Samuel Beckett a écrit Fin de partie après la mort de son frère. Un deuil qui l'a anéanti. Une fin pour rien ? Daniel Sarfati nous raconte comment l'écriture lui a permis de sortir du silence. En jouant, en perdant, en écrivant...
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En revenant d’Irlande, en 1954, après le décès de son frère, Samuel Beckett traverse une période de profonde dépression.
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Le succès à Paris, de sa pièce « En attendant Godot » lui a apporté une certaine notoriété et de nombreuses propositions d’adaptation à l’étranger.
Il se refuse à expliquer quoi que ce soit :
« On me demande des renseignements sur les personnages, curriculum vitae, adresse...
Je suis trop épuisé pour donner satisfaction... Tout ce que j’en sais, je l’ai mis dans le texte.
On me demande aussi si avec Godot, j’ai voulu désigner Dieu... Eh bien, non, sinon je l’aurais tout simplement appelé God... »
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Beckett n’est pas tout à fait sincère.
Pendant les longues heures de veille dans la chambre d’hôpital de son frère, lui, le catholique irlandais il a prié Dieu.
Il l’a attendu.
God ne s’est pas manifesté.
Et pour cause, il n’est qu’un personnage de théâtre, qu’aucun comédien n’incarne.
Même pas une voix off.
Juste une illusion cruelle.
Il n’y a rien à attendre de God.
Godot est son double absurde.
Lorsque l’on emporte le corps de son frère, Beckett n’est plus catholique. Il a cessé de croire. Il a cessé d’attendre.
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Une seule bonne nouvelle le réjouit, un projet pour monter la pièce à Broadway, avec Buster Keaton dans le rôle de Vladimir et Marlon Brando dans celui d’Estragon.
Mais ce projet échouera.
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Il se met à écrire « Fin de partie », une de ses meilleures pièces.
Quand la partie est terminée, il n’y a que des perdants. Le gagnant est le perdant suivant.
Une façon, pour Beckett, de faire le deuil de son frère.
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Daniel Sarfati est médecin ORL, passionné par le langage, par les signes, la lecture des mots qui s’écrivent, se lisent sur une page ou sur des lèvres, les histoires qui se vivent ou qui s’inventent.