Les Écrits

Idéalisme, pragmatisme, utilitarisme.....

    Je vous propose ci-dessous quelques réflexions portant sur ces différentes notions –qui sont aussi attitudes, positions voire prescriptions.

     En toute honnêteté, mes développements touchent habituellement les domaines bio-éthico-médicaux au regard des conditions de possibilité de la condition humaine -pour un homme en soutenance dans l’entre-deux : matière et matière qui se fuit en réalisations plurielles (dans la construction sociale, dans la pierre ou dans les livres, dans l’enfant et vers ou dans les générations futures, etc.). Un homme se maintenant entre passé mémorisé, présent acté et futur projeté. Mais aussi, entre repli sur soi et ouverture aux autres et au monde –centrage sur un «soi» d’intimité et externalisation en prothèses multiples….

     Nonobstant ce champ tentaculaire s’inscrit dans un contexte social et politico-économique…

 

    Avant toute autre chose, rappelons que l’idéalisme platonicien  recouvre un schème dualiste  rapporté à un ordre intelligible invisible à l’homme pris dans le cours du monde. Perspective ‘métaphysique’ d’un ‘au-delà’  ou d’une Cause universelle… D'un "Souverain Bien" à redécouvrir et auquel se rapporter pour y soumettre l'ensemble social...

 

     Ainsi, tout au long de l’aventure humaine, le pouvoir acquis sur la nature se lia à ses propres règles et limitations :

                             -- quelquefois externalisées en Révélations – Transcendantes donc ;

                             -- d’autres fois inscrites dans l’immanence de codes juridiques, règles déontologiques ou traités moraux. 

              - Et selon une perspective universaliste ou en une approche relativiste…

             - Dans la crainte et le tremblement ou par conviction enthousiaste…

             - En adoption raisonnée ou sous les contraintes coercitives…

             - En subordination aux Idées (Principes, Idéaux) ou en référence casuistique aux subjectivités singulières et situationnelles…

 

    Par ailleurs, tant au niveau des organisations sociales ou sociétales qu’au niveau référentiel (système symbolique, horizon de finalité, projet anthropique); de la pratique (ou au cœur de la praxis) à l’explicatif (voire au normatif); dans le champ des gérances (politiques, économiques, structurelles, industrielles…) ou dans celui de l’éthique, les arguments divers se rapportent:

        -Soit à l’in-essentialité de l’homme et à sa contingence : au profit de l’espèce, de la «race», de la nation, du groupe, du clan, de la famille, …, ou de tout intérêt le dépassant (idéologique, politique, économique, financier…)  -et ce jusqu’à la dissipation «identitaire» et l’insécurité existentielle (d’un sujet nié en sa singularité comme en sa valeur et réduit au rôle utilitaire/instrumental d’un pion ou d’un maillon proprement remplaçable.

        -Soit au plaisir ou au «bon plaisir» d’un sujet volitif détenteur d’un pouvoir –jusqu’à l’appropriation/aliénation (d’autrui, des biens, des outils de production, des richesses naturelles…)  et l’insécurité sociale.

        -Soit aux schèmes stabilisateurs et constructeurs de liances sociales/sociétales : au regard des personnes et de leurs interactions  (par rapport également à la nécessité psychologique et sociale de limites et de «tabous»   – avec le risque d’une dérive allant jusqu’au conservatisme politico social ou au fixisme structurel).

        - Soit à la liberté et à l’autonomie d’un être de raison qui se réalise en ses projets et transgressions : de la liberté individuelle jusqu’à l’ultra libéralisme social et jusqu’à la rupture sociétale. 

        -Soit à un  réalisme pratico-objectif : rapporté aux risques ou avantages inhérents aux systèmes, modes de productions et techniques, mais aussi à la mondialisation et à la concurrence qui autoriseront ailleurs ce qui serait interdit ici -  jusqu’à un rationalisme froid.

        -Soit à un idéalisme  – jusqu’à une abstraction indifférente à la concrétude.

        -Soit à un conséquentialisme peu ou prou utilitariste rapporté aux conséquences bonnes ou mauvaises de l’acte, de la technique ou du système  – jusqu’à l’inhumanité.

        -Soit à un universalisme formaliste, selon Kant.

       - soit à un relativisme casuistique  commandant de prendre en compte la singularité d’un individu (ou d’un groupe) toujours déjà situé et de mesurer les conséquences de l’action au niveau local.

Rem :

La démarche conséquentialiste s’attache à une éthique pragmatique recommandant de mesurer l’action à la réalité et à la réalité vécue des faits tout en adoptant une attitude logique eu égard aux savoirs, principes et projets généralement partagés. Cependant, la position conséquentialiste trouve ses limites dans une soumission aux modes et désirs ponctuels. Partant, une telle conception vaut aussi longtemps qu’elle ne détruit pas cela même qui vaut cette finalité ( : le sujet pensant, la conscience sensible et soucieuse, le groupe, la cohésion sociale, l’humanité).

A l’opposite, la démarche principialiste s’attache à une éthique de l’impératif (kantien) (re)commandant de mesurer toute action individuelle aux conséquences de son universalisation et imposant de considérer tout homme et tous les hommes comme fin. Elle s’attache à quelques valeurs qu’elle pose en intouchables. Cependant, l’éthique principialiste trouve ses limites dans un mépris de la casuistique (c’est-à-dire des singularités et des situations ou circonstances) et se colore alors de froide rigidité. Partant, assise sur le respect dudit principe(sphère abstraite : Idée, Valeur, Loi, Symbole…), elle vaut en son respect d’une valeur transcendante aussi longtemps que le modèle ne méprise ni ne sacrifie l’individu concret.

Bref, tant l’attachement «pur  et dur» aux «Principes» ou aux «Idées» que l’alignement sur un conséquentialisme à extensions utilitaires semblent insuffisants dès lors que le premier pourrait sacrifier le concret à l’abstrait tandis  que le second pourrait accepter le sacrifice de quelques-uns au bénéfice du plus grand nombre (selon un calcul coût/bénéfice aux limites incertaines …) - ou encore pourrait mésestimer l’influence des constructions symboliques et des projections diachroniques, trans-chronologiques ou identitaires. Quand donc l’éthique principialiste pourrait paralyser l’action, le progrès ou la recherche[1] tandis que l’éthique conséquentialiste recèle un risque de désorganisation sociétal, de réification progressive de l’individu (comme pion, outil…) et du corps (comme matériau) ou même d’inféodation de l’existence de chacun à des projets ou à des critères qui la dépassent.

 

    Reste encore aux partisans de l’une ou l’autre voie argumentaire à évoquer :

            -a) le mode impératif ou la voie transcendantale (d’une définition du «bien» ou du «permis» et des champs d’application assortis de leurs règles nécessaires) ;

           -b) ou le mode discursif et la recherche du consensus quand ce n’est du compromis, tel J. Habermas (attaché à l’espace publique de discussion et à la rationalité communément partagée). Ou  tel J. Rawls  en quête de la «juste décision» associée selon lui à l’adoption préliminaire des conditions fictives du «voile d’ignorance» : procédé opérationnel pour juger du juste (ou juger justement) dans une société démocratique dès lors que l’ignorance de la situation future au sein de l’organisation (situation/fonction assignée ou probable/possible) garantirait chacun contre l’iniquité des décisions ayant trait à ladite organisation -humaine, politique et sociale. 

 

    Soulignons encore que l’homme en sa conscience émergente et croissante, en son humanisation donc, a mis en place des systèmes de cohésion (systèmes cohésifs) qui lui font garantie : d’humanité, bien sûr, mais aussi de sécurité  [individuelle et collective, immédiate, future et (trans)générationnelle ou spécielle].  

Tels systèmes recouvrent une articulation spécifique des différentes valeurs qui lui sont proprement référentielles :

                          -a) Valeurs pratiques ou techniques puis scientifiques (opérantes) apportant une maîtrise grandissante du monde objectal et phénoménal ;

                          -b) Valeurs d’échange ou «économiques» : par le travail ou l’accumulation de surplus permettant un échange ultérieur   [nourriture, objets, main d’œuvre ou… …ventres féconds]   et autorisant également une organisation telle qu’une prise en charge des plus faibles et/ou incapables (âgés, malades, affaiblis et autres blessés de la vie) put se développer ;

                          -c) Valeurs morales : le Bien et le beau.

                                           En cette dernière catégorie, les entités référentielles des différentes constructions éthiques pourront être :

                                       a)La vie : entendue comme le substrat biologique (quasi indifférent) d’une éventuelle existenciation   … …      ou perçue comme une  manifestation et/ou une réalisation sacrée(s).

                                       b) La personne : centrée sur individu humain capable de se soutenir à l’être (excluant embryons, fœtus, prématurés, voire nourrissons et jeunes enfants, ou encore comateux, débiles profonds)        … …         ou étendue à tout être individué portant en possibles ou promesses (voire même du simple fait des symboles, projections, anticipations, mémorisations ou savoirs tiers) les caractères propres à l’homme.

                                     c) L’existenciation (d’un sujet conscient soutenant son identité et assumant ses actes au regard d’un projet).

                                    d) La dignité : soit consubstantielle (comme qualité attributive ou principe), soit co-existentielle (de soutenance et conditionnelle).

 

     Pour nous, tant au cœur du social (et de l’économique) qu’au niveau technique, on ne peut laisser au seul «possible» la charge régulatrice. Certes, un report à la règle (la Loi, la Norme…)  est tantôt réducteur (en ses impositions), tantôt problématique (en sa légitimité) :                  

                                                  - Immanente, telle référence étrécit l’horizon ; côtoyant l’intolérance en son fonds  narcissique comme en ses accointances (avec les besoins psychologiques ou matériels du détenteur du pouvoir décisionnel / référentiel).

                                                - Transcendante (en survol), elle s’éloigne de la réalité - mésestimant l’individu au profit d’un modèle idéel/idéal.

     Nonobstant, le refus d’un point d’arrêt imposé à l’appropriation (des richesses, des décisions, d’autrui) ou encore à la relativité des valeurs, conduit à l’indifférenciation éthique des actions : référées dès lors à la seule ponctualité d’une conscience désirante fermée à la problématique d’autrui. En ce sens, la philosophie du «tout est permis» (limitée par la seule faisabilité) côtoie celle du chaos social, de l’incohérence identitaire (point de vue intime) ou du totalitarisme.

 

            Qu’en est-il de l’éthique –au regard du champ bioéthique ?

       L’éthique (ethos - ou le fond référentiel/moral d’un groupe humain considéré)  recouvre une certaine puissance normative : jaugeant ou instituant des normes. Elle a en cela partie liée avec des jugements de valeur : menant une réflexion sur les référents et sur leurs conflits  –pour ensuite ébaucher un projet (humanité) à partir de ses présupposés ou options. Sa scène originelle est celle du champ Idéel/Idéal. Son rôle celui d’un schème paradigmatique qu’un sentiment d’appartenance et qu’un vécu de reliance au collectif contribuent à intérioriser au regard d’une raison et d’une conscience qui l’une et l’autre l’assument.

       Aujourd’hui pourtant, sous son habit bioéthique tout neuf,  elle se laisse infléchir par un pragmatisme certain : dès lors qu’elle suit les savoirs et les savoir-faire proposés (imposés ?) par la science. Elle se trouve de plus en plus souvent confrontée au fait avéré (qu’il lui faudrait réguler ou justifier) et aux exceptions expérimentales. Par suite, elle fait avec, tentant le plus souvent d’acclimater la nouveauté.

       Pourtant, l’impératif technicien lui est étranger: car elle entend précisément limiter l’action au regard d’un au-delà qui la (les) dépasse  –une valeur qui peut être l’autre en son altérité et/ou sa liberté, mais également le juste, le digne ou le futur.

       En clair, l’éthique est une conceptualisation (à propos référentiel ou normatif) de l’homme, de la vie (bonne), de l’existence (libre) et du sens (humain). Une mise en forme et en place des limites et des points d’arrêt à  imposer à l’action au regard d’autrui (dont la définition peut varier), de la liberté  (propre et tierce, présente et future), de la dignité (en sa polysémie), de l’espèce et du futur – à préserver comme futur libre et réel (différent d’une programmation ou d’un déroulement processuel du présent).

       Comment alors fonder une morale non théologique, non Transcendante, non violente (en ses réquisitions et préceptes) et non rigide (non Essentialiste) qui ne soit cependant ni fluctuante ni essentiellement Relativiste ?

       Lévinas en référait à la réalité d’autrui : de son visage qui parle, réquisitionne ou oblige son vis-à-vis. Sartre s’engagea de même dans la voie de l’appel : la main qui se tend et me parle – parle d’un autre moi, autre Je (autre et semblable). Jonas pour sa part se fondait sur le ' Principe Responsabilité '  (au nom de l’espèce, des générations futures  et des futurs individus). Pour nous, la question se lie fondamentalement à celle des ancrages – en ce compris à l’autre ou à autrui. Elle tient à la place d’un individu semblable et différent, capable ou incapable, autonome en ses puissances ou vulnérable en ses dépendances. L’autre donc, fragile en ses premiers matins comme en ses deniers instants, conscient ou pas (ou plus) et présent ou futur – en gestation, projet ou projection.

       Le point fondamental tient alors aux attitudes et soucis  - au regard de la dignité d’autrui ou plus justement des conditions dignes de son humanité.

                - Où l’espèce pourra constituer l’universel du spécimen humain : c’est-à-dire un fonds de possibles (potentiels) communs.

               - Où, à revers, l’individu se posera tel le singulier essentiel de l’espèce : une déclinaison unique de possibilités réelles.

         Ou encore, l’espèce est un  nous exprimé par des singularités conscientes de leurs appartenances (spécielles) et fortes de leur soutenance identitaire – une soutenance résumée, portée et extériorisée en Je (vers l’autre, pour lui ou contre lui).

        En tel contexte, la difficulté consiste à soutenir une transcendance immanente : à poser un horizon référentiel restant flexible (aux données circonstancielles, situationnelles et singulières du vivant et de l’existence).

        En fait, la dimension  qu’il s’agit de préserver  ne peut s’identifier ni au Sacré (Absolu en son imposition extérieure et immuable) ni à la perfection. Elle relève de ce qui fait, pour l’homme (pour nous ici présents), valeur, sens ou humanité. Il s’agit alors d’une référence ou d’un horizon, d’un but ou d’une valeur, dont la transgression factuelle doit être interrogée et posée en sa dimension proprement transgressive : selon une tension éthique et psychologique. Transgression rapportée à la préservation d’une valeur ou d’une entité supérieure à celles contredites. Transgression qui fait alors retour sur la préservation de l’homme et de son humanité.

       Reste alors à arrimer nos manipulations et nos réifications, nos utilitarismes, dans l’exception  -cette sphère réflexive permettant de souligner à chaque fois que la voie empruntée recouvre un moindre mal et / ou une étape transitoire. Où l’on traite, non pas d’une exception quantitative, fondamentalement inégalitaire, mais d’une disposition conceptuelle abordant chaque individu tel un être unique et chaque option tel un choix circonstanciel ou relatif (confronté à ses limites et à ses dommages collatéraux)   –dans l’assomption d’une tension éthique qui ne peut être évacuée et doit s’imposer en problème (en attente de résolution autre). Semblable abord méthodologique et conceptuel permet de rappeler les paradoxes ou contradictions patents en toute intervention (d’appropriation ou de dé-symbolisation) dès lors qu’on confronte cette intervention  à la condition humaine, au libre arbitre et aux générations futures. Permet finalement d’éviter l’accoutumance conduisant nécessairement à la pente glissante – notion d’accoutumance  soutenant l’argumentation d’Habermas en son opposition aux pratiques eugéniques diverses : «La désensibilisation de notre regard sur la nature humaine, qui irait de pair avec l’accoutumance  [à de telles pratiques] (…)  ouvrirait, à n’en pas douter, la voie à un eugénisme libéral»[9]

[1] Le risque ou l’incertitude propres à toute intervention portant sur le vivant, a fortiori humain, devraient être suspensifs puisque semblable action se prolonge en ses effets dans le corps de l’autre – méprisant sa liberté et hypothéquant possiblement son épanouissement physique ou psychique. En effet, la démonstration de l’innocuité d’une technique ou de la validité d’un substrat d’existence (d’une situation familiale ou sociale) exige la venue à l’existence d’un individu qui serait nécessairement sujet d’expérience à cet égard…

                 Publication perso:

Littérature pour la jeunesse – contes philosophiques

• L’intrépide tour des mondes d’un touriste entreprenant, Edilivre, 2010 (‘Fantasy’, à partir de 9/10 ans, comme voyage initiatique au cœur de la condition humaine et via une odyssée intersidérale…)

• Contes et fables d’une Terre presque ronde, Edilivre, 2011 (A partir de 7/8 ans)

• Equations. Variations sur un même thème, Edilivre, 2010 (Nouvelles, à partir de 14/15 ans)

 

Nouvelles ‘Grand public »

. L’instant d’après, Nouvelles, Collection ‘Coup de cœur’, Edilivre, 2012

 

Essais

• Ce petit rien, ce petit lien ? L’identité humaine face à l’opérativité technoscientifique, Le Manuscrit, 2007

. Du désir d’enfant au désir de soi ? L’homme à l’épreuve de la génétique et des technosciences, Le Manuscrit, 2007

• L’éthique sur la paillasse… ou l’aporie bioéthique, Edilivre, 2010

 

Thèse

• L’humanité à l’épreuve de la génétique et des technosciences. Aporétique humanité ?, Éditions Universitaires Européennes, 2011

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