"Le Bal des folles"

Victoria Mas mène le bal de la saison littéraire

Lauréate du Renaudot des Lycéns, après avoir été distinguée par Cultura, par le Prix Stanislas à Nancy, le Prix Plume, Victoria Mas est une des révélations de l'automne littéraire. Son livre Le bal des folles (Albin Michel) est un petit bijou, qui se parcourt en rythme, sautillant d'un destin à l'autre, avec en toile de fond le traitement de la folie à la Salpêtrière, l'évocation de Charcot, l'enfermement forcé des femmes hors normes, le pouvoir des hommes, la préparation surréaliste d'un bal pour oublier les frontières de la raison.... Tous ces ingrédients tissent un roman écrit avec grâce par une auteure qui fait une entrée très remarquée dans le monde des lettres. 

©Olivia Phélip ©Olivia Phélip

C'est un premier roman qui ne possède pas les maladresses des ébauches. Le  livre parle de l'enfermement, mais aussi de la liberté, du pouvoir des femmes dans leur subordination, ainsi que de celui des hommes par les abus de leur autorité. Victoria Mas aime jouer avec les paradoxes. Son récit évoque le destin de plusieurs femmes enfermées à l'hôpital de la Salpêtrière dans le service du fameux du Dr Charcot. Nous sommes dans les années 1880 entre conformisme et recherches sur l'hystérie, essais sous hypnose, pendant que spiritisme et premières ébauches de revendications fémministes prennent place dans quelques salons parisiens.

La vie entre les murs

Victoria Mas décrit les destins croisés de plusieurs femmes internées, l'une par désespoir, l'autre parce qu'elle entend les morts lui parler, d'autres qui ne veulent plus se battre. Au milieu d'elles, une infirmière, qui représente le lien entre intérieur et extérieur, déraison et normalité. L'auteure effleure ces destins et leur donne vie "comme si nous y étions". Très vite nous ressentons la porosité entre les différentes frontières, la fragile construction de la normalité.

Et bien dansez maintenant...

Pendant ce temps, tout ce petit monde se prépare au "bal des folles" organisé par le Dr Charcot chaque année à la Mi-Carême dans son service. Oui le temps d'un bal, les portes s'ouvrent et tous, hommes et femmes, enfermées et libres, se mêlent. Ils entrent dans la danse, oubliant pour quelques heures la place qui leur est assignée. Vertige et débordements. La nuit, la folie est joyeuse.

Femmes dociles, hystériques ou sorcières

L'événement décrit par Victoria Mas a bel et bien existé. Même si son récit reconstitue un morceau d'histoire, il apporte aussi sa valeur symbolique à tous les thèmes qui le traversent. Auparavant les femmes sans hommes étaient des sorcières qui étaient brûlées sur la place publique. Le XIXe siècle leur accorde le privilège de l'enfermement, en général à la demande d'un parent masculin.

Aujourd'hui, un siècle et demi après, les femmes sont encore parfois traitées d'hystériques. Ou de bien d'autres mots injurieux. Ce qui est un peu la même chose, la libération sexuelle en plus. Le bal des folles résonne comme une transe pour la liberté. Un joli message qui nous a séduit sans être péremptoire pour autant. Victoria Mas sait écrire avec une légèreté qui glisse, comme un pas de deux. On ne peut cependant s'empêcher de penser que ce bal résonne avec une acuité particulière à l'ère de #metoo. Les femmes n'ont pas fini de danser entre les lignes de leur imaginaire et de leurs injonctions.

Nous rencontrons Victoria Mas par une belle  journée d'automne, par l'intermédiaire de Cultura qui l'a retenue comme Talent à suivre 2019. L'occasion de poser à l'auteure quelques questions.

Un premier livre qui remporte tout de suite un grand succès. Comment avez-vous réussi à écrire tout de suite "le" livre ?

-Victoria Mas : Parce que je ne l'ai pas écrit tout de suite ! J'ai écrit plusieurs livres qui ont été tous refusés par les maisons d'édition. J'écris depuis que j'ai 18 ans (J'en ai 31 aujourd'hui). Qu'est-ce qui a changé avec celui-ci ? Peut-être qu'un jour j'ai décidé d'arrêter d'écrire sur moi !  Et c'est alors que j'ai commencé à écrire vraiment.

Reviendrez-vous sur ces anciens manuscrits ?

-V.M.: Non. Ils sont derrière moi. Comme des gammes, des ébauches. Ecrire demande une mise à distance. Ceux-là étaient comme des monologues. 

Comment vous est venue l'idée du Bal des folles ?

-V.M.: Je suis tombée sur ce sujet un peu par hasard. Je me suis immédiatement intéressée à cette histoire lourde de sens. J'ai été choquée de voir que c'était les hommes qui faisaient enfermer les femmes. Et puis ce Bal avait quelque chose de tellement onirique...

Vous évoquez le Dr Charcot. Vous n'êtes pas très tendre avec lui...

-V.M. : Je n'ai pas voulu le décrier. Loin de là. Il a fait beaucoup pour la psychiatrie. On tâtonnait à l'époque sur ce qui était appelé l'hystérie, les crises maniaques. Ses méthodes pouvaient sembler violentes, mais ses mises en scènes d'hypnose ont eu le mérie d'ouvrir le champ thérapeutique. 

Vous décrivez l'enfermement des femmes comme un acte presque social.

-V.M. : J'ai ressenti une grande empathie pour ces femmes. Elles souffraient. Ou elles ne rentraient pas dans les codes. Il fallait "enfermer" leur vie, leur parole, leur personne. Elles représentent selon moi le symptôme d'une société qui veut de l'ordre et de la morale. Et placer les femmes sous contrôle d'une manière ou d'une autre.

Vous parlez aussi du spiritisme qui se développe alors.

-V.M. : Le spiritisme était décrié à l'époque, car jugé contraire à la morale chrétienne. Mais il fascinait de plus en plus. C'est pour cela que de nombreuses personnes commençaient à s'intéresser à faire tournerr les tables, à croire qu'il était possible de s'adresser aux morts. Mais cela était fait en cachette.

Ces destins de femmes ont-ils pour fondement des documents réels ? 

-V.M. : Aucun ! Toutes ces histoires que je raconte sont fictives. Mais j'ai effectué de nombreuses recherches sur les causes de l'enfermement. Et bien souvent les circonstances sont récurrentes. Celles que je décris sont en quelque sorte caractéristiques.

Alors ce bal, le Bal des folles, que pouvez-ous nous en dire ?

 -V.M. : Il avait lieu chaque année à la Mi-Carême au sein de l'hôpital de la Sapêtrière. Tout Paris s'y rendait déguisé. On répartissait les internées en deux salles - d'un côté les idiotes et les épileptiques ; de l'autre les hystériques, les folles et les maniaques. Ce bal était en réalité l'une des dernières expérimentations de Charcot, désireux de faire de ses malades des femmes comme les autres. En cela, il était "révolutionnaire". Même si cette soudaine ouverture n'avait lieu qu'une fois par an.

Vous aimez aussi pointer votre projecteur sur la fragilité des frontières entre visible et invisible, raison et déraison...

-V.M. : Ce brouillage des lignes me semble la seule chose réelle du monde! Le Bal en cela représente le mélange par excellence. La Mi-Carême et ses déguisements avait d'ailleurs cette fonction de faire quitter à chaucun son rôle et son identité, comme pour s'oublier soi-même. Ici, cet abandon est encore plus fort, car il s'agit d'oublier la folie et d'ouvrir l'hôpital le temps d'une soirée. Une fenêtre, une respiration, qui montre bien combien les murs sont parfois juste une histoire de jeux de rôles.

>Victoria Mas, Le bal des folles, Albin Michel, 256 p

En savoir plus

Victoria Mas s'exprime en vidéo au sujet de son livre (Réalisation Mollat).

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« Ceux que je suis » d’Olivier Dorchamps (Finitude) 
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« À crier dans les ruines » d’Alexandra Koszelyk (Aux forges de Vulcain)
« Le bal des folles » de Victoria Mas (Albin Michel)
>> Plus d'informations sur le site de Cultura

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