Comment goûter quelques bulles au milieu de cet océan de nouveautés en cette rentrée graphique très (trop ?) nourrie ? Que retenir ? Voici trois BD qui surfent sur ces belles vagues de l'automne : « Nostromo », « On l'appelait Bebeto » et « Salon de Beauté ». Elles résonnent avec le souffle de l'aventure, le goût de la vie et la quête d’une forme de conscience universelle. Marc Phalippou s'y est plongé pour vous.
Sortir deux ou trois titres des belles et grosses vagues d’une rentrée graphique très (trop ?) nourrie, c'est vouloir saisir quelques bulles dans un océan de nouveautés. Que retenir ? Le souffle de l'aventure, le goût de la vie et la quête d’une forme de conscience universelle guident notre sélection, subjective et personnelle.
« À mon retour de voyage (pour parler un peu dans le style de Gulliver), je trouvai toute ma famille en bonne santé, ma femme sincèrement heureuse d'apprendre que toutes ces histoires étaient terminées, et mon petit garçon considérablement grandi pendant mon absence. » Dans les notes d'introduction à son chef d'oeuvre le plus méconnu, Joseph Conrad - dont on célèbre le centenaire de la mort - l'avoue : écrire Nostromo fut un vrai voyage, comme hors de chez lui et étranger aux siens pendant deux ans, de 1902 à 1904. Alors, pour le lecteur... un enchantement !
Un voyage dans un pays fictif d'Amérique du Sud
Nous sommes dans la seconde moitié du XIXe siècle au Costaguana, un pays fictif d’Amérique du Sud. Sa capitale, Sulaco, petite ville portuaire à l'abri des troubles incessants du reste du pays derrière de hauts sommets enneigés, prospère grâce à la mine d'argent de San Tomé, gérée par Charles Gould, le « roi de Sulaco ». Quand les frères Montero, deux généraux entrent en guerre contre le président Ribiera, ami de Charles Gould, les notables de la capitale envoient des troupes pour soutenir le parti ribiériste et confient les lingots d’argent de la mine au chef des dockers de Sulaco, le « Capataz de Cargadores », Nostromo. Et si la capitale faisait sécession ?...
Une nouvelle clé pour pénétrer dans l'imaginaire de Joseph Conrad
Un critique disait de Nostromo qu'il s'agissait « d'un livre qu'on ne peut lire que si on l'a déjà lu ». Avec cette adaptation en BD, le lecteur a désormais une autre clé d'accès pour découvrir ou retrouver l'imagination, le soin, le talent de narrateur, l'esprit et la conscience de Conrad.
Un dessin d'aquarelles fortes et sensibles
Les aquarelles fortes et sensibles de Maël saisissent et pénètrent le pays de Conrad sous tous ses points de vue. Des légendes qui y courent aux capitaux qui s'y placent, de l'argent de la mine au bleu de l'océan. Nostromo, marin génois débarqué en Amérique du Sud, est le grand frère d'un certain Corto Maltese inspiré par Conrad à Pratt. Maël insuffle aux traits de son héros cet air de famille, l'esprit et la conscience rebelle des solitaires que le peuple aime et appelle sans pouvoir les retenir. La galerie des autres personnages est tout aussi riche, intense, juste et vivante.
Une forme de récits emboîtés
La forme de ce Livre Premier épouse le style de Conrad avec ses récits emboîtés. Maël ancre son histoire dans les lieux et dans les gens et conduit le lecteur avec art dans ce pays prêt à quitter le giron de la vieille Europe pour mieux tomber sous la coupe de l'impérialisme américain. À la frontière que l'humain révise sans cesse entre l'intérêt matériel particulier et le bien commun. L'esprit de Conrad et de « son homme » flotte sur cette pépite en BD.
>Nostromo, tome 1 (Premier livre). D'après l'œuvre de Joseph Conrad. Adaptation et dessins de Maël, Futuropolis, 128 pages. 24 euros. >> Pour acheter le livre, cliquer sur le lien
Carlos, le héros-narrateur de On l'appelait Bebeto se souvient de son enfance à Sant Pere, une banlieue de Barcelone, dans les années 90. Au décès de son grand frère Miguel, il perd son gardien, rempart contre la cruauté de certains enfants et son poisson-pilote pour le monde des grands. Le vide. Bebeto, étrange adolescent attardé, et sa cousine Sorrow - « en espagnol, Dolores sonne vraiment trop douloureux » dit-elle pour justifier son surnom - s'y glissent...
Un premier roman graphique complet pour Javi Rey
Javi Rey signe avec ce 10ème album son premier roman graphique en tant qu'auteur complet. Le dessinateur né à Bruxelles et qui vit en Catalogne depuis l'âge de 3 ans, a l'art du récit en images. Adelante !, Un maillot pour l'Algérie et Violette Morris l'ont prouvé sur les scénarii qu'on lui confiait. Ses propres adaptations aussi : Intempérie d'après Jesús Carrasco, primé au Salon de la Bande Dessinée de Barcelone et nommé aux Eisner Awards et le magnifique Un Ennemi du Peuple, tiré de la pièce d'Ibsen.
La grâce et la fin de l'enfance
L'auteur puise dans cet art et les souvenirs de sa propre jeunesse, l'essence d'un album précieux, intime et universel. Le récitatif a la tendre mélancolie des rêves d'enfant qui ont la vie dure. Le découpage et les dialogues disent la grâce mais aussi la tension de la fin de l'enfance. Le trait rond et réaliste croque chacun avec amour et passion. La palette rayonne du soleil qui baigne cette banlieue de Barcelone, où l'industrie et les terrains de foot ont pris la place des champs et de la fontaine dédiée à Saint-Pierre. La mer, la plage et quelques rochers eux, n'ont pas bougé ! Comme un souvenir d'enfant miraculeusement préservé.
> On l'appelait Bebeto. Scénario, dessin, couleurs : Javi Rey. Dargaud. 144 pages. 24 euros. >> Pour acheter le livre, cliquer sur le lien
Il y a un peu plus de 30 ans, en 1993, l'auteur mexicain Mario Bellatin signe son quatrième roman, Salon de Beauté. Devenu un des classiques de la littérature latino-américaine, traduit et paru chez Stock en français en 2000, le roman, diaphane et sensible, a été finaliste du Prix Médicis étranger. Le livre touchait par son fond comme son ton, empreints de cruauté et de poésie réunies. La BD aussi.
Salon de beauté le jour et prostitution au parc la nuit
Le héros, narrateur du roman comme de sa tendre et intense adaptation graphique, tient un salon de beauté pour femmes le jour et, la nuit, tapine en travesti dans le parc interlope d'une banlieue sordide. Pour ajouter des paillettes à sa vie et celle de ses clientes, il met des aquariums dans son salon. Mais bientôt les poissons tombent malade, ses amis aussi. Les poissons peuvent influer sur l’humeur des personnes dit-on. Le temple de la beauté se mue en mouroir…
Les poissons comme métaphore
Quentin Zuttion donne à ce récit le même ton allusif et attachant qu'à son dessin. Le drame et le sourire se côtoient, comme la vie et la mort, l'amour et la maladie. C'est cru aussi, parce que la vie est cruelle. Et poétique, comme cette métaphore que le roman graphique tisse et explore avec art :
« - Vous venez faire le plein de nourriture pour vos poissons ?
- Il me faudrait une vingtaine de boîtes, oui. Et des vitamines. J'ai un poisson qui est mort ce matin.
- Que s'est-il passé ?
- Aucune idée. Les autres ont commencé à le dévorer.
- Vous savez, vous devriez leur prendre quelques algues et rochers. Les plus chétifs pourront les utiliser pour se cacher. C'est assez fréquent qu'ils décident de tuer les plus faibles ou les malades, pour se préserver.
- Se cacher... Toujours se cacher. C'est pas une vie, ça. Moi, je pense que parfois il vaut mieux mourir que survivre.
- C'est une façon de voir. »
(Page 30)
Tout le monde ne plongera pas dans ce roman graphique dur et imagé pendant les années Sida. Mais si on se laisse aller, la charge humaine sera d'autant plus forte que le sujet traité avec art force l’empathie, une profonde tendresse et une douce et saine révolte.
> Salon de Beauté. D'après le roman de Mario Bellatin. Scénario, dessin, couleurs : Quentin Zuttion, Dupuis, 184 pages . 24,50 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien
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