Littérature étrangère

«Walker» de Robin Robertson, prodigieuse épopée d’un vétéran du Débarquement

Il y a du Cendrars dans l’errance labyrinthique et cinématographique de Walker, jeune vétéran canadien de la Seconde Guerre Mondiale. À travers cette odyssée, le poète Robin Roberston dessine la carte de l’Amérique des bas-fonds, des oubliés des Trente Glorieuses. Un premier roman de grande ampleur et de longue portée.

Pont George Washington. Ville de New York. Photo Café, Pixabay. Pont George Washington. Ville de New York. Photo Café, Pixabay.

Errance labyrinthique et cinématographique dans Walker où un jeune vétéran canadien de la Seconde Guerre Mondiale déambule dans l’Amérique des bas-fonds entre New York, Los Angeles et San Francisco, parmi les oubliés des Trente Glorieuses. Ecrit par un primo-romancier de 63 ans, le poète et éditeur Robin Roberston, ce roman remarquable de maîtrise et de force, a fait partie de la dernière sélection du Man Booker Prize 2018. Un texte magnifique et impitoyable sur les rêves post-traumatiques de l'Amérique de l'après-guerre.

1917, le film de Sam Mendes, est une plongée abyssale dans le fracas de la Première Guerre Mondiale. Un seul et unique plan-séquence, magistral. A long take en anglais, c’est le titre original du premier roman de Robin Robertson. 1917 a été récompensé par trois Oscars l’an dernier.

Le destin brûlant d’un jeune vétéran

1946, Walker débarque seul à New-York. Sur son dos, le lourd paquetage de ses souvenirs de G.I. débarqué en Normandie. Le poète et éditeur écossais Robin Robertson retrace les errances de ce vétéran de trente ans dans une prose poétique puissante, bouleversante. Il y a du Cendrars – autre gueule cassée - dans ces images pleine de maestria qui se catapultent pour recréer un monde kaléidoscopique, entre fulgurance et tragédie. On pense au recueil de poèmes Du monde entier au cœur du monde.

L’originalité et la force de son style valent déjà à Robin Robertson une réputation bien assise en Grande-Bretagne. Or ce livre brûlant, qui balance sans cesse entre la vie et la mort, ne figure bizarrement sur aucune liste de prix en France.

Robin Robertson. Photo B24/7

Robin Robertson, poète des villes américaines

New-York. Chicago. L.A. . San Francisco, puis L.A. de nouveau. Robin Robertson est un poète des villes. « Il marche Walker. C’est son nom et sa nature. ». Il déambule dans des « voies sans issue » qui soudain « s’ouvrent d’un élan vers l’avenir ». Alors il a le temps d’observer, Walker, de faire son miel de chaque scène qui recèle pour lui autant de nouveauté.

Par-delà l’imagerie des bars chère à Hollywood, le jeune anti-héros cinéphile trouve dans les salles obscures une autre échappatoire à ses démons. Son épopée fracassée est aussi un « train trip »*. L’occasion d’instantanés très cinématographiques de ces États-Unis en proie au racisme et à la paranoïa anti-communiste du Sénateur McCarthy. L’Amérique se cherche des ennemis… et s’en trouve. Fomente des guerres intérieures. Laisse la bride aux « faucons » alors qu’elle se prépare à envahir la Corée.

Le Los Angeles des perdants

Walker marche, alors il a le temps de réfléchir. Attaché à la « profondeur des choses » dans cette « ville des Anges » où le sol – et les êtres - menace de se dérober à tout instant. Où les villas de rêves semblent tenir sur des étais comme des décors de cinéma. Où il faudrait regarder les poupées posées au comptoir « avec des lunettes » tant elles brillent de mille feux.

À travers la descente aux enfers de ses congénères, héros de guerre et de la Liberté oubliés de tous, Robin Robertson dessine la carte du Los Angeles des perdants. Walker « marche parmi les fantômes » Dans ce « dédale sans limite. Prisons. Théâtres ». Savoure sa « perdition en cinerama ».

Walker marche dans Los Angeles, « ville des Anges » et des Hells’ Angels. Comme Frisco. Son trajet épique rappelle celui d’un autre vétéran, qu’a inspiré à Atticus Lish son expérience militaire en Irak sous George W. Bush. Premier roman également, Parmi les loups et les bandits a été couronné par le Grand prix de littérature Américaine de manière très méritée en 2016.

« Vitesse, efficacité, rentabilité », credo ravageur

En quête d’oubli, Walker s’égare dans la nasse de cette « population de masse, mécanisée, qui se déplace dans un espace confiné presque sans heurt ni accident » Les gros plans sur la misère que lui impose son errance éclatante le laissent nez à nez avec la laideur. Dans l’Amérique d’après-guerre, déjà, « tout n’est plus qu’une question de fonctionnalité, c’est-à-dire vitesse, efficacité, rentabilité ». Lancée dans une vague de travaux convulsive, prospérité oblige, Los Angeles se transforme chaque jour un peu plus en un gigantesque maillage d’échangeurs. « Géométrie verrouillée d’ombres ».

« Quand tu te lasses de ton monde, suffit d’acheter le modèle au-dessus ».

« Cernés, fliqués par le béton », ses concitoyens ne s’en aperçoivent pas encore qu’ils vivent dans une prison dorée. Toujours au bord de l’explosion. « Cette ville (…) est comme un frigo ou une voiture maintenant, conçue pour tomber en panne, pour ne durer qu’un temps ». Jetable. Comme les gens. « Quand tu te lasses de ton monde, suffit d’acheter le modèle au-dessus ».

Mais Walker, lui, a une « optique large ». Devenu reporter au Press, il traque les parcelles de liberté, d’humanité que les promoteurs, main dans la main avec la pègre, laissent en friche. Il prend de la hauteur. D’en haut, il contemple la ville.

« (…) les lumières de Los Angeles –

Comme si le ciel et les astres avaient dégringolé

Pour consteller la ville en bas,

Entrelacs de lumières qui tressaillent,

Lit de braises mourantes. »

Un univers labyrinthique et poétique

Les réminiscences d’une jeunesse au Canada sont encore un hommage à la nature. L’occasion de revisiter l’innocence des premiers émois. L’évocation virtuose de la beauté de la forêt (forcément) et des bords de mers industrieux (idem) alterne avec le vagabondage forcé de Walker dans l’« univers labyrinthique » d’une ville qui étend ses tentacules là où régnaient encore hier orangers et jacarandas.

La guerre lui manque !

L’imagination a vocation à la rédemption. Mais la mémoire, elle, ne se remplace pas. D’autres héros, méprisés comme lui, tendent l’ oreille aux réminiscences de la barbarie qui le hantent. Car la guerre lui manque. La guerre lui manque !

Un jeu risqué avec le passé où, une fois encore, Walker pourrait se brûler les ailes. Enfin, ce qu’il en reste.

>>Robin Roberston, Walker, traduit de l’anglais (Écosse) par Josée Kamoun. Éditions de l’Olivier, 248 pages, 23 euros

*voyage en train

En savoir plus

Un exemple de long plan séquence avec le film 1917 de Sam Mendes, dont voici la bande annonce. Il ne s'agit pas de la même guerre, mais toujours de la même question sur le sens et la sidération.

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