Les événements de ces derniers jours, en France, mais pas seulement, et plus spécifiquement leurs traitements médiatiques tenant à l'obscène, mettant en scène l'horreur jusqu'à plus soif -pour un scoop ou pour une (mauvaise) cause- me poussent à la réflexion...
Car l'on a joué des peurs. Et des larmes. Et des fragilités d'équilibres instables...
Car aussi, l'on a en quelque sorte "dérobé" aux familles endeuillées la profondeur sans mesure de leur chagrin -prétendant à «même douleur» là où n'est qu'incommensurabilité... ...Tout cela en flashs bien trashs chèrement monnayés! Dans les faits, cette succession enivrante permet de faire l'impasse sur les problèmes de fonds pour abandonner très vite les victimes à leur solitude...
Tout ceci me conduit alors à ces quelques remarques:
Et d’abord sur la presse : où le reporter n’est jamais aussi vivant que sur les tombes pas encore creusées -bouffées d’adrénaline et frissons à fleur de peau, sans doute ?
Certes, cela, sûrement, partit d’un bon sentiment : être là où l’histoire s’écrit, dénoncer les horreurs et les ignominies et les coups de folie. Renseigner pour permettre le savoir, et l’analyse, et la prise de mesures ou la mesure de l’air du temps. Nonobstant, avec l’expérience, avec le temps, comme disait Léo, et parfois le cœur qui se blinde, et souvent l’ambition qui s’insinue, et toujours la pression ambiante (tentaculaire ou plurielle) poussant des pieds et des mains, la précipitation s’impose pour oblitérer le travail intellectuel et remplacer l’émotion vraie par quelques décharges qui se perdront avec l’événement ultérieur…. Ce faisant, l’on nous propose une série de séquences où le réel tend à se confondre avec la déferlante incessante des images fictionnelles débordant de corps écorchés et d’hémoglobine au ketchup… Et l’on défait l’Histoire en anecdote
Ensuite, sur une figure paradigmatique et néanmoins très concrète de nos sociétés : celle de l’homme sans visage –celui des insatisfactions permanentes et des quêtes de soi (s’exprimant dans les chirurgies esthétiques). Mais aussi et surtout, celui des solitudes urbaines et des ruptures tant sociales que générationnelles, historiques ou culturelles : d’un homme sans réalité ni consistance – et qui cherche désespérément à s’affirmer…En ce compris, quelquefois, dans la violence destructrice ou autodestructrice…
De fait, les «plus jamais ça» s’enfoncent bien souvent inutilement dans les nuits noires de nos cauchemars. Et rien n’est certain, et la bête immonde est là qui rôde –revenue des enfers pour incendier le réel. Parce qu’il est des brasiers qui s’allument sous le souffle froid du mépris ; des bûchers qui se nourrissent de peurs hallucinées ou de haines aliénées. Qu'il est des presque frères oubliant d’où leur viennent leurs différences – ce qui les unit sous d’autres noms, d’autres inflexions. Et qui se déchirent alors à coups de pierres jetées ou posées en rempart. Mais les armes sont inégales et les combats iniques qui opposent aux fils les fautes des pères. Et il fut, il est, il sera des coupables de leur seul nom, de leur seule prière. Et des bourreaux très ordinaires –inhumains.
A l’observation, en cette Histoire des hommes, sur cette Terre commune, au regard de l’aventure anthropique, les événements dépassent de loin les «deux communautés» ici impliquées (au vrai et plus justement, dépassent les sujets concrets et singuliers appartenant à ces deux communautés). A mon estime, ces dérèglements individuels et sociétaux concernent l’ensemble des hommes –et l’on peut sans doute généraliser les analyses :
Là, le feu des représentations religieuses et des harangues exaltées de leurs propres haines, leurs propres peurs. Ici, la froidure des solitudes porteuses d’incertitudes ou de déliances factrices de dévastations.
Terrorismes s’enivrant de leurs extrémismes hallucinés…
Guerres s’enorgueillissant de leurs légitimités autoproclamées…
Gangs citadins, trompant leur désespoir pétrifié dans la mise en pièces ou en fumée des objets et symboles sociétaux se refusant à eux…
Athées monadiques (sans reliances) et croyants intégristes (sans foi pacifiée de/par des liens générationnels et interindividuels) s’abandonnent semblablement à la violence engendrée par leurs manques de densité existentielle et de reconnaissance interindividuelle ou sociétale. De fait, luttes fratricides d’apocalypse et combats urbains de démolition exécutent une même danse macabre –les individus sont malades des négations et désespérances qui les dévorent. Partant, noyés dans la foule qui les écrase sans les unir, tous souffrent de désenchantement…
Là-bas, les batailles de frères ennemis indéfectiblement unis : où la mort passée étouffe la vie future, où la vengeance inique répond au pardon déphasé ou déplacé –car seule la victime peut ou pourrait offrir à son bourreau un pardon librement construit.
Plus près, les pugilats de solitaires précipitant leur délaissement dans la masse : où l’effondrement des liens conduit à la déconstruction des réseaux fondateurs –car seule l’appropriation des héritages et lignages peut apporter aux individus la liberté d’une existence factrice de sens. Où donc la négation des spécificités et l’effacement des différences, ou leurs résidus sursignifiés, conduisent au «mal de soi» d’une perte identitaire et d’un malaise existentiel. Conduisent à un manque de densité et à une insécurité - vecteurs de violences destructrices et autodestructrices…
Et tous les hommes sont différents ! Tous. Comme le sont les peuples et les groupes culturels, comme peuvent l’être frères et sœurs -sans appréciation de valeur : ni inférieurs ni supérieurs, ni plus ou moins fous ni plus ou moins sages…
De fait, chaque sujet est unique –car il est sujet d’affirmations ou d’extractions. Mais aussi, d’intégrations et d’appartenances.
Et tous les hommes sont semblables de leurs différences -par elles, comme aptitude humaine à la différenciation…
A cette aune, eu égard à cette bipolarité, quand une intégration au cœur du substrat commun est impossible, quand cette différenciation est contredite, restent la solitude monadique et la déperdition de soi. Restent l’angoisse (de vanité) et la violence (de vacuité). Reste un sujet en quête de reconnaissance –de racines et de sens.
Au finale et dès lors que l'on a condamné, dès lors que l'on compatit, et très sincèrement, reste à démêler les causes multiples (du familial au social, de l'individuel au collectif, du structurel au politique...) et à agir en conséquence. Rage et désespoir, et insécurité psychologique ou "identitaire", et intolérances y associées, et peurs collectives, et angoisses communes, et troubles particuliers ou solitudes singulières allument trop de brasiers.... En un sens, parmi d’autres éléments intervenants, violences individuelles ou urbaines, rejets d'autrui, terrorismes et guerres (si peu) légitimes témoignent aussi de croyances sans ancrages : celles d’esseulés dépossédés d’un espoir partagé, d’une utopie commune, d’un projet collectif et d’un agir communautaire... Croyances étrangères à l’édification biographique ou historique de la subjectivité personale : et dès lors investies erronément et aveuglément tel un gilet de sauvetage par l’homme jeté en une mer qui le submerge. Croyances de déracinés angoissés qui allument les bûchers de Dieu ou les brasiers des rues. Car donc, sans ancrage en une humanité commune et en un projet collectif, la conscience perçoit le ‘moi’ en vis-à-vis comme une menace ou une négation de lui-même. Et cette négativité peut, si nul projet commun ne s’édifie, induire une insécurité, une angoisse ou une haine destructrice.... Où donc la nécessité du lien à autrui (semblable différent), d’une insertion en une lignée (spécifique et définitoire), d’une intégration en une communauté (d’individus singuliers) et d’un accueil (par l’autre) en un projet d’avenir (commun) apparaît également en contre-donne des violences urbaines et des attentats multiples –mais aussi dans les replis communautaristes, les perditions sectaires, les rages intégristes, les adhésions aux dogmes supposés originaux (ancestraux) ou même dans les utopies transhumanistes. A mon estime, même s'il est d'autres causes, ceux qui combattent, pillent ou vandalisent trompent d’ores et déjà leur errance désespérée dans la mise à sac des objets et symboles sociétaux qui se refusent à eux. Où l’individu ‘apatride’ (Immigré, réfugié, exclu socio-économique ou esseulé des ruptures et des démissions sociales, éducatives, politiques, familiales....) se trouve confronté à un effondrement des valeurs, des promesses et des horizons offerts naguère par la tradition familiale et la continuité généalogique... ..... Face à cela, en réponse hallucinée, les attentats et les violences sous toutes leurs formes.....
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