Le géant des lettres américain, Philip Roth, est mort à 85 a ans le 23 mai 2018. Il était entré de son vivant dans la plus prestigieuse collection des lettres françaises : la Pléiade, mais malgré son statut de favori n'avait jaais obtenu le Prix Nobel de littérature. Viabooks revient sur le parcours du grand écrivain américain, à la personnalité surprenante et sur son œuvre. Ou comment un écrivain controversé est devenu une icône.
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Philip Roth est un écrivain américain, né en 1933. Ses grands-parents, immigrés juifs, sont originaires de Galicie. Ils arrivent aux Etats-Unis au tournant du XXème siècle. Philip Roth grandit avec sa famille dans la banlieue de New York, un quartier de la petite classe moyenne juive de Newark. Ce lieu sera la scène principale d’un grand nombre de ses romans. Après son cursus universitaire précédant l’enseignement des lettres et de la composition qu’il donne dans les universités de Chicago et de l’Iowa, il s’installe à New York pour se consacrer à l’écriture. En 1959 l’écrivain publie son premier ouvrage Goodbye, Columbus. Ce dernier sera un succès et recevra le National book Award 1960. Dix ans plus tard, Philip Roth est enclin à une célébrité phénoménale avec la publication de Portnoy et son complexe. Ce roman comique en forme de monologue aborde l’histoire d’un jeune avocat juif traumatisé par une mère à l'amour étouffant. Ces deux premiers livres qui s’emploient à faire une satire crue des mœurs de la petite bourgeoisie juive-américaine lui vaudront la réputation d'« enfant terrible » du roman juif-américain.
Au début des années 1970, Roth s’attaque à la satire politique (Tricard Dixon et ses copains), à la parodie kafkaïenne (Le Sein) et à la fable postmoderniste (Le Grand Roman américain). Cependant il revient très vite au registre intimiste qui faisait sa réussite. Il publie donc Ma vie d'homme (1974) puis Opération Shylock (1993) et enfin Le Complot contre l'Amérique (2004). Ce style l'imposera comme le maître de l'autofiction contemporaine. Jusqu'au milieu des années 1980, Roth vit entre les États-Unis et Londres, avec sa compagne, l'actrice britannique Claire Bloom. Il publie La Contrevie (1996) et La Tromperie, des œuvres inspirées par les sentiments que lui évoquent la société anglaise. Il rédige également deux livres autobiographiques, Les Faits (1990) puis Patrimoine (1991), qui conte la dernière année de la vie de son père, Herman. Ayant renoué avec le succès critique et commercial grâce à son livre Le Théâtre de Sabbath (1995), portrait bouleversant d'un vieux marionnettiste nihiliste et lubrique, Roth entame l'une des périodes les plus productives de son œuvre. Depuis Pastorale américaine (1997), il cherche à donner à son travail une inflexion historique et se penche sur quelques-uns des grands moments de crise de la gauche américaine au XXe siècle ainsi que l'histoire de l'acculturation des Juifs aux États-Unis. En 2012 il annonce lors d'un entretien, pour les Inrockuptibles, qu'il arrête l'écriture et que Némésis (2010) restera son dernier roman.
Philip Roth a des influences très hétéroclites. Les plus fortes sur l'écriture sont les réalistes du XIXe siècle, particulièrement Henry James et Gustave Flaubert. Les grands romanciers juifs-américains de la génération précédente ont également beaucoup joué sur l’écriture de l’écrivain, tel que Saul Bellow ou encore Bernard Malamud. Les humoristes du circuit des cabarets de New York et des hôtels de Catskill, berceau de l'humour Borscht Belt, où Henny Youngman, Lenny Bruce et autres Woody Allen firent leurs débuts, ont aussi eu leur importance dans la vie de Philip Roth. Dans les années 70 il se prendra de passion pour Franz Kafka, et se rend régulièrement à Prague où il se lie aux dissidents et romanciers tchèques, parmi lesquels Milan Kundera et Ivan Klíma (ce qui lui vaut d'être interdit de séjour en Tchécoslovaquie en 1975). Ce moment de sa vie inspirera l'intrigue de L'Orgie de Prague (1985), et Roth contribuera néanmoins à faire découvrir ces écrivains ainsi que d'autres romanciers d'Europe de l'Est, tel que Bruno Schulz, dans le monde anglophone en tant que directeur de collection pour les éditions Penguin.
Philip Roth a reçu de nombreux prix prestigieux dont le prix Pulitzer en 1998 et le prix du Meilleur livre étranger en 2000 pour Pastorale américaine, le prix Médicis étranger en 2002, pour La Tache, le prix international Man Booker en 2011 ou encore le prix Prince des Asturies de littérature en 2012. En 2013, il a été fait commandeur de la Légion d'honneur par la France.
Entre les grands idéaux humanitaires qui l'animent et les obsessions inavouables qui le hantent, Alex Portnoy, trente-trois ans, est la proie d'un insoluble conflit. Élevé dans le quartier israélite de Newark, par des parents abusifs, démesurément attachés aux principes de la tradition juive-américaine, ligoté par des tabous et des interdits, submergé de conseils et d'exhortations, il est écrasé par une culpabilité d'autant plus angoissante que la sexualité et ses déviations les plus extrêmes ne cessent de l'obnubiler. Brillant étudiant, puis fonctionnaire en vue, il n'en reste pas moins un «bubala», un bébé, aux yeux de ses parents qui lui reprochent amèrement son indépendance, sa froideur apparente et surtout son refus de fonder un foyer et d'assurer la descendance. Il est probable que cette œuvre de Philip Roth ait fait énormément de bruit et de remous lors de sa parution dans une Amérique très conservatrice. Ce livre ne plaira pas à tout le monde, la sexualité omniprésente, souvent crument, en repoussera plus d’un. Pourtant cela n’enlève rien à cette histoire incroyablement brillante. L’écrivain mêle jubilation totale et humour noir à la tendresse du récit de Portnoy. Derrière l’amusement, se cache une réflexion sur le communautarisme, l’intolérance et tous les préjugés affiliés à une communauté. Après sa première œuvre l’auteur continue son chemin dans l'étude de caractère. Le personnage d’Alex Portnoy est à la fois sombre et hilarant et parfaitement abouti. Le lecteur rit tant les scènes et les anecdotes s'enchainent avec un rythme incessant. Ce texte a plus de quarante, mais confirmait déjà l’incontestable talent de Philip Roth et la portée intemporelle de cette œuvre.
Extrait : « […] ce qui me terrifiait le plus à propos de mon père, ce n’était pas la violence que je m’attendais à le voir déchaîner passagèrement contre moi, mais la violence que je souhaitais chaque soir au cours du dîner exercer aux dépens de sa carcasse de barbare ignorant. Comme j’avais envie de l’expédier, hurlant, ad patres, quand il mangeait en se servant dans le plat avec sa fourchette, ou lapait la soupe dans sa cuiller au lieu d’attendre poliment qu’elle refroidisse, ou tenter, à Dieu ne plaise, d’exprimer une opinion sur un sujet quel qu’il fût… Et ce qu’il y avait de particulièrement terrifiant dans mes vœux meurtriers tenait à ceci : si j’essayais de les réaliser, il était probable que je réussirais, il était probable qu’il m’y aiderait ! Je n’aurais qu’à bondir par-dessus la table servie, les doigts tendus vers sa trachée artère, pour qu’il s’effondre instantanément sur la table avec la langue pendante. »
Après trente-six ans, Zuckerman l'écrivain retrouve Seymour Levov dit «le Suédois», l'athlète fétiche de son lycée de Newark. Toujours aussi splendide, Levov l'invincible, le généreux, l'idole des années de guerre, le petit-fils d'immigrés juifs devenu un Américain plus vrai que nature. Le Suédois a réussi sa vie, faisant prospérer la ganterie paternelle, épousant la très irlandaise Miss New Jersey 1949, régnant loin de la ville sur une vieille demeure de pierre encadrée d'érables centenaires : la pastorale américaine. Mais la photo est incomplète, car, hors champ, il y a Merry, la fille rebelle. Et avec elle surgit dans cet enclos idyllique le spectre d'une autre Amérique, en pleine convulsion, celle des années soixante, de sainte Angela Davis, des rues de Newark à feu et à sang... Dans cette œuvre Philip Roth déconstruit l’image utopique d’un monde que l’on croit parfait. Ici le talent de l’auteur réside probablement dans son expérience, une véritable force. Tout son roman est construit sur le point de vue de Nathan Zuckerman, qui décortique et analyse la société americaine pendant de 1940 à 1970. C'est un portrait effrayant qu’il dresse du Rêve Américain, ce qui explique la référence au poème de John Milton "Paradise Lost" guidant la construction des 3 parties du roman. La plongée dans l'histoire contemporaine des USA si mouvementé est riche en enseignements. Grâce à cette œuvre le lecteur comprend davantage l'impact de l'évolution de la société sur les populations. Si nous pourrions presque effleurer le militantisme, Philip Roth parvient à rester neutre tout en exposant les travers de cette société américaine.
Extrait : « « Je me sens solitaire », lui disait-elle quand elle était toute petite, et ne réussit jamais à deviner où elle avait attrapé ce mot. Solitaire. Comment imaginer un mot plus triste dans la bouche d’une enfant de deux ans ? Mais elle savait dire tant de choses si jeune, elle avait appris à parler si facilement, au début, si intelligemment – peut-être était-ce la cause de son bégaiement, tous ces mots qu’elle connaissait mystérieusement avant que les autres enfants en soient capables d’articuler leur propre nom, peut-être était-ce la charge émotive trop lourde d’un vocabulaire qui comporte la phrase « je me sens solitaire ». »
À la veille de la retraite, un professeur de lettres classiques, accusé d'avoir tenu des propos racistes envers ses étudiants, préfère démissionner plutôt que de livrer le secret qui pourrait l'innocenter. Tandis que l'affaire Lewinski défraie les chroniques bien-pensantes, Nathan Zuckerman ouvre le dossier de son voisin Coleman Silk et découvre derrière la vie très rangée de l'ancien doyen un passé inouï, celui d'un homme qui s'est littéralement réinventé, et un présent non moins ravageur : sa liaison avec la sensuelle Faunia, femme de ménage et vachère de trente-quatre ans, prétendument illettrée, et talonnée par un ex-mari vétéran du Vietnam, obsédé par la vengeance et le meurtre. Après Pastorale américaine et J’ai épousé un communiste, La tâche, roman brutal et subtil, complète la trilogie de Philip Roth sur l'identité de l'individu dans les grands bouleversements de l'Amérique de l'après-guerre. Ici il s’attaque à ce mal nouveau, né à la fin du vingtième siècle aux Etats-Unis : le « politiquement correct ». En pleine affaire Lewinsky, alors que Bill Clinton faisait face à une menace de destitution, ce texte puissant, vient écorcher cette Amérique bien-pensante que rejette l’auteur. Il porte aux yeux de tous, le traitement réservé aux anciens combattants du Viêt Nam avec Les Farley, l’ex-mari de Faunia. Il met à nu l’exploitation des miséreux avec Faunia. Le conformisme de l’éducation à travers l’université d’Athéna et la façon dont elle a traité un homme respecté, Coleman Silk. A travers l'histoire de cet homme, c'est l'histoire de l'Amérique et de la ségrégation raciale que l'on découvre à nouveau. Les personnages sont tous plus exquis les uns que les autres. L’écrivain crée des protagonistes intenses et lève le voile sur des facettes intimes de leur personnalité sans que cela deviennent pesant. Il met en avant le contexte social de ces individus en montrant les réactions diverses face à un événement. Avec à la fois douceur et brutalité Philip Roth dénonce la bêtise humaine dans ce roman envoutant. L’œuvre a d’ailleurs été adapté au cinéma en 2003, sous le nom « La couleur du mensonge » avec Anthony Hopkins et Nicole Kidman.
Extrait : « Ce fut l’été du marathon de la tartuferie : le spectre du terrorisme, qui avait remplacé celui du communisme comme menace majeure pour la sécurité du pays, laissait la place au spectre de la turlute ; un président des États-Unis, quadragénaire plein de verdeur, et une de ses employées, une drôlesse de vingt-un ans folle de lui, batifolant dans le bureau ovale comme deux ados dans un parking, avaient rallumé la plus vieille passion fédératrice de l’Amérique, son plaisir le plus dangereux peut-être, le plus subversif historiquement : le vertige de l’indignation hypocrite. »
Snobé par le Nobel depuis toutes ces années, Philip Roth est récompensé par la littérature française en entrant dans la prestigieuse Pléiade des éditions Gallimard. Il rejoint ainsi Marcel Proust, Léon Tolstoï, Jean d’Ormesson ou Jorge Luis Borges. Pour la deuxième fois seulement de l'histoire, un écrivain étranger rejoint de son vivant le cercle très privé des écrivains publiés dans la collection française. Les œuvres de l'auteur, publiées entre 1959 à 1977, ont rejoint la Pléiade le 5 octobre. Cette entrée est due au fait que Philip Roth est considéré comme l'un des témoins les plus lucides des travers de la société américaine mais également comme un des piliers de la littérature américaine de la deuxième moitié du XXème siècle. Les pages de ce volume seront composées de; Goodbye Columbus (1959), La plainte de Portnoy (1969), plus connue sous le nom de Portnoy et ses complexes, Le Sein (1972), Ma vie d’Homme (1974), Professeur de désir (1977). Aujourd’hui Philip Roth a décidé d’arrêter d’écrire. S’il se peut qu’il ne veuille simplement pas publier le livre de trop, ce silence est également une réponse aux scandales qui ont accompagné sa carrière. Comme l'a écrit Philippe Jaworski dans la préface de ce volume pour la Pléiade, Roth a souvent été l'homme à abattre. « Il a dû affronter, depuis la publication de “la Plainte de Portnoy” (1969), un procès bruyant et confus en égotisme, au motif que certains de ses livres pouvaient passer pour des règlements de comptes personnels mal déguisés.»
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