«Kérozène»

Adeline Dieudonné : «J'aime jouer avec l'étrangeté du réel»

Avec son premier livre La vraie Vie (L'Iconoclaste), Adeline Dieudonné avait créé l'évènement. Elle revient avec Kérozène (L'Iconoclaste), un livre hautement inflammable qui multiplie les histoires grinçantes et les destins improbables. Humour noir, surprises explosives et situations incongrues... Adeline Dieudonné sous ses airs de grande fille sage cache un univers en fusion. Rencontre avec une autrice au monde volcanique.

Adeline Dieudonné.©Olivia Phélip

 Légende photo : Portrait d'Adeline Dieudonné © Olivia Phélip 

Se méfier des grandes blondes au large sourire. Surtout quand elles sont belges et qu'elles ont le goût des histoires bizarres. Adeline Dieudonné cache bien son jeu sous ses airs de belle hitchockienne candide. Dans son dernier livre, Kérozène, elle s'amuse avec des histoires parallèles très cinématographiques, dont la scénographie oscillerait entre Burn after reading, comédie d'espionnage loufoque des frères Coen et Les Nouveaux Monstres, film à sketchs réalisé par Mario Monicelli, Dino Risi et Ettore Scola. Dans les situations aux enchaînements faussement banals, l'autrice cherche la faille de laquelle va surgir une explosion radicale, une incongruité inattendue.

Kérozène, un livre hautement inflammable

Kérozène est un livre hautement inflammable. Scènes de vie incandescentes, portraits crachés au lance flamme, situations en fusion... Adeline Dieudonné aime décrire des personnages aux destins improbables, en saisissant ce qui va provoquer leur implosion. Elle lance l’allumette qui va déclencher l'incendie de leur existence, ce point focal où tout bascule. Ce moment où leur conscience fait exploser leur soumission. Dans une station service, leur passage va faire clignoter une ligne jaune ou rouge, selon. Un décor sans histoire, pour des voyageurs sans bagages, sortis d'un monde qui porte en lui la violence sourde de la vie moderne et des solitudes urbaines. Chelly, Victoire, Loïc, Alika, Olivier, Julie...tous vont se croiser sans se rencontrer. Avec un humour noir, où l'ordinaire prend des airs extraordinaires, ces nouvelles pièces grinçantes viennent confirmer que l'autrice de La vraie vie aime s'amuser avec le réel et jongler avec ses personnages. Nous rencontrons Adeline Dieudonné un premier avril, sous le signe de la surprise et des clins d'oeil, cela ne s'invente pas. 


Légende photo : Adeline Dieudonné en pleine "confession" sur son livre © Olivia Phélip 

Viabooks : D'où vient votre goût pour l'ordinaire étrangeté - ou l'étrangeté de l'ordinaire ?

-Adeline Dieudonné : J'aime imaginer des histoires qui sont loin de moi, jouer avec les décalages, tirer le fil au maximum sans qu'il se casse, juste pour aller au bout de son élasticité. J'ai toujours eu un goût pour les situations incongrues qui flirtent avec les limites du vraisemblable. La vie réelle nous montre à quel point elle peut aller loin dans la "dinguerie"! 

Iriez-vous jusqu'à dire que vous recherchez l'excentricité, à la limite de la faute de goût ?

-A.D. : Comme dans la mode, le créateur va oser l'excentricité à la limite de la faute de goût justement. Moi, en écrivant, je vais aller jusqu'à l'invraisemblable, sans dépasser la limite, mais je vais pousser les personnages très loin dans une intention apparemment logique. L'enchaînement est ce qui entraîne les personnes au-delà de ce qu'elles auraient pu imaginer elles-mêmes au début. Si on leur avait dit : "Tu vas aller du point A au point Z", ils auraient répondu : "Pas question". Mais en allant du point A au point B, puis du B au C, petit à petit, ils se retrouvent au Z. Vous connaissez l'expérience de Milgram. Elle se vérifie chaque jour. Le "trop tard" ou "trop loin" arrive toujours après des étapes. 

-Diriez-vous que vos personnages sont au départ passifs face à leur destin? 

-A.D. : Julie par exemple a complètement refoulé ses émotions. Elle est aimable et obéissante, car dans son travail, on lui demande de l'être. Alors quand les choses se déplacent sur le plan intime, elle se retrouve positionnée toujours de la même manière, aimable et obéissante. Tout comme Alika. Elle suit le manuel de la parfaite employée de maison. "Son destin c'est de servir, pas d'êre aimée". Victoire aussi suit une ligne pour laquelle elle a été en quelque sorte conditionnée.

Selon vous, les femmes semblent davantage condamnées à subir de la violence. Vous allez jusqu'à évoquer la violence gynécologique par exemple ?

--A.D. : Je n'ai pas cherché à écrire un manuel féministe en soi. Mais il me semble évident que la situation des femmes est liée à une construction sociale. Encore aujourd'hui, beaucoup de femmes sont condamnées à la docilité et leur adhésion à ce qu'elles vivent n'est pas consentie consciemment. D'autant que la violence peut prendre un visage bienveillant. C'est le cas pour Julie ou Monica. Alors la tentation est grande de se laisser aller à une sorte de destin "tragique" au sens d'imposé-accepté à un ordre établi. C'est ce décalage qui donne lieu aussi au comique de situation, car poussé jusqu'au bout, il montre que les choses incongrues peuvent arriver, pour peu qu'on ne se pose plus la question du sens. Vous connaissez les caméras cachées de François Damiens, l'acteur et comique belge ? C'est incroyable ce qu'il arrive à faire faire aux gens qu'il croise ! 

Jusqu'au point de rupture...

-A.D. :  La plupart de mes personnages semblent soumis, jusqu' à ce qu'une étincelle ne vienne les réveiller. Leur kérozène intérieur va s'enflammer. Parfois le déclencheur peut sembler mineur. Mais il permet l'implosion ou la nouvelle résitance. Et après, plus rien ne sera jamais comme avant.

Vous osez évoquer des scènes de sexe très crues. Comme si le sexe aussi était une sorte de consommation hautement inflammable ...

-A.D. : En écrivant, je voulais que le sexe participe de ces histoires un peu loufoques. Cela ne veut pas dire que je ne crois pas à des relations plus romantiques. Mais là n'était pas le sujet. La violence mécanique des relations allaient de pair avec un sexe mécanique qui répond  aux solitudes du monde moderne. Ces vies qui s'effleurent sans jamais se rencontrer. 

Comme dans La vraie vie, les animaux occupent aussi une place importante. Certains deviennent presque humains...

-A.D. : Morts ou vivants, les animaux sont importants pour moi. La violence que notre monde impose aux animaux est affreuse. Je vis avec des chats, des poules. Je suis végétariene à titre personnel. Je crois que notre monde a construit une emprise sur les animaux sur la base d'une domination dont on retrouve les stigmates dans les rapports de domination inter-humains. C'est cela dont nous devons sortir. Dans le livre, un cheval, Red Apple, est un véritable personnage. Je voulais lui donner la parole, comme s'il était humain. Nous appartenons tous au monde du vivant. Nous avons beaucoup à apprendre des animaux. La manière dont nous les traitons en dit long sur nous-mêmes et sur notre société.

>Adeline Dieudonné, Kérozène, L'Iconoclaste, 312 pages, 20 euros

En savoir plus

Adeline Dieudonné parle de son livre Kérozène dans La grande Librairie avec François Busnel (France 5).

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