Marilyn : son sourire, ses diamants, ses amants… on avait oublié ses écrits. En effet, Marilyn Monroe n’aimait pas seulement les écrivains, mais aussi les livres et parfois même, s’essayait-elle à la poésie. Un livre tente de nous montrer ce nouveau visage de la star au destin aussi brillant que tragique. Plus proche des carnets d’une jeune fille en pleurs que d’une poétesse méconnue, cette nouvelle livraison vouée à Norma Jeane contribue surtout à la dévoiler dans sa fragilité de fille en quête d’auteur, à défaut de la révéler comme grande dame des lettres…
[image:1,l,m]C’est un livre rouge, gravé à ses initiales : M.M. Une couverture un peu matelassée qui rappelle un journal intime. On l’ouvre avec l’impression de violer l’intimité d’une jeune fille et on découvre quelques lettres, des poèmes griffonnés, des écrits en réflexion. Ces fragments racontent par le menu les miettes d’une vie en morceaux, qui d’une nuit à l’hôtel, d’un voyage en autocar ou d’un séjour en clinique psychiatrique indiquent toujours le même chemin sans issue.
Mademoiselle Monroe avait besoin des mots, davantage pour déverser ses maux que pour faire œuvre littéraire. Ou alors on a mal compris le message. Car on aura beau dire, lorsque l’on découvre cette photo de Marilyn avec son adorable petite tête blonde en train de lire Ulysses de Joyce, on se dit qu’Arthur Miller avait sacrément de la chance. Les ravissantes fausses idiotes ont un cerveau et même parfois une tête bien pleine. Et il y en avait des choses dans cette petite tête : mais des choses plutôt tristes, inquiètes, fragiles. D’un constat simple « J’étais une jeune fille mince et joliment faite » , Norma Jeane qui est devenue entre temps Marilyn écrit plus tard : « Ce n’est pas si facile de se connaître trop bien ou de penser qu’on se connaît. Chacun a besoin d’un peu de vanité pour surmonter ses échecs ». La gloire serait-elle déjà le deuil éclatant du bonheur ? Déjà Marilyn se brûle les ailes à une célébrité qui ne la guérit pas d’un vague à l’âme qui l’habite depuis toujours. Ses poèmes griffonnés parfois sur un papier à lettre d’hôtel expriment cette profonde solitude des êtres marqués par une vie singulière : « Seuls quelques fragments de nous/Toucheront un jour des fragments d’autrui ». Conscience d’une impossible fusion au monde, malgré le désir, malgré les amours.
Une souffrance quasi- baudelairienne semble grandir au fil des écrits, comme un mal inéluctable : « O violence, ton calme me fait mal à la tête » écrit–elle. Les psychanalystes semblent impuissants à accompagner la belle incandescente. Le 1er Mars 1961 elle est hospitalisée à la clinique Payne Whitney, où elle écrit : « Je me sentais dans une sorte de prison pour un crime que je n’avais pas commis ». Les quelques livres de sa bibliothèques montrent que Madame Bovary côtoyait La chute d’Albert Camus, On the road de Jack Kerouak ou James Joyce. Tant de pages comme des compagnons de doute, à côté de la star. Elle mourra le 5 Août 1962, et rien, ni les carnets, ni les livres, ni les autres n’y purent rien changer.
Antonio Tabucchi dans sa préface nous parle de « la poudre du papillon », cette substance qui lorsqu’elle s’envole annonce la mort de l’insecte. Il évoque aussi Vladimir Nabokov qui aimait introniser ces frêles beautés éphémères en lolitas littéraires. Mais qu’y a-t-il de littéraire dans ce regard sur quelques carnets intimes, dont il ressort qu’il ne suffit pas de souffrir, ni d’épouser un écrivain pour devenir une plume ? Qu’y a-t-il qui ne soit pas juste indiscret, pour ne pas dire indécent ? Heureusement que les psychanalystes de la star avaient une conscience et pas de majordome, car sinon on aurait eu en bonus les bandes enregistrées de ses séances de divan. Heureusement donc, ce ne sont que quelques lignes épar-pillées, qui dévoilent une souffrance, mais ne livrent rien. On voudrait nous faire croire que Marilyn était femme de lettres : ses écrits révèlent plutôt qu'elle était femme en quête de « l’être », plutôt, dont les mots laissaient supposer la difficulté d’exister.
Toutefois, pourquoi exhumer ces fonds de cahier ? Et pourquoi tant de fascination encore aujourd’hui pour cette star des années 50/60 , à laquelle de multiples livres se consacrent, parmi lesquels le récent et magnifique Blonde de Joyce Carol Oates? Parce que Marilyn n’est pas seulement un mythe, elle est devenue une icône. Parce que sa mort fut en tout point révélatrice des fêlures d’une Amérique que l’on voulait croire invincible. Les sixties reviennent sur le devant de la scène contemporaine en se plongeant dans la société du « tout conso aux dents blanches et aux boucles permanentes », et ses rêves de Meilleur des Nouveaux Mondes : des Noces rebelles le film de Sam Mendes à la série Mad Men, qui est devenu le phénomène numéro 1 aux Etats Unis, les exemples se poursuivent d’un engouement récent pour une époque passée au vitriol. Car, nous sommes loin de la série Happy days, représentation idéalisée de jeunes hilares à qui la vie ne pouvait que réussir. Les années 60 reviennent en pleine crise, revisitées avec désenchantement. Et Marilyn avec son sourire idéal et son désespoir solitaire, nous apparaît plus que jamais comme l’emblème de ce mythe américain déchu. Emblème et icône de ce que l’époque qu’elle incarna fut aussi légère que ses films, et aussi bancale que son mal être.
Marilyn Monroe, Fragments. Poèmes, écrits intimes, lettres, édité par Bernard Comment et Stanley Buchthal et préfacé par Antonio Tabucchi, Seuil
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