Avec plus de mille prix littéraires par an, la France entretient un rapport tout à fait singulier avec sa littérature. Jamais un pays n’a connu une telle effervescence autour du livre. Récemment,les propos de la lauréate du Goncourt 2009, Marie N’Diaye ont relancé le débat sur la véritable fonction de ces récompenses et le rôle de l’écrivain primé. Retour sur cette exception culturelle dont seule la France détient le secret.
Critiqués, décriés mais néanmoins convoités et attendus, les prix littéraires n’en finissent pas de faire parler d'eux. Parfois, on les accuse d'être des machines vendues à quelques éditeurs ( le fameux pouvoir Galli-grasset), ou de ne favoriser que des choix commerciaux ou de ne servir à rien... bref on ne parle que d'eux, et même si on ne cesse de les critiquer, on ne cesse de les convoiter, de les guetter, de les commenter ... et d'en créer de nouveaux. Pourquoi tant de passion ?
S’il fallait s’interroger sur les racines de la relation qu’entretient
la France avec sa littérature, il faudrait replonger dans son histoire.
Montaigne, Sartre, Montesquieu… Ces quelques noms connus du monde, qui
ont non seulement influencé les lettres mais aussi la politique,
peuvent à eux seuls l’expliquer.
Très attachée à l’héritage que lui ont légué ses écrivains classiques,
mais également à ceux qui construiront à leur tour ce qui s’inscrira
dans son patrimoine culturel, la France aime à récompenser
l’imagination et le talent de ses contemporains.
Pour la plupart des auteurs, ces prix littéraires, décernés par des
institutions officielles ou des collèges d’écrivains, sont une
consécration. Ils viennent donner une lettre de noblesse à leurs
écrits. Un ultime couronnement : mieux que la reconnaissance des
lecteurs, celle de leurs pairs.
Pourtant, certains eurent tout autre avis sur la question. En 1951,
Julien Gracq refusa le prix Goncourt et le prix Renaudot pour Le Rivage
de Syrtes. Se contentant de son succès auprès du public, il s’insurgea
de cette course aux récompenses et dénonça une pression sur les
lauréats qui angoissaient de l’ « après ».
Et il ne fut pas le seul. En 1964, Jean-Paul Sartre refusa le prix
Nobel de littérature, militant pour sa liberté. Une prise de position
radicale s’expliquant par le fait qu’une distinction officielle le
lierait forcément à un gouvernement, lui donnant une certaine
responsabilité.
Un point de vue particulier reprenant tout son sens depuis la
controverse suscitée par Marie Ndiaye. Dans une interview publiée par
les Inrockuptibles, la lauréate du prix Goncourt, critiquant fortement
le gouvernement, avait fait polémique en justifiant son installation à
Berlin par l‘accession de Nicolas Sarkozy à la présidence. Pour
beaucoup, un représentant littéraire se doit de modérer ses paroles, de
faire preuve de réserve et de porter haut et fort les couleurs de son
pays. Mais un écrivain, sous prétexte d’être primé, doit-il taire ses
opinions ? Est-ce là le rôle d’un prix littéraire, engager la
responsabilité de l’auteur qu’il honore ? La question posée a lancé un débat. Un écrivain est libre, nous l'a rappelé le Ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, libre de dire et d'écrire ce qu'il souhaite. Un prix officiel issu d'un vote indépendant de toute institution politique n'engage son bénéficiaire à aucune obligation, si ce n'est celle d'honorer notre langue. Il pourrait en être autrement des prix émanant d'institutions publiques comme l'Académie française. En acceptant d'appartenir à l'Académie, un écrivain accepte probablement de siéger au milieu de ses pairs et d'incarner une certaine idée de la France. Nous sommes là loin de l'acceptation d'un simple prix.
En effet, n’oublions pas que la conséquence la plus évidente de l'obtention d'un prix littéraire est la promotion de l'ouvrage afin de booster ses ventes. Par ces temps de médiatisation à outrance, tout élément contribuant à "faire de la publicité" est un formidable accélérateur : quelques heures après l’annonce de sa nomination, le roman de Marie N’Diaye, Trois Femmes puissantes, passait de la 21ème à la 3ème place des ventes Amazon ! Un exploit généralisé puisqu’elle figure troisième au classement des meilleures ventes 2009, une première pour un prix littéraire.
De même, Le Roman Français de Frédéric Beigbeder, lauréat du Renaudot cette année, d’abord tiré à 50 000 exemplaires, a passé la barre des 120 000 ventes en quelques semaines. Mais la meilleure illustration reste à ce jour Jonathan Littell, qui, après avoir été primé a écoulé 700 000 exemplaires de son roman Les Bienveillantes. Ainsi, malgré le caractère inutile que leur attribuent certains, le public reste réceptif à ce genre de distinctions. Simple effet « bandeau rouge » ?
Ou du bandeau tout court, puisqu’aujourd’hui beaucoup de petits prix cohabitent avec les plus prestigieux, et font aussi leur effet. Meilleur Polar, Prix de la Science-fiction, Goncourt lycéen… ces prix venant s’ajouter aux ouvrages tels des surtitres, font bien souvent office de guide pour les lecteurs.
Cependant, certains professionnels viennent nuancer l’influence des
récompenses littéraires. Pour Marie-Rose Guarnièri, fondatrice du prix
Wepler-Fondation La Poste, les prix les plus importants, plutôt que de
lancer des auteurs, récompensent bien trop souvent des livres déjà
classés dans le top des ventes. Les chiffres seraient donc faussés et
le public bien plus connaisseur qu’il n’y paraît.
Et effectivement, plusieurs livres n’ont pas eu besoin du Goncourt pour
séduire les lecteurs, tel que L’Elégance du Hérisson, second roman de
Muriel Barbery qui s’était écoulé à 700 000 exemplaires en 2006, sans
la médiatisation dont bénéficient les livres primés !
Fort malheureusement, le contraire est aussi vrai : des romans tels que
Asiles de fous de Régis Jauffret (Fémina 2005), et Assam de Gérard de
Cortanze (Renaudot 2002) n’ont jamais vu leurs ventes décoller, en
dépit de leur prix. Les lecteurs restent donc finalement les seuls à décider du « sort » d’un ouvrage. Et primés ou pas, les livres vivent une vie qui échappe parfois à toute prévision. Et les écrivains à tout déterminisme. Cela ne s'appelle-t-il pas la liberté? C.M
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