Plus de sept cents nouveaux romans publiés pour cette rentrée littéraire. Que nous réserve le cru 2010? De nombreuses têtes d'affiches et quelques découvertes. Une rentrée qui se place aussi sous le signe du numérique avec près de la moitié des livres publiés sous ce nouveau format. Moment crucial de l'année pour le monde de l'édition, la rentrée littéraire, une exception française? Viabooks suivra tout au long de l'automne ce vaste champ de réflexion.
A
chaque mi août, c'est la même chose côté livres: Une effervescence après
le calme plat général de l'été. Des libraires débordés recevront en un
temps bien restreint des centaines de livres. Les gros tirages placés en
têtes de gondole laisseront-ils la place aux premiers romans? Sortir
son premier roman à cette période de l'année peut être une stratégie
mais il faut que l'éditeur en soit le maître. D'autant qu'en cette
époque, on parle davantage chiffres que lettres. Le dernier roman de Claudie Gallay est tiré à 222.000 exemplaires contre 132 000 pour Amélie Nothomb ou 75.000 pour le dernier Bret Easton Ellis. Et la littérature dans tout ça? Les enjeux commerciaux pèsent parfois plus lourds que le seul contenu.
Cette
rentrée est bien une tradition franco-française qui a maintenant plus
d'un siècle, conséquence de la multiplication des prix littéraires. En
1903, le prix Goncourt lançait le mouvement. Le
Prix Fémina en 1904 puis le grand Prix de l'Académie française en 1918
et le Renaudot en 1926.. De mi Août à fin Octobre, c'est un déferlement
de nouveautés. Entre enjeux littéraires et succès commerciaux, les
jugements des éditeurs sont partagés. Pour les auteurs, c'est une
période décisive et la course aux prix.
Yves Michaud écrivait dans son texte "La Crise de l'Art
Contemporain" que l'art se retrouverait "quand nous aurons de nouveau
besoin de lui". Et voilà qu'il se trouve au coeur de bon nombre de
romans cette année. L'art en tant qu'identité du sens et de sa
manifestation demeure intégralement et par sa définition une preuve de
la liberté spirituelle de l'homme. Le roman très attendu de cette
rentrée en domaine français est "La Carte et le Territoire" de Michel Houellebecq.
Le mauvais garçon des lettres françaises fait de nouveau sensation avec
un livre centré sur des sujets d'actualité et particulièrement sur
l'art contemporain. L'art est aussi le point de départ et le coeur du
dernier roman de Mathias Henard, "Parle leur de batailles, de
rois et d'éléphants" publié chez Actes Sud. Ce jeune auteur, né en 1972,
a déjà publié trois autres romans. Avec ce dernier, il reprend le livre
fascinant "Des Vies" de Vasari et revient sur l'invitation de Michel Ange par le sultan de Constantinople. Il parle aussi d'un pont dessiné par Michelangelo Buonarrotti pour la Corne d'Or, "un
pont qui se moquait de cette frontière entre Orient et Occident que
nous avons tracée par la suite; un pont entre un jeune artiste florentin
et un père ottoman; un pont au beau milieu d'une Europe à naître, et où
Isanbul brillait comme une immense capitale." Ce pont, Mathias Enard cherche à le reconstruire tout au fil d'un texte très érudit.
La réflexion sur l'image se trouve encore le grand sujet du livre de Marie Nimier, "Photo Photo" qui débute avec une surprenante séance de photographies dans le studio du Grand Roi de la Mode Karl Lagerfeld.
Roman très personnel, il questionne le rôle de l'image dans notre
société et engage l'écrivain dans un culte de la personnalité. Et
pourtant, les photos seraient-elles faites aussi pour oublier? Des mots
aux images, l'écrivain s'exprime sur le principe même de l'écriture.
Elle ne voit pas des personnages mais des assemblages de mots.
En mode contemporain, à découvrir chez Allia le très prometteur "Alice Khan" de Pauline Klein qui aborde la question de l'identité et prend ses distances avec les démarches de l'art contemporain.
De l'histoire de l'art à l'histoire, il n'y a qu'un pas. Le dernier roman de Claude Chevreuil,
"Un Coin de Table"( De Fallois) nous emporte dans un Paris assiégé par
les Prussiens en 1870 et raconte en parallèle le destin d'un tableau du
célèbre peintre Henri Fantin-Latour. Texte où les fils tissés par
l'auteur recoupent une époque artistique passionnante, féconde dans les
relations entre la littérature et les arts plastiques. Ces romans
s'affirment encore comme la prise de conscience de la rupture historique
que nous sommes en train de vivre. Car la crise de l'art se mêle à une
crise de l'identité face à la mondialisation.
L'histoire est bien au centre des réflexions des romans de cette rentrée. Qu'elle soit racontée sous forme de conte, comme chez Alice Ferney qui avec "Passé sous Silence" note que l'action est réelle comme les choses dites. Seuls les noms sont fictifs. Ferney convoque
l'Histoire, regardant le principe de la séparation des pouvoirs bafoué.
L'Histoire pour l'écrivain est un grand champ d'inspiration car il est
tenté d'écrire à la place de ceux qui ne sont plus, des coupables ou des
vaincus.
Que le roman soit un moyen de revenir sur l'utopie magnifique de la conquête du ciel avec Phiippe Forest
et de revisiter "Le siècle des nuages", aux éditions Gallimard.
Raconter l'histoire à travers un rêve. C'est ce que nous donne ce texte
magnifique.
Ou encore, comme chez Linda Lê qui nous propose
une fable sur le pouvoir avec "Cronos", chez Christian Bourgois. La
romancière passe des terres de l'intime auxquelles elle nous avait
habitué au tout politique.
Sur le sujet toujours brûlant de la guerre d'Algérie, soulignons le très beau "Où j'ai laissé mon âme" de Jérôme Ferrari
(Actes Sud). Le texte imagine un face à face terrible et poignant
entre deux anciens prisonniers en Indochine qui s'affrontent
silencieusement mais impitoyablement au chevet de leur dernier
prisonnier algérien, Tahar. Le roman pose la terrible question de la
frontière entre justice et cruauté.
Dans un genre qui flirte avec le fantastique, Claro nous entraîne avec CosmoZ, (Actes Sud) à relire l'histoire parallèle des cinquante premières années du XXème siècle, "vue,
vécue et réinventée par une bande d'indésirables dans un monde peuplé
de charlatans où la seule magie encore digne de ce nom est la résistance
au cauchemar".
Prenons même dans la catégorie premier roman, le texte surprenant de Katrina Kalda
qui, dans "Un Roman Estonien" (Gallimard), situe l'action en 1994 à
Tallinn, Estonie, ancienne république soviétique, depuis peu redevenue
indépendante. Retrouvons aussi avec un grand plaisir, Harold Cobert,
l'auteur d' "Un Hiver avec Baudelaire" qui signe "L'Entrevue de Saint
Cloud", un texte sur l'audience secrète accordée par Marie Antoinette à
Mirabeau à Saint Cloud. Toujours fasciné par l'histoire contemporaine, Marc Dugain
nous offre encore un roman au titre séduisant," L'Insomnie des
Etoiles", (Gallimard) qui se réapproprie un épisode de la Seconde Guerre
Mondiale. François Vallejo dans "Les Soeurs Brelan" (Viviane
Hamy),fait encore le récit du destin de trois soeurs, de la fin de la
Seconde guerre mondiale à la destruction du mur de Berlin.
Dans "Demain j'aurai vingt ans", Alain Mabanckou nous
embarque pour Pointe Noire avec comme guide, le jeune Michel, âgé de 11
ans durant les années 70. A cette époque, le Congo vit sa première
décennie d'indépendance avec le chef marxiste, "l'immortel Marien
Ngouabi". Décidément depuis deux ans, les années 70 inspirent les
écrivains. De Beigbeder l'année dernière, à Mabanckou, en passant par
Patrick Eudeline en 2009, on soulignera encore le texte très attendu de Bernard Quiriny,
"Les Assoiffées" (Seuil), qui situe l'action de son roman au coeur de
cette même période. Là, point de réalité factuelle mais l'imagination
d'une fable politique. Une révolution, menée par un groupe de féministes
a renversé le pouvoir en Belgique, au Luxembourg et aux Pays Bas.
Quelques années plus tard, quelques intellectuels français font une
visite diplomatique. Avec une grande liberté, Quiriny pose la question
du totalitarisme. Le début des années 1970 est aussi le point de départ
du dernier ouvrage du lauréat du Prix Nobel 2003 John Maxwell Coetzee.
Avec "L'Eté de la Vie", il présente le troisième volet de son
entreprise autobiographique. Revenant notamment sur son retour au pays
natal, il ponctue son texte de notes, de fragments ou encore d'extraits
de carnets où l'auteur réfléchit sur lui-même..
Plus près de nous, Vincent Ravalec nous invite avec
"Cantique de la Racaille 2" (Fayard) à faire le point sur nos quinze
dernières années. Dans un texte où se mêlent loufoquerie et humour,
l'auteur s'interroge sur les nouveaux systèmes de croyance. Le monde a
bel et bien besoin de retrouver des repères. Avec une bonne dose de
drôlerie, Ravalec est pertinent et très lucide sur son époque. Dans une
veine plus déjantée encore, dévorez "La Colère du Rhinocéros", premier
roman de Christophe Ghislain qui explore des fragments de vies tombées en morceaux dans un style où la poésie est follement inventive. Adieu
l'auto-fiction nombriliste. Retour de l'aventure, de la fiction et du
récit. La crise que nous vivons de plein fouet est vécue comme un
séisme.
La nature dans toute sa brutalité est encore traitée dans plusieurs textes et avec elle, l'idée du territoire. Déjà Gilles Leroy avec "Zola Jackson" (Mercure de France) avait abordé le terrible ouragan de Katrina. Laurent Gaudé dans
"Ouragan"(Actes Sud) s'en inspire à nouveau. L'écrivain livre son désir
d'affronter l'écriture du déchaînement, de la tempête. Saisir la ville
plongée durant des jours dans l'apocalypse et l'homme dans toute sa
détresse. De la même manière, Maryse Condé nous livre avec "En
attendant la Montée des Eaux"(Lattès), une réflexion parallèle. Haïti,
dans toute sa splendeur et l'envoûtement qui s'en émane, martyrisée par
la violence et les gouvernements corrompus.
Si le bruit du monde devient intolérable à la mère de Nola dans "L'Effet Larsen" de Delphine Bertholon (Lattès), Philippe Claudel
nous livre avec "L'Enquête" (Stock), le constat d'une réalité
inquiétante dans une petite ville de province frappée par plusieurs
suicides au sein même de la grosse entreprise de la région. Virginie Despentes quant à elle, présente "Apocalypse Bébé", (Grasset) ou la descente aux enfers d'êtres blessés à vif.
La
réalité d'un monde à définir est bien la grande invitée de cette
rentrée. Les romans sont façonnés, inspirés par des événements de
l'histoire, de la réalité contemporaine ou encore de la vie de
personnages lumineux. Ainsi, avec" Des Eclairs", Jean Echenoz revisite la vie de l'un des plus grands inventeurs du XIXème siècle. La réalité prend un air particulier avec Claudie Gallay
et son "L'Amour est une Ile" (Actes Sud) qui se situe dans le cadre du
Festival d'Avignon en Juillet 2003, sur fond de grève des intermittents
du spectacle.
A mi chemin entre le roman d'initiation et de science-fiction, la femme auteur très remarqué d' "Une Pièce Montée", Blandine Le Callet questionne avec "La Ballade de Lila K", (Stock) les évolutions et les dérives de nos sociétés.
Cette
rentrée 2010 se fera sous le signe du livre numérique. Les promesses du
nouveau format ont de quoi séduire tous les amateurs de littérature.
Les éditeurs n'hésitent pas apposer la mentions "disponible sur iPad"
comme la preuve qu'ils prennent le virage. On se souvient qu'Amazon
avait vendu le jour de Noël plus de livres en numérique qu'en format
papier. Aux craintes des libraires devant cette indéniable envolée,
soulignons que le livre numérique est seulement un format différent qui
exige toujours un conseil de leur part. La question du numérique se
trouve au coeur des débats et comme toute révolution suscite une énergie
passionnée et passionnante. Du côté des auteurs, l'accueil est en
général très positif. Ils se questionnent simplement sur le choix des
éditeurs. Sur quels critères ces derniers vont-ils choisir de faire
passer tel ou tel livre sous format numérique. S'agira-t-il de la
totalité du catalogue? Bien des questions restent en suspens.
Pourtant, dans un
interview très intéressant donné au magazine Lire, Alexandre
Jardin fait part de son enthousiasme et annonce la parution prochaine
d'un livre qui sera totalement numérique. Il évoque le principe créatif
de ce format qui est soi absolument fascinant à mettre en place et dit
travailler comme un dératé "pour faire partie des premiers à tenter
l'aventure". Et si la révolution
numérique donnait aussi aux écrivains des possibilités d'inventer
de nouveaux genres? Il ne restera plus alors comme le note le
romancier "à inventer un mot pour désigner ces raconteurs d'histoires de
l'ère digitale."
L'Amérique, dans toute sa complexité se livre des terres du Montana aux folles débauches de Los Angeles.
Si Jim Harrisson
renoue avec le genre de la nouvelle dans "Les Jeux de la Nuit" (Robert
Laffont) racontant trois destins solitaires de personnages en quête de
rédemption, Bret Easton Ellis nous livre avec "Suites Impériales"
(Robert Laffont), une suite de son premier texte "Moins que Zéro". Ses
personnages ont pris de la densité. Ellis nous livre une fois encore une
oeuvre très originale. Très attendu aussi "Vice Caché" de l'auteur le
plus secret de la littérature américaine, Thomas Pynchon. Avec ce dernier texte, "pseudo-polar déjanté", l'auteur nous entraîne à Los Angeles au début des années 1970. Don de Lillo sera
enfin aussi de la partie avec "Point Oméga", nous conviant à faire
l'expérience de perceptions inédites et questionnant comme nul autre,
notre humaine condition.
Amélie Nothomb, Une Forme de Vie, Albin Michel.
Claudie Gallay, L'Amour est une Ile, Actes Sud.
Bret Easton Ellis, Suites Impériales, Robert Laffont.
Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, Flammarion.
Mathias Henard, Parle leur de batailles, de rois et d'éléphants, Actes Sud.
Marie Nimier, Photo Photo, Gallimard.
Pauline Klein, Alice Khan, Allia.
Claude Chevreuil, Un Coin de Table, De Fallois.
Alice Ferney, Passé sous Silence, Actes Sud.
Philippe Forest, Le Siècle des Nuages, Gallimard.
Linda Lê, Cronos, Christian Bourgois.
Jérôme Ferrari, Où j'ai laissé mon âme, Actes Sud.
Claro, CosmoZ, Actes Sud.
Harold Cobert, L'Entrevue de Saint Cloud, Héloïse d'Ormesson.
Marc Dugain, L'Insomnie des Etoiles, Gallimard.
François Vallejo, Les Soeurs Brulan, Viviane Hamy.
Alain Mabanckou, Demain j'aurai vingt ans, Gallimard.
Bernard Quiriny, Les Assoiffées,Seuil.
John Maxwell Coetzee, L'eté de la Vie, Seuil.
Vincent Ravalec, Cantique de la Racaille 2, Fayard.
Christophe Ghislain, La Colère du rhinocéros, Belfond.
Maryse Condé, En attendant la montée des eaux, Lattès.
Philippe Claudel, L'Enquête, Stock.
Delphine Bertholon,L'Effet Larsen, Lattès.
Virginie Despentes, Apocalypse Bébé, Grasset.
Jean Echenoz, Des Eclairs, Minuit.
Blandine Le Callet, La Ballade de Lila K, Stock.
Jim Harrisson, Les Jeux de la Nuit,Robert Laffont
Thomas Pynchon, Vice Caché,Seuil
Don de Lillo, Point Omega, Actes Sud
Yves Michaud, La Crise de l'Art contemporain
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