Voilà une rentrée littéraire en format réduit, avec seulement 466 nouveautés, parmi lesquelles, 321 romans français (dont 74 premiers romans) et 145 romans étrangers. En cause ? L'inflation qui touche le prix du papier et la baisse du pouvoir d'achat des Français. Cependant, cette prudence des éditeurs n'empêche pas l'ambition. Ni l'émotion. Revue des grandes lignes qui se profilent à l'horizon romanesque de cette rentrée 2023.
Moins de 500 romans en cette rentrée littéraire, du jamais vu depuis le début du XXIe siècle en France. Les éditeurs jouent la prudence en cette période d'inflation du prix du papier et de baisse du pouvoir d'achat des Français. Mais cette rentrée ne manque pas d'ambition. Elle joue les valeurs sûres avec de nombreux auteurs abonnés aux grandes ventes.
L'exploration intime, la violence, l'angoisse climatique, la guerre, la (dé)construction du lien familial, l'identité, la mémoire, la transmission, la mort, choisie ou pas... les romans de cette rentrée surfent sur les angoisses du monde contemporain. Mais quelques écrivains osent parler d'amour. Eternellement. Et parfois ils osent même, envers et contre tout, écrire le ravissement du monde.
Ceux qui n'ont pas le cœur à la légèreté, gagnent en force.
Ceux qui se réfugient dans la contemplation, gagnent en densité.
Avant de vous donner le détail de nos sélections dans nos prochains articles, voici les grandes lignes de cette rentrée que nous avons identifiées, incarnées par quelques livres très attendus.
Tête de proue du navire amiral : comme d'habitude, Amélie Nothomb, qui en est à sa 31e rentrée. Psychopompe (Albin Michel), poursuit son introspection autobiographique, exercice où l'auteure excelle. Dans ce dernier opus, ses fans seront émus de lire ses confidences sur ses douleurs d'enfance et d'adolescence, ainsi que ses premiers pas vers l'écriture. Le lecteur découvrira sa passion pour les oiseaux, tout particulièrement, l’engoulevent oreillard. A chacun son albatros... Si d'aucuns en doutaient, ce livre montre combien le parcours d'écrivaine d'Amélie Nothomb ne se résume pas aux verres de champagne et aux grands chapeaux. Il prend sa source dans ses racines profondes et intenses, nourries dans l'adversité d'un terreau douloureux, qui s'élève dans le ciel par l'écriture.
Intime, aussi, bien que non autobiographique, le roman d'Éric Reinhardt, Sarah, Susanne et l’écrivain (Gallimard), déroule le récit de la déchéance d’une femme, Sarah, épouse et mère. Il poursuit ici son exploration des affres féminins, initiée dans L'amour et les forêts. Avec en arrière-plan, la relation entre l'écrivain et son personnage. Jeu de miroirs. Où commence et où s'arrête le réel ? On ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments. Ce livre le confirme.
Au chapitre des défis pour (sur)vivre, Sorj Chalandon nous plonge avec L'Enragé (Grasset) dans la violence d’une colonie pénitentiaire pour mineurs à Belle-Ile-en Mer, dans les années 1930. Au programme : mutinerie et fuite des prisonniers qui sont poursuivis dans toute l'île. Nous suivons avec l'auteur la quête salvatrice de l'un des prisonniers, surnommé La Teigne. Même projeté dans un autre contexte, Sorj Chalandon y place la résonance avec sa propre souffrance face à la violence se son enfance. Son empathie avec son héros n'est qu'une nouvelle déclinaison sur cette rage de vivre malgré tout et tous.
De la violence encore chez Thomas B. Reverdy, qui, dans Le Grand Secours (Flammarion) aborde celle des tensions sociales à Bondy. Il connaît cette banlieue. Il s'y replonge. Le lecteur la découvre. Mieux qu'un reportage, car on se sent happé de l'intérieur.
De la violence à la guerre, il n'y a qu'un pas. Mathias Enard dans Déserter ( Actes Sud) propose un roman touffu à travers deux récits de vie : celui d'un soldat déserteur et d'un mathématicien est-allemand, ancien déporté, dont la vie est évoquée par sa fille. La guerre et ses traces d'ombre, là où le récit cherche à reconstituer une histoire. Leurs histoires. Et toujours, cette écriture ample et magnifique de l'auteur.
Plus que jamais le climat est un sujet qui interroge et inspire les écrivains cet automne. Visionnaires ? Les records de chaleurs que la France a connus en Août ne peuvent que contribuer à pousser les lecteurs à s'intéresser à ces trois livres.
Comme l'annonce le titre de son roman, Serge Joncour s'inquiète du réchauffement climatique dans Chaleur humaine (Albin Michel). Un éleveur y est attaqué par un déchaînement de nuisibles. Tout se dérègle, rien ne va plus. Et en plus, un virus venu de Chine se répand. Toute ressemblance avec la réalité...
Clara Arnaud dans Et vous passerez comme des vents fous (Actes Sud) va encore plus loin, en montrant comment le dérèglement climatique modifie les rapports humains.
Laurent Petitmangin dans Les terres animales (La Manufacture de livres) parle d'une nature sauvage contaminée par un accident. Que vont devenir ceux qui vivent sur cette terre détériorée ? Comment la nature va-t-elle reprendre son pouvoir ? Un vis à vis étonnant entre la nature, le monde animal et l'homme, traversé par le souffle d'un vent vengeur.
La mort. Un thème éternel, que les romanciers n'ont pas fini d'approcher. Mais en cette rentrée, deux livres notables l'abordent de façon particulière, en traitant de l'euthanasie : Carole Fives dans Le jour et l'heure (JC Lattès), qui suit l'itinéraire d'un suicide assisté en Suisse et Emilie Frèche qui revient dans Les amants du Lutetia (Albin Michel) sur le suicide organisé dans une chambre du Lutetia, par un couple d'anciennes stars de la publicité des années 80. Ces deux livres parlent certes de mort, mais aussi de joie de vivre, de choix, de liberté. Ces deux livres interrogent, sans être militants pour autant. Nous ne les refermons pas comme la porte d'un tombeau, mais comme celle d'un coffre rempli d'images.
Ludivine Ribeiro tente pour sa part de redonner vie à sa mère récemment disparue dans Ma mère en toutes choses (Arléa), en évoquant les mille et un objets qui lui sont attachés. Une évocation sensible et émouvante qui dresse le portrait en creux d'une femme partie trop tôt. Objets inanimés avez-vous une âme ? L'auteure effleure petit à petit son deuil en suivant la liste de ses souvenirs.
Et l'amour dans tout ça ? Le bien nommé L'amour (Verticales) de François Bégaudeau, ose parler d'amour fulgurant, simple et durable au sein d'un couple. Comme il le décrit lui-même : «[L'amour] est nulle part et partout, il est dans le temps même. Les Moreau vont vivre cinquante ans côte à côte, en compagnie l’un de l’autre. C’est le bon mot : elle est sa compagne, il est son compagnon. Seule la mort les séparera, et encore ce n’est pas sûr. » Faut-il croire à l'amour éternel ?
Dans La Vénus au parapluie (Buchet-Chastel), le primo-romancier Thibaud Gaudry raconte la rencontre fortuite sous un parapluie, d'un homme et d'une femme, dans la queue d'un cinéma d'art et d'essai. On pourrait se trouver dans une comédie américaine tournée à Paris. Un petit air vintage et charmant qui semble hors du temps. Après la pluie, le beau temps de l'amour. Et peut-être pour la vie.
Mais, parfois le beau temps de l'amour est un préalable à de grands orages. Pour Chloé Delaume, les histoires d'amour se terminent mal en général : dans Pauvre folle (Seuil), elle narre son amour passionnel et impossible pour un homme homosexuel. Sans issue.
Pour Santiago H. Amigorena, dans La justice des hommes (POL), quand le couple se déchire, il devient source d'un théâtre destructeur, avec grande pluie et éclairs de tonnerre. Mais après le tonnerre...
Du tonnerre, il y en a aussi dans Western (Stock) de Maria Pourchet, où Alexis, un comédien, quitte la scène, las de jouer Dom Juan Il est rattrapé par Aurore qui tente de le retenir. Seuls contre tous, vont-ils survivre à la tempête médiatique ? Place au western moderne qui ne laisse pas de place aux sentiments...
Hostile au monde, l'amour peut devenir coupable et tragique, comme dans Vous ne savez rien de moi (JC Lattès), premier roman brillant de Julie Héraclès, qui revient sur l'histoire d'amour entre une jeune ambitieuse et un officier allemand. Celle qui deviendra la Tondue de Chartes à la Libération n'en sortira pas indemne. Le lecteur non plus.
Tout comme dans la descente aux enfers narrée avec éclat par Victor Dumiot, qui pourrait être le petit neveu de Bret Eston Ellis, avec son premier roman Acide (Bouquins). Ici l'amour rime avec violence, addiction et fantasme. Vertigineux. Au passage, ces amours acides révèlent un talent littéraire qui frappe fort pour son entrée dans la famille des lettres.
Très attendu, le nouveau Laurent Binet, Perspective(s) (Gallimard) se présente comme un roman épistolaire, qui revient sur le meurtre d'un peintre à Florence pendant la Renaissance. Comme toujours chez Laurent Binet, son texte est virevoltant, érudit et enlevé. On y retrouve les coulisses des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, jusqu'au Vatican. On y croise Michel Ange, les Médicis, Catherine Reine de France et d'inquiétants Savonarole. Un roman qui aurait sûrement séduit le regretté Umberto Eco.
Italie et Art sont aussi au programme de Jean-Baptiste Andrea dans Veiller sur elle (L'Iconoclaste), qui vient d'être le lauréat du prix Fnac 2023. L'auteur nous entraîne dans une histoire qui démarre dans un monastère italien, pendant qu'un homme est en train de mourir au milieu des moines. A ses côtés, une statue, sa dernière œuvre, troublante. Il veille sur elle. Le roman remonte le temps, au sein d'une Italie entre guerre et fascisme, amour et sculpture.
Léonor de Récondo choisit également l'Italie en toile de fond. Elle nous transporte à Venise au XVIIe siècle dans Le grand feu (Grasset) avec une héroïne brûlée par l'amour et la musique. Flamboyant. Peut-être le roman le plus abouti de la romancière. Décidément les décors transalpins donnent tout de suite une puissance esthétique et tragique aux romans. Le lecteur appréciera.
Et parce que l'écriture sait aussi enchanter et créer ses moments d'éternité, deux écrivains nous proposent contre vents et marées, des textes portés par la grâce : Philippe Delerm qui nous conte ses émerveillements dans Les instants suspendus (Seuil).
Tout comme Pascal Quignard qui, dans Les heures heureuses (Albin Michel), décrit « tous les visages possibles du temps, du jadis le plus lointain jusqu'aux âges eux-mêmes, jusqu'aux heures ». Il fait défiler les livres, les saisons, les paysages. La vie. Un livre essentiel, douzième tome de son œuvre, Le dernier Royaume.
Le bilan de ce rapide tour d'horizon ? Sombres ou lumineux, contemplatifs ou actifs, les romans de cette rentrée nous parlent surtout de littérature. Et cela fait du bien.
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