Face à la montée du FN, il convient de chercher une explication : bien au-delà d’un ‘vote-sanction’ et au cœur des non-dits sociaux désignant trop souvent «l’autre» comme coupable idéal –taisant en cela que circonstances et opportunité font tourner la roue de l’altérité…
Chercher donc, et peut-être dans les solitudes et les déracinements, les démissions ou les désespoirs. Car ces replis nationalistes relèvent pour part du même désespoir et de la même angoisse que les violences multiples qu’ils s’illusionnent combattre –violences urbaines, violences socio-économiques, violences à l’encontre d’une certaine identité …
Où conséquemment ceux qui s’hallucinent de projets ultra nationalistes et ceux qui pillent ou vandalisent le tissu urbain trompent semblablement leur sentiment d’exclusion ou leur errance désespérée : dans l’attaque portée à l’encontre des liens sociaux pour les premiers, dans la mise à sac des objets et symboles sociétaux se refusant à eux pour les seconds. A cette aune, la question tient aux conditions de possibilité du possible –d’une vie digne, d’un avenir possible, et de la condition humaine en ses exigences. Questionnement posé en contre-donne des angoisses, des misères, des désespérances (alimentées follement par certains discours politiciens) et des déracinements ou des béances dévastatrices associées à l’exclusion, la ségrégation ou la « simple » et complexe et galopante la solitude.
En la matière, les heurts et chaos des banlieues nous furent autant d’avertissements honteusement mésinterprété set brandis en épouvantail par certains détenteurs de pouvoirs. Où l’individu «apatride» (immigré, réfugié, étranger, exclu socio-économique ou esseulé des ruptures familiales, et démissions sociales) se trouve confronté à un effondrement des valeurs, promesses et horizons offerts naguère par la tradition familiale et par le substrat social.
Sapiens sapiens : l’homme qui sait qu’il sait…
Après ça, on s’étonnera de la grosse tête, celle qui enfle tellement que parfois le vent y résonne/raisonne en tempête guerrière. Celle qui est si grosse qu’il en sort immature des cuisses de sa mère (avantage de son imperfection, de son infinie dépendance : il est malléable le petit d’homme, il apprend, mime, mémorise et peu à peu se particularise).
Bien sûr, j’aurais pu faire appel à la distance en soi du soi ; à la conscience en miroir ; au moi qui se scinde d’une totalité ouverte cependant intégrative et qui se prend en compte au milieu du monde (qui le définit en ses limites) en vis-à-vis avec autrui (qui le révèle à lui-même) ; au Je qui se résume (résume «moi» pour toi) et s’exprime…
Evidemment, j’aurais pu parler du corps qui exige à hue, du cerveau qui voudrait à dia. Ou de la chair qui sent, de l’intellect qui calcule ; de la matière qui lie ou attache (à la matière, au monde, au temps -durée et processus-, à l’autre et à soi-même/à elle-même) et de la pensée qui délie ou déprend (en idée, projet, imaginaire…). Parler de cet être en existence qui se soutient entre spécimen défini, individu situé et personne se dé-finissant. Mais aussi, entre personnalité en cohérence et personnage en représentation provisoire. Entre sapiens et demens : car, comme le souligne E. Morin: «L’évacuation totale de l’affectivité et de la subjectivité vidangerait de notre intellect l’existence pour ne laisser place qu’à des lois, des équations (…) / La vie humaine a besoin de la vérification empirique, de la correction logique, de l’exercice rationnel de l’argumentation. Mais elle a besoin d’être nourrie de sensibilité et d’imaginaire.», La méthode, p 111-112.
Sapiens : tous membre d’une espèce Une et plurielle qui fait humanité de gènes, de fait, de principe et de droit – qui palie les manques par le symbole ou l’affect, qui corrige les lacunes (d’une reconnaissance familiale refusée, par exemple) par une solidarité collective.
Une espèce constituée d’individus mêmes et différents. Mais aussi masculins et féminins ; qui naissent, découvrent le monde pour la première fois, vieillissent et meurent. Des individus qui ressentent, qui vibrent : où les émotions sollicitent, imprègnent et hiérarchisent leur mémoire, guident leurs projets et nourrissent leur souci. Non plus seulement la peur, mais l’angoisse (existentielle). Non plus seulement l’envie ou le besoin, mais l’exigence et le désir ; non plus seulement le manque ou le déséquilibre, mais l’insatisfaction, la tristesse et le chagrin. Non plus l’instinct de survie, possession, appropriation ou extension, mais l’ambition. Non plus seulement le vouloir pulsionnel, mais le projet. Non plus la compassion, mais le souci. Non plus la colère, mais la haine. Non plus la rétraction, mais le dégoût. Non plus l’infériorité (sentie), mais la honte. Non plus la douleur, mais la souffrance. Non plus le repos, mais l’ennui…
A la lumière du quotidien, l’homme est celui qui fait l’amour, l’invente, le vit, le sublime ou le transpose. Celui qui fait la guerre ou y joue. Qui ment, qui rit, qui pleure : rationnel et délirant, matériel et idéel. Mais il est également celui qui est homme, celle qui est femme. Celui qui est un, ceux qui font genre – et communauté. Car le terme est complexe, il parle de quelques milliards d’individus - tous différents. Traite d’une espèce unique nonobstant diverse. Présente un concept, un schème ou un fait anthropologique. Et est plurivalent ou ambivalent, comme l’humanité qui peut être substantive ou adjective. Un sujet qui pense (donc existe), qui sent (donc est), qui veut (donc persiste), qui aime (et donc trouve un sens aux limites dans le regard de l’autre ou l’ouverture du futur).
Par suite, l’homme est une réalité de l’entre-deux –entre deux néants ou deux infinis (avant/après lui). Entre deux autres, qui le firent. Entre un corps qui l’aliène et un esprit qui le libère –une chair qui le réalise, une pensée qui l’abstrait. Un centre identitaire (soi/moi) et des tentacules d’extériorité (Je, et ses prothèses, ses représentations, ses «clones»). Entre mémoire et oubli, passé et futur –dans un présent fugitif et toujours renaissant, mais au regard d’une pérennité si ce n’est d’une «éternité» (rêvée). Entre égoïsme et altruisme, réalisme et idéalisme. Tout et Rien, Bien et Mal… …Liberté et Aliénation. Inné et acquis. Attachements et errances…
L’homme, de partout, de nulle part, est cette créature étonnante qui laisse des messages pour l’au-delà –du temps et de l’espace. Qui peint sur des parois rocheuses ou sur la toile…
Au vrai, l’identité est un ensemble de cercles concentriques où chacun porte le suivant qui naît d’une tangente : cercle du soi, du moi, du Je ; de la famille, de la lignée, du clan, du groupe social - et le cercle culturel ; celui de la maison familiale, de la terre à fouler, de la cité, du territoire, de la Terre ; celui de la tradition familiale, des coutumes claniques, des règles socio-culturelles, de la loi nationale, du droit international, des droits de l’homme –et tant d’autres. E. Morin en cela voit juste : «Pour concevoir une éthique universaliste qui dépasse les éthiques communautaires particulières, on ne peut ni ne doit vouloir la disparition de ces communautés ; on peut/doit souhaiter leur ouverture et leur intégration dans une communauté plus ample, celle de la Terre-Patrie qui est la communauté de fraternité non encore réalisée», Méthode VI, p. 170. Et de témoigner d’une complexité dialogique « (…) nous sommes jumeaux par le langage et séparés par les langues. Nous sommes semblables par la culture et différents par les cultures (…) / Il y a une unité humaine. Il y a une diversité humaine. Il y a unité dans la diversité humaine, il y a diversité dans l’unité humaine. L’unité n’est pas seulement dans les traits biologiques (…). La diversité n’est pas seulement dans les traits psychologiques, culturels, sociaux (…). Il y a aussi une diversité proprement biologique au sein de l’unité humaine, et il y a une unité mentale (…). / (…) le problème épistémologique clé d’une connaissance et d’une compréhension de l’humain : il y a impossibilité de concevoir le multiple dans l’un et l’un dans le multiple (…). Ainsi, devenu invisible et inintelligible, l’homme disparaît au profit des gènes pour le biologiste, au profit des structures pour le trop bon structuraliste, au profit d’une machine déterministe pour le mauvais sociologue (…) / La diversité des cultures, la diversité des individus entre eux, la diversité intérieure des individus ne peuvent se comprendre ni à partir d’un principe simple d’unité, ni à partir d’une plasticité molle modelée par les cultures au gré des circonstances. / L’unité humaine ne peut se réduire à un terme, à un critère, à une détermination (…). Nous devons concevoir une unité qui assure et favorise la diversité, une diversité qui s’inscrit dans une unité. L’unité complexe, c’est cela même : l’unité dans la diversité, la diversité dans l’unité, l’unité qui produit la diversité, la diversité qui reproduit l’unité (…)», Méthode V, HdeH, p. 59-60.
Loin de cela, Nicolas Sarkozy entendit naguère faire du patriotisme une quasi obligation –devoir dû à la patrie. C’est oublier là la réalité d’une «patrie» : ni lieu d’échanges marchands, ni système de sanctions, ni vade-mecum des devoirs. Mais proprement un champ mi réel mi symbolique où se lient et interfèrent des individus. Un champ de valeurs et de projets, de constructions et d’avenir : offrant un lieu essentiel où s’ancre les existences et pour lequel tous combattraient si besoin était.
Où donc avoir une identité, quelle qu’elle soit, c’est avoir des racines bien plantées dans la terre, dans la culture, dans les liens aux autres, les projets communs et un avenir possible –en avoir de longue date ou de peu de temps, pourvu qu’on leur laisse la possibilité de croître et d’y croire. Que donc l’on n’arrache pas les radicelles à coups de hache, d’exclusions, de ségrégations ou d’insultes. Car seul l’isolement nourrit la rancœur des «amants» déçus. Car donc la violence naît d’un soi abonné aux croyances sans ancrages ni histoires investies : croyances d’esseulés dépossédés d’espoirs partagés, d’actions solidaires, de constructions communautaires, de projets collectifs ou d’utopie commune.
A l’observation, comme l’identité familiale, l’identité nationale se construit d’un passé commun mis en mémoire et de souffrances et de joies mises en partages. Mais aussi, d’actions en cours, de constructions en œuvre, de projets généraux et d’entraides soutenues dans l’effort et contre l’adversité. A cette aune, comme en une famille, l’isolement social, la stigmatisation, le silence ou la peur attisée alimentent les réclusions, exclusions, incompréhensions et violences. Par suite, au-delà de sa dangerosité tant principielle que collatérale (dans ses non-dits ou ses « mal-entendus »…), un Ministère de l’Identité Nationale naît de la peur (de dilution identitaire, de déliquescence culturelle…) et repose sur une illusion. Car l’identité se sent/ressent et construit –en ses attaches et projets partagés. Mais aussi, en ses actions communes -où l’acte impose ses propres nécessités, où le but focalise les regards lors même que la tâche produit une solidarité.
La France disions-nous, et sa devise de liberté, égalité, fraternité…: celle que l'on aime, et que l’on aime pour cela.
Si nul ne peut effacer le passé, tout reste à faire pour nous, pour l’avenir….
Et déjà, garder la mémoire vive du passer pour en tirer (enfin) leçon et construire un avenir...
Réinventer un projet "humanité": où l'unité nourrit le pluriel des singularités; où le pluriel s'articule en harmonie -où le Tout se reconnaît en ses parties, sa richesse....
Sans perdre de vue qu' il fut, qu'il est, qu'il sera ... ... des coupables de leur seul nom, seul accent, seule couleur, seule prière -et des bourreaux très ordinaires –inhumains !
Eternel problème de la reconnaissance de l'autre comme semblable.
Eternelle difficulté de l'acceptation d'autrui en ses différences.
Et difficulté d'autant plus cuisante qu'elle se présente dans un contexte d'insécurités multiples -"mondaines" ou planétaires, culturelles, sociales, physiques, familiales.... Et qu’il est des “responsables” politiques pour désigner les coupables ou les vecteurs ou les facilitateurs de tous les désastres qu’ils ne purent empêcher : l’autre, évidemment -le plus fragile, le plus souffrant, le plus vulnérable....
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