Une fois encore Philippe Delerm nous enchante avec son dernier livre : Les instants suspendus (Seuil). En cette rentrée littéraire qui évoque la violence, le réchauffement climatique ou la guerre, l'auteur de La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules nous parle des bonheurs. Ceux qui sont juste ici devant nous, et que nous ne savons pas percevoir. Et si Philippe Delerm était un sage, qui nous offrait une méditation sur la simplicité des choses ?
Les japonais ont inventé le poème court, le haïku, pour fixer la sensation fugitive d'un moment. Philippe Delerm, lui, a inventé les polaroïds écrits, qui livrent leur concentré d'émotions et font revivre leurs instants suspendus en quelques pages. Ici l'écrit fonctionne comme l'essence première d'un parfum fort et subtil, qui laisse une trace aussi prolongée, que les mots ont été rapides.
On se souvient de la délectable sensation procurée par La première gorgée de bière qui avait fait entrer Philippe Delerm dans le clan des conteurs de plaisirs minuscules. Le voici revenu, après qu'il ait fait un détour par l'évocation de New York ( cf notre interview de Philippe Delerm sur New York sans New York), à ce qu'il fait de mieux : l'évocation subtile de sensations fugitives au charme profond, qui se fondent sur de légères oscillations du présent, celles qui pourraient échapper si l'on n'y prêtait attention. Le romancier accède à cette conscience éveillée des choses de la vie. Il trouve du merveilleux qui se cache derrière l'ordinaire. Il arrête le temps et dilate le présent. Il nous propose une respiration, une épiphanie du quotidien.
Conteur perpétuel, Philipe Delerm distille ses mots comme d'autre des perles de méditation. Lire ses textes procure le plaisir premier de ressentir ces bulles de bonheur, mais aussi celui de nous ouvrir un peu à la conscience de la beauté cachée du quotidien. Nul besoin de grandes évasions, ni de consommations effrénées: le bonheur est dans le près, juste ici. Il dépend de notre capacité à le goûter. Philippe Delerm est un maître en la matière. Peut-être même un sage. Il nous rappelle combien l'ultra-sollicitation des images et la recherche de sensations fortes masque notre incapacité à jouir des choses simples. Vacuité moderne contre jouissance terrienne. Philippe Delerm est un rêveur du présent. Un enfant qui observe, doté d'un sage qui s'arrête. Innocence et profondeur en même temps.
Dans Les instants suspendus, l'auteur nous montre que les bonheurs diffus sont partout. Ils peuvent venir de la lumière qui revient lorsque l'on sort d'un tunnel : « C'est comme un grand coup de fraîcheur, une euphorie si contenue, une extraordinaire sensation d'appartenir à tout ce dont la vitre nous sépare.» Ou des charmes de la rose trémière : «Vraiment pas bêcheuse, elle ne se formalise même pas quand on l'appelle la grosse crémière ». L'auteur s'enchante même du clin d'oeil que nous fait la vie avec son éternelle mouche de l'été dont le «rôle est de faire semblant ». Et que dit-il des Mystères du Coca ? Ce «Coca bien réel mais qui demeure imaginaire»? De la manière dont il pactise, voire dialogue, avec son vieux tuyau d'arrosage ? Ou dont il vibre au son du moteur de la deux-chevaux ? Et puis bien sûr comment ne pas citer le charmant chapitre que Philippe Delerm consacre à la rentrée, de circonstance en ce moment ? « Un matin de septembre. La lumière est d'été, déjà presque blonde, mais il fait vraiment frais. (...) On a toujours envie et peur en même temps (...) Allez la vie est neuve, étonnamment, toujours. On est comme le roi d'Ionesco. On veut bien redoubler. »
Oui, avec Philippe Delerm à nos côtés, on prend la vie, comme la rentrée, du bon côté. Et on veut bien redoubler.
> Philippe Delerm, Les instants suspendus, Seuil, 120 pages, 14,90 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien
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