Marché du livre

Pour divertir, dénoncer ou convaincre, on n'a rien trouvé de mieux qu'un livre, finalement

A côté des livres qui divertissent et remportent un large succès, comme L'Anomalie d'Hervé Le Tellier (Gallimard), dernier Prix Goncourt, déjà vendu à 800 000 exemplaires, il existe aussi les livres-coups de poing qui font trembler les puissants, comme La familia grande de Camille Kouchner (Seuil) et les livres-mémoires qui ressemblent à des programmes politiques, comme L'Ange et la Bête de Bruno Le Maire (Gallimard). Ceux qui pensaient que le livre serait réservé désormais à de tièdes agapes en sont pour leurs frais. A notre époque du tout-communication, malgré écrans et réseaux sociaux, pour séduire, convaincre ou transmettre, rien ne vaut un livre, finalement. 

Photo Congerdesign/Pixabay Photo Congerdesign/Pixabay

La question peut sembler étrange, pour ne pas dire absurde. Les livres auraient ou devraient-ils avoir une fonction ? Cependant, alors que les livres ont été classés comme produits non essentiels, beaucoup d'entre nous ont pensé que la place des livres dans notre société était vouée à une zone incertaine. Petit retour en arrière. Depuis que les livres existent, quelle fut leur place (ou leur fonction) ? Et aujourd'hui, le livre jouit-il encore d'une place de premier ordre ?

Au commencement était le texte religieux

Les premiers Manuscrits ont d'abord servi de support aux textes religieux. Puis ils se sont destinés à la transmission de la pensée et du savoir dans l'Antiquité. Le livre était alors rare et précieux. Unique. C'est autour de 1454, que l'invention de l'imprimerie par Johannes Gutenberg marque un tournant dans l'histoire de l'humanité. Les livres peuvent se multiplier. Leur objet aussi. Mais ceux qui savent lire composent encore une minuscule partie de la société. Il faudra attendre la fin du XVIIe siècle pour que le livre s'envole vers la fiction et commence à s'adresser à une société en mal de plaisirs. Il est en effet d'usage de considérer La princesse de Clèves publié la première fois en 1678 comme le premier roman "moderne". Ce qui explique la persistance du livre de madame de La Fayette dans les manuels scolaires.

Quand Les Lumières côtoient le plaisir des fictions

Pendant ce temps, les philosophes dits des Lumières illustrent leur propos et diffusent leurs idées par des livres emblématiques tout au long du XVIIe siècle, puis au XVIIIe siècle. Le cénacle des lecteurs s'agrandit avec les progrès de l'aphabétisation. Le buzz des idées passe bien par les livres et composera le terreau de la Révolution française grâce à Jean-Jacques Rousseau, Voltaire, Diderot, Bossuet, Montesquieu... 

Le roman réaliste apogée du roman de fiction au XIXe siècle

Mais au XIXe siècle, le monde de la littérature entame sa deuxième grande révolution : composer des livres de divertissement et partir à l'assaut de l'imaginaire pour le plus grand nombre. Avec en apogée, le "roman réaliste". On lit alors pour se divertir, mais aussi pour vivre par procuration. Les livres d'Alexandre Dumas qui paraissent en feuilletons préfigurent nos séries télévisées. On écrit pour donner vie à la "Comédie humaine" chez Balzac, Stendhal, Flaubert ou Zola. Mais aussi pour exposer sa vision du monde. Un certain Karl Marx écrit Le Capital en 1867. Un livre fait mieux qu'une bombe pour transmettre ses idées. L'impact de Marx n'en finit de projeter ses ondes de choc. Jusqu'à ses disiples comme Thomas Piketty avec son Capital du XXIe siècle (Seuil) aux 2,5 millions de lecteurs à travers le monde. 

L'ascension du livre : la découverte de son identité multiple

Religieux, philosophique, romanesque... le livre va poursuivre son ascension au XXe siècle vers de multiples formes d'expressions, tel qu'on peut le connaître aujourd'hui : essais, littérature de tous genres (historiques, contemporains, psychologiques, polars, science-fiction, jeunesse...), livres pratiques, beaux-livres, bande dessinée... Les livres sont partout. Ils explorent tous les contours de la narration, même la "non figurative". Aujourd'hui, même si la tendance est à la baisse, le livre est bien vivant et ne se porte pas si mal, contrairement à ce que d'aucuns veulent penser. 

Les ventes de livres se sont maintenues en 2020

Il est heureux de voir que l'année 2020 qui a été bien chahutée a vu la vente de livres finalement peu déstabilisée. Les jeunes ont même lu davantage (plus de 20%). Le Syndicat de la librairie française a annoncé une chute limitée simplement de 3,3% des ventes par rapport à 2019, grâce à un retour massif des clients à l'issue des deux périodes de confinement et au développement des ventes par internet. Le Goncourt, L’Anomalie d’Hervé Le Tellier (Gallimard) atteint des sommets : plus de 800 000 exemplaires vendus en France. Un chiffre qui le place juste derrière L'amant de Marguerite Duras (Editions de Minuit) parmi les statistiques en superlatif. Histoires de la nuit de Laurent Mauvignier (Editions de Minuit) et Une terre promise de Barack Obama (Fayard) figurent aussi en pole position. Sans parler des Guillaume Musso, Joël Dicker, Marc Lévy, Michel Bussi, Virginie Grimaldi ou Aurélie Valogne qui composent sans surprise l'écurie des grosses ventes.

En 2021, scandale et livres politiques à tous les étages

En ce début d'année 2021, la photographie est claire. C'est un livre qui fait trembler les institutions.  La familia grande de Camille Kouchner (Seuil) ébranle le milieu des "respectables". Même l'école Science Po Paris est éclaboussée. L'année dernière, c'était Le consentement de Vanessa Springora (Grasset) qui avait fait trembler les milieux culturels.

Un an avant la future élection présidentielle, les femmes et hommes politiques publient "en ordre de marche". Premier de cordée : Bruno Le Maire qui publie le 14 janvier L'Ange et la Bête, Mémoires provisoires (Gallimard), sur ses trois ans de pouvoir. Avec ce titre aux accents pascaliens, il est question de conscience politique et d'enjeux européens. "Acteur des trois premières années du quinquennat, il offre un éclairage unique sur les décisions économiques, industrielles, financières et fiscales qui ont été prises durant cette période. Il en explique les intentions et la cohérence en les confrontant à notre histoire nationale. Il nous donne un accès privilégié à la pratique du pouvoir comme aux événements et crises qui ont marqué ces années. Il fournit aussi des clés de compréhension de la vie politique des grandes nations occidentales, bousculées par la crise de la Covid-19 et par l'émergence de la Chine. Dans ce nouveau livre, Bruno Le Maire réaffirme le lien essentiel entre littérature et pouvoir. Il définit les enjeux qui façonneront la France et l'Europe de demain." Ces mémoires regardent vers le futur et pourquoi pas vers une candidature?

Autre couleur politique, le 10 février 2021 c'est au tour de François Ruffin de dégainer un texe qui va faire du bruit : Leur folie, nos vies; La bataille de l'après ( Les Liens qui Libèrent). Un texte sous forme de plaidoyer collaboratif : "Durant les deux mois de confinement, François Ruffin, journaliste et député de la Somme, a animé sa radio-cuisine, « L’An 01 ». Il a reçu des milliers d’alertes, et beaucoup d’invités : des infirmières bien sûr, un ambulancier, des auxiliaires de vie, des caissières, un libraire, un cariste de chez Amazon, un ouvrier de chez Valeo, une patronne de bar-tabac, un routier à l’arrêt... Des intellectuels, également, pour penser ce moment. En reporter, il passe ici cette crise au scalpel, en dresse un récit vivant. Et, en député, il ouvre des voies pour l’après : sur l’économie, la santé, la démocratie, l’égalité…"

Même Roselyne Bachelot, l'actuelle Ministre de la Culture ira de sa plume avec Ma vie en rose (Albin Michel), dont la sortie est prévue le 3 mars 2021. Suivie par Manuel Valls dont le prochain livre sortira en mars 2021- titre et maison d'édition encore confidentiels.

Le 7 avril 2021, ce sera au tour d'Edouard Philippe et de Gilles Boyer de publier ensemble un livre chez JC Lattès qui selon l'éditeur sera :  "Entre le récit et l'essai, cet ouvrage a pour ambition d'éclairer l'art de gouverner et d'explorer les actes, les moments et les lieux du pouvoir à l'aune de la grande histoire comme de leurs expériences récentes de son exercice."

On le voit, l'année 2021 démarre sur les chapeaux de roue. Les Français n'ont pas fini d'aller rendre visite à leur libraire. A l'heure où écrans de télévision et réseaux sociaux permettent une démultiplication des paroles, rien ne vaut un livre quand on veut frapper fort. Alors que les Cassandre promettent régulièrement la fin des livres ou en tout cas leur marginalisation, les voici qui continuent de jouer un rôle non pas accessoire, mais bien essentiel dans la vie de chacun. Y compris politique.

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