Nagui Zinet : retenez ce nom. Jeune auteur qui nous éclabousse avec son premier roman « Une trajectoire exemplaire » (Joëlle Losfeld). Des petits riens qui finissent par créer un grand fracas. Sarah Sauquet en est fan. Elle nous l'explique dans sa chronique.
Trempé dans la glaise de la trivialité, N. est un minable, un vrai, un poussah des baltringues parmi les dingues et les paumés. Dans les rades de la liesse perdue, il traîne son accablement et sa lente autodestruction. De vagues projets d’écriture et la fumisterie pour corde parviennent, seuls, à lui maintenir la tête hors de la fange dans laquelle il achève de se vautrer.
Une rencontre fatalement cruelle
Un jour, N. rencontre Irène, 40 ans. Son con pourrait être la béance où enfin renaître, mais N., qui est plus perdu que cruel, ne connaît que le mensonge. La machine va s’emballer jusqu’au drame que ce prince des marées noires n’avait pas vu venir.
Il m’était impossible de ne pas succomber au charme de « Une trajectoire exemplaire », premier roman de Nagui Zinet chez Éditions Joëlle Losfeld qui a pour anges tutélaires le Franck Poupart de « Série noire », Alain Souchon et Michel Berger pour ne citer qu’eux.
Les aubes livides
Plus qu’une descente aux enfers, il y est surtout question du panache avec lequel traîner notre dernière peau quand tout nous a été arraché. Souvent drôle et improbable (« Le grand malheur avec le terrorisme, c’est qu’il ne tape jamais au bon endroit »), le roman dissèque les misères affective et sexuelle – que je tiens pour les grandes maladies de ce siècle - et la détresse qui naît par manque de beauté. On y respire les haleines chargées de tabac froid, la promiscuité subie, l’enfance infernale et impossible à quitter, les aubes livides en gare du Nord qui appartiennent aux invisibles.
Prendre à rebours le discours ambiant
Nagui Zinet est résolument à rebours du discours ambiant, et cela fait du bien, et cela nous élève, et cela donne envie d’autrement regarder. Et l’on pense à Jean-Pierre Martinet.
Enfin, si cinéma et chanson française il nous faut convoquer, il y a pour moi du « Betty » de Claude Chabrol et de la mélancolie de Michel Jonasz dans cette trajectoire singulière qui transmue la chambre à soi en véritable maison de fous.
A propos de « Une trajectoire exemplaire »
N. est un minable ; ce sont des choses qui arrivent. Il menait jusque-là une vie sans objet, entre son studio et le bistrot, sans amis, sans une thune, sans ambition, rien à part ses livres et la boisson pour habiller le néant. Dans le fond, N. n’était pas si malheureux. Il avait la chance de ne pas bosser et tout le loisir d’attendre, comme le premier con venu, la rencontre amoureuse qui le sauverait.
Et, justement, la rencontre amoureuse a eu lieu, apportant à N. l’espoir d’en finir avec la solitude. Mais le bonheur est rarement du côté des pauvres types. Il suffit d’un mensonge, d’un moment de panique et c’est l’engrenage, celui de la violence et de la folie.
>
« Une trajectoire exemplaire » de Nagui Zinet, Editions Joëlle Losfeld, 112 pages, 15,50 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur le lien
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Professeure de lettres et autrice,
Sarah Sauquet a notamment publié
Les 1000 livres qui donnent envie de lire (Glénat, 2022). Elle est aussi la co-créatrice des huit applications littéraires
Un texte Un jour. Qu’il s’agisse d’enseigner, d’écrire, ou d’établir des ponts entre cultures classique, populaire et contemporaine, son travail tourne autour d’un objectif : celui de susciter l’envie de se cultiver. Son dernier livre :
Petites chroniques de culture populaire chez Librisphaera.