Séduction

Voir et être vu dans «Les Liaisons dangereuses»

Voir et être vu : tel est l’enjeu interrogé par «Les Liaisons dangereuses» de Choderlos de Laclos, publié en 1782. Les libertins, représentés par le célèbre couple Valmont-Merteuil, se jouent et se déjouent de leur entourage. Au théâtre, à l’opéra, dans les salons, tout est minutieusement calculé. Subtile et efficace, l’apparence est une arme de manipulation redoutable. Décryptage.

Jeux de correspondances

L’auteur commence lui-même par se jouer de son public. Laclos, officier d’artillerie, prétend avoir simplement réuni des liaisons entre gens de mauvaises mœurs dont il aurait récupéré la correspondance. Volages, manipulateurs et calculateurs, les personnages fascinent un lectorat qui veut identifier ceux qui se cachent derrière le Vicomte de Valmont, la Marquise de Merteuil et leur entourage. Il s’agit, dès le projet même de l’œuvre, de montrer, d’exhiber à tous, le comportement immoral de certaines personnes de la société.

L’art du libertinage

Pour cela, rien n’est plus probant que l’écriture. La juxtaposition des différentes correspondances montre que nos manipulateurs manient la langue avec brio, et révèlent différentes facettes. Valmont sait ainsi se montrer tendre et amoureux avec Madame de Tourvel, lorsqu’il est cynique et cruel à son propos en écrivant à la marquise. Il n’hésite pas à promettre à celle qu’il convoite « le  serment de l’aimer toujours » (lettre LXVIII) ; il n’hésite pas non plus dans la lettre suivante à affirmer froidement à Merteuil que « son projet (…) est qu’elle (Madame de Tourvel) sente, qu’elle sente bien la valeur et l’étendue de chacun des sacrifices qu’elle lui fera ; de faire expirer sa vertu dans une lente agonie : de la fixer sans cesse sur ce désolant spectacle » (lettre LXX). Valmont, avec habileté, passe de l’amoureux au calculateur. 

La maîtrise de l'image dans l'adapatation au cinéma par Stephen Frears

Pour que le spectateur identifie le jeu de rôle auquel les personnages se prêtent, Stephen Frears utilise des miroirs. Dans l’adaptation qu’il a réalisée en 1988, il y a en effet à plusieurs reprises la présence de miroirs, qui témoignent de l'importance du regard, du reflet et de l'image donnés. Le film s’ouvre sur un plan rapproché de Glenn Close se contemplant dans le miroir. Le sourire qu’elle esquisse dévoile au spectateur qu’elle est capable de simuler des expressions. Elle semble s’exercer, telle une comédienne, pour un rôle qu’elle tiendra plus tard dans la journée.

« La mauvaise éducation »

De la même façon, les personnages se déjouent des apparences avec brio. Pour atteindre leur objectif de séduction, leur arme la plus puissante est le contrôle de soi. La marquise de Merteuil est pour cela excellente. Dès son plus jeune âge, elle a appris à feindre la moindre expression. C’est ce qu’elle écrit au Vicomte de Valmont dans la lettre LXXXI. Jeune fille, elle allait jusqu’à « se causer des douleurs volontaires, pour chercher pendant ce temps l’expression du plaisir ». A quinze ans, Merteuil manipulait aussi bien les apparences qu’elle ne maniait la langue et « ne montrait plus que celle qu’il (lui) était utile de laisser voir ».

Qui aime bien… charrie bien ?

Toutes les occasions sont bonnes pour se donner en spectacle. Les libertins connaissent très bien les comportements humains. Ils ont beaucoup observé, analysé, étudié, à l’image de Merteuil adolescente. Ce savoir préalable leur permet ainsi de tout calculer. Ils savent prédire la réaction à venir de leur victime. La scène de charité dans laquelle Valmont est le protagoniste en est un exemple. Se sachant suivi par un domestique de Mademoiselle de Tourvel, sa nouvelle proie, il profite de cette occasion pour donner une belle image de lui. C'est dans la lettre XXI, il rapporte à la marquise de Merteuil qu’il a porté secours à une famille sur le point d’être mise à la rue, en payant la somme qui leur était demandé. Cela provoque alors chez les bénéficiaires reconnaissance et remerciements à outrance. Laclos fait ainsi du vicomte un personnage redoutablement intelligent et manipulateur. Il est conscient de la scène spectaculaire qui s’est construite autour de lui et en tire parti. C’est ce que le lecteur comprend lorsqu’il écrit qu’ « au milieu des bénédictions bavardes de cette famille, (il) ne ressemblai(t) pas mal au héros d’un drame, dans la scène du dévouement ». Suite à cette scène, la marquise de Tourvel croira en effet que Valmont est un homme bon et généreux…

Bas les masques

Plus intéressant pour les libertins est de se montrer en public. C’est le moment pour eux de voir et de se faire voir des autres. Dans l’adaptation de Frears, la scène de clôture du film est particulièrement significative. Merteuil est humiliée, sa correspondance et sa cruauté ont été exhibées aux yeux de tous. Ainsi, lorsqu’elle se rend au théâtre, aucune façade n’est crédible désormais : elle est huée, démasquée, achevée, et regardée de tous. Et c’est parce que son masque est tombé, parce que sa manipulation n’a plus d’impact que la marquise de Merteuil n’est plus.

 

En savoir plus

>Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses

>Au cinéma : Les liaisons dangereuses parStephen Frears

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