses universités américaines, il a été pensionnaire de la Villa Médicis (1994-1995).  Il a été lauréat de nombreux prix dont le prix RFO en 1999, le prix Casa de las Américas en 2008 et le prix Thyde Monnier de la SGDL en 2013.

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