Chaque année, nous essayons de prendre le pouls d'une saison littéraire. Que nous réservent les écrivains ? Quelles tendances semblent se dessiner au milieu de toutes ces nouveautés ? Mélissa da Costa fait partie du lot, tout comme Olivier Norek. Signe que cette rentrée assume son ambition commerciale et moins littéraire. Mais il y a aussi quelques pépites à découvrir, comme le primo-romancier Ruben Barrouk.
Comme chaque année, la rentrée littéraire d'automne s'affiche en lettres capitales. Spécialité française, servie au moment de la fin des vacances, elle nous inonde de nouveautés. Aujourd'hui, ce sont près de 500 nouveaux livres, qui seront publiés en un mois. Même s'il s'agit d'un chiffre plus contenu qu'à l'époque pléthorique des plus de 600 nouveautés par rentrée, de nombreux éditeurs reconnaissent que l'on publie encore trop de livres pour que libraires et lecteurs puissent les absorber. Et cet automne l'enjeu est de taille : les chiffres de l'année n'ont pas été très bons.
Cependant, les librairies le savent, il existe une énergie spéciale en cette période de reprise. On pénètre dans la librairie pour acheter un cahier et on repart avec 3 romans. On est plein de bonnes résolutions (se mettre à la lecture régulière par exemple) et nourri d'un désir de poursuivre le dépaysement de l'été avec celui proposé par les livres. Embarquement immédiat pour «d'autres vies que la sienne», donc. Voilà pourquoi la rentrée littéraire reste un événement. Et voilà pourquoi, nous ne pouvons que nous en réjouir. Alors, à quoi nous attendre cette année dans les rayons des librairies ?
Tout d'abord quelques stars occupent déjà le devant de la scène, y compris s'ils ne sont pas spécifiquement considérés comme des auteurs de littérature, comme Mélissa da Costa, nouvelle première vendeuse de livres en France qui a détrôné Guillaume Musso ou encore Olivier Norek, roi du polar à la française, qui revient avec Les guerriers de l'hiver (Michel Lafon), peut-être son meilleur livre. Des titres destinés à assurer de grosses ventes. Ce ne sont pas les libraires qui se plaindront pour qui l'été olympique a été catastrophique. On retrouve les habitués des projecteurs de rentrée comme Amélie Nothomb avec son livre L'impossible retour ( Albin Michel), récit sur son dernier voyage au Japon, écrit avec humour et émotion, un très bon cru de l'auteure de Stupeur et Tremblements ( Albin Michel). On retrouve aussi Maylis de Kerangal qui a rendez-vous avec l'Histoire dans Jour de ressac (Verticales) où elle explore la destruction du Havre pendant la Seconde Guerre mondiale. Que c'est moche une guerre... Et bien sûr, nous assistons au grand retour de Gaël Faye qui nous livre avec Jacaranda (Grasset) un roman poignant sur le génocide des Tutsis au Rwanda, faisant suite à sa propre histoire racontée dans l'inoubliable Petit Pays (Grasset). Ainsi qu'à celui de Carole Martinez, qui confirme la virtuosité de son style dans Dors ton sommeil de brute (Gallimard), un roman qui évoque un cauchemar partagé. Inquiétant et fascinant à la fois. Et toujours avec cette écriture envoûtante, comme dans un songe justement.
Mais, ce qui frappe c'est le nombre de livres traversés par l'actualité du monde, avec ses inquiétudes et ses brutalités, voire sa décadence.
Sur le devant de la scène, deux auteurs de poids font déjà parler d'eux : Aurélien Bellanger avec Les derniers jours du parti socialiste (Seuil), qui décrit le sabotage de la gauche par une poignée d’intellectuels (visionnaire, car le livre a été écrit bien avant les événements actuels de la vie politique française) et Abel Quentin avec Cabane (L'Observatoire). Ces deux livres posent à la volée les questions de notre devenir et de l'évolution de notre société à bout de souffle. Le premier par la réflexion politique, le second par une analyse de l'épuisement du monde (des années 70 jusqu'à 2050, d'où le titre Cabane, signe d'une survie par un retour aux racines au sens premier du terme). Les écrivains sont-ils visionnaires ? Le débat est lancé, le rejoindrez-vous ?
La gravité est décidément dans l'air du temps. Révoltes, inflation, terrorisme... les écrivains sont interpellés. Ils tissent une toile autour de la fureur du monde, non pas pour faire joli, mais pour chercher le sens. Romans ancrés dans l'actualité comme avec Alice Zeniter qui quitte l'Algérie pour s'intéresser aux révoltes en Nouvelle-Calédonie dans Frapper l'épopée (Flammarion). De même, Justine Augier s'attaque à la question du financement du terrorisme par une grande entreprise dans Personne morale (Actes Sud). Sans parler de Kamel Daoud qui dans Houris (Gallimard) nous parle des guerres d'Algérie par le prisme d’une jeune femme algérienne et muette, Aube, dont le village natal est hantée par les fantômes de la guerre civile et de la guerre d’indépendance. Un livre d'une rare intensité qui porte un regard sans détour sur l'histoire tragique d'un pays.
Le bruit du monde résonne aussi et surtout avec la guerre. Passée, comme dans Ces féroces soldats (Buchet-Chastel), où Joël Egloff évoque le destin d'un alsacien incorporé de force dans la Wehrmacht. Et contemporaine, sur fond de guerre russo-ukrainienne dans La Ballerine de Kiev (Récamier), où Stéphanie Perez raconte sous l'angle de la danse et de l'art, la difficulté de (sur)vivre. Peut-on encore danser sous le bruit des bombes ?
On ne peut parler d'actualité sans évoquer les Etats-Unis d'Amérique, qui en pleine période pré-électorale, jouent aux dés, le destin de notre monde occidental. Alain Mabanckou s'intéresse à la personnalité hors norme d'Angela Davis dans Cette femme qui nous regarde (Robert Laffont) et la met en perspective avec l'Amérique d'aujourd'hui. Ses combats sont encore d'actualité. Le wokisme n'en serait-il qu'une dérive mal comprise ?
De nombreux livres de la rentrée parlent de famille, de filiation et de parentalité. Ainsi d'Ann d'Angleterre (Seuil) de Julia Deck, roman nourri de contradictions et d'émotions, l'un des plus marquants de cette saison sur le sujet des liens entre une fille et sa mère. Que reste-t-il d'une mère, étrangère de surcroît ? Que fut sa vie ? Julia Deck dessine un portrait, parfois grinçant, toujours émouvant.
De famille, il est aussi question avec Thibault de Montaigu, dans Cœur (Albin Michel), histoire d'une lignée hantée par la gloire et l’honneur, plongée en plein cœur de ce qui unit ses membres. Dans Madelaine avant l’aube (Gallimard), Sandrine Collette sonde deux jumelles adoptées dans un village qui s'appelle Les Montées, texte sur l’instinct de survie et le mystère des liens affectifs. Un texte âpre et lumineux.
La famille est souvent le creuset de la mémoire. L'une des révélations de cette rentrée, le primo-romancier Ruben Barrouk, est retourné sur les traces de sa famille séfarade à Marrakech, où vit sa grand-mère, personnage principal de Tout le bruit du Guéliz (Albin Michel). Il fait revivre une histoire qui est aussi celle de tous les juifs du Maroc. Mais, la filiation peut aussi revêtir un visage plus inquiétant : dans Fragile/s, Nicolas Martin (Le Diable Vauvert) place la question de la fertilité au centre de son roman de science-fiction, qui se situe dans la lignée de La servante écarlate de Margaret Atwood. La fabrication de la vie artificielle est en marche dans le meilleur des mondes...
Que serait la littérature sans l'esprit d'aventure et de voyage ? Dans Le Rêve du jaguar, Miguel Bonnefoy nous conte l'épopée d'une famille, qui traverse l'histoire du Venezuela. Une fresque qui transporte. Dans Nord Sentinelle Jérôme Ferrari (Actes Sud) est fasciné par l'explorateur Richard Burton, un roman qui nous entraîne loin et fort. Direction le Moyen Orient aussi, avec Mesopotamia (Grasset) d'Olivier Guez, qui nous invite à découvrir Gertrude Bell, contemporaine de Lawrence d’Arabie, exploratrice, archéologue, écrivaine mais aussi et surtout, diplomate clef de l’empire colonial britannique dans les années 20. Histoire et aventure se croisent sous le soleil brûlant.
Malgré les sombres perspectives, quelques auteurs allument leur lanterne des petits bonheurs. C'est le cas d'Etienne Kern, qui distille dans La vie meilleure (Gallimard), une joyeuse digression sur Emile Coué, ce médecin qui a inventé le développement personnel et la puissance de l'intention positive. Ou encore de Thomas Clerc qui nous entraîne dans une promenade au sein du 18e arrondissement avec Paris, musée du XXIe siècle (Editions de Minuit). Une déambulation dans les 425 rues, squares, places, avenues, cités, jardins, villas, boulevards, impasses et passages de cet arrondissement, que l'auteur, qui a dû lire tout Georges Perec, a entrepris d’arpenter. Et nous le suivons avec délectation dans cette promenade « du bout de la rue ».
Ce qui frappe aussi c'est la présence de plus en plus grande des femmes écrivaines. Elles imposent leur style, comme Delphine Minoui dans Bajens ( Seuil) qui revient sur le destin d'une jeune insoumise iranienne qui défie le régime de Khameini. Elles tordent le cou aux clichés comme Bénédicte Pichat dans La petite bonne (Les Avrils), qui met en scène le huis-clos entre un ancien combattant de la guerre de 14, revenu amputé et sa bonne, le temps d'un week end, pendant que la femme de celui-ci est partie chez une amie. Elles osent aller plus loin dans le thriller, en y dévoilant les noirceurs de l'âme humaine. Ainsi de Marie Vingtras qui vient nous inquiéter avec son écriture au scalpel dans Les âmes féroces (L'Olivier). Elles osent aussi parler de sexe. Les écrivaines d'aujourd'hui dans la lignée de Virginie Despentes ne sont pas abonnées aux bluettes et autres romans de gare. Les nouvelles Princesses de Clèves se déshabillent. Emma Becker s'impose dans le genre. Après La maison, la voici qui décrit les affres d'une passion contrariée dans Le Mal Joli (Albin Michel), dévoilant une liberté de ton par rapport au corps et aux conventions.
Incontournable, la littérature américaine occupe une nouvelle fois le devant de la scène de la littérature étrangère. Star incontestée, James Ellroy nous transporte avec Les enchanteurs (Rivages Noir). Celui qui vient de recevoir le prix du magazine Transfuge et qui sera invité d'honneur du prochain festival America nous fascine toujours autant. On commence son livre et on ne le lâche plus. Los Angeles, 1962. Mort de Marilyn, kidnapping d'une actrice de série B, enquête d'un flic improbable... la ville des anges est aussi celle des ombres. Et James Ellroy en est décidément un conteur enchanteur. Autre pointure des lettres américaines, Richard Ford, nous entraîne dans Le paradis des fous (L'Olivier), pour un road trip tout sauf larmoyant, entre un père vieillissant (toujours le même héros Frank Bascombe ) et son fils malade, qui déambulent dans une Amérique déjantée. Michael Cunningham fait son grand retour avec Un jour d'Avril ( Seuil), qui raconte les liens, réels ou décevants, entre différents protagonistes pendant la Covid. Ces heures sombres et étranges mettent en lumière une réalité nouvelle ou sous-jacente. On pensait qu'on en avait fini avec les livres post Covid, mais ce mois d'Avril propose une nouvelle partition. La musique Cunningham. Roman typiquement américain, grande fresque nourrie, documentée, écrite comme un film, Bien-être (Gallimard) de Nathan Hill s'impose. L'auteur sait raconter une histoire et créer des personnages de chair et d'os à partir du papier. Un roman sur le parcours d’un homme et d'une femme, de leur rencontre dans la bohème artistique de Chicago en 90 jusqu’à leur vie de couple très « middle-class » vingt ans plus tard. Miroir sans concession sur cette Amérique qui perd sa lumière, comme la jeunesse qui se tarit avec les premières rides. Roman à ne pas rater non plus en cette rentrée : Long Island (Grasset) de Colm Tóibín. Le retour aux sources d'une femme irlandaise qui quitte Long Island pour se rendre dans son Irlande natale. Un très beau portrait de femme, un texte puissant, qui explore l'intimité et la renaissance du passé.
Quittons la littérature américaine et rejoignons l'Espagne. Dans un genre qui n'a rien à voir, inattendu et ébouriffant, le premier livre de nouvelles de Pedro Almodóvar, Le dernier rêve (Flammarion) est un recueil de textes écrits depuis les années 60 où se mélangent souvenirs, contes, histoires... Le cinéaste espagnol est un conteur éclectique qui confirme son imagination à 360 degrés. A lire ses textes, on voit défiler une vie, une inspiration. On prend la mesure d'une personnalité. Ecrire n'est pas filmer, et lire n'est pas visionner un long-métrage. Almodovar livre des morceaux de lui-même dans ce cocktail qui traverse les années. A sa façon, c'est le livre qu'il célèbre. Tout est narration, mais rien ne remplace les pages blanches qui s'animent sous la plume.
Vive les livres et bonne rentrée à tous !
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Légende photo : en haut de gauche à droite : Deloupy (Les Arènes), Carole Maurel (Glénat), Pierre Van Hove (Delcourt/La Revue Dessinée), Sébast
La Centrale Canine décerne chaque année son Prix Littéraire aux 3 meilleurs ouvrages mettant à l'honneur la relation humain-chien.