Belle rencontre avec l'écrivaine américaine Alice McDermott, qui vient de recevoir le Prix Femina étranger 2018 pour La Neuvième Heure (Quai Voltaire) Conversation avec une femme qui sait si bien évoquer par le menu l'univers des êtres ordinaires. Dans ses livres comme Charming Billy, Ce qui demeure ou Someone (Quai Voltaire), elle brosse un portrait de l'Amérique comme on peindrait un tableau de genre. A l'instar d'un Brueghel qui, lorsqu'il représente la vie quotidienne des villageois en de multiples miniatures, peint une monde global. Il en est de même avec Alice McDermott : les multiples détails de l'intime banalité prennent chez elle le visage de la vie.
Légende : Portrait d'Alice MacDermott (Photo Olivia Phélip)
« Le monde ordinaire poursuivait sa course, se refermant sur le bonheur, aussi promptement qu’il avançait pour guérir le chagrin.» Ordinaire, bonheur, chagrin : trois mots de cette phrase extraite de Someone qui pourraient servir de mots-clés pour définir l’univers si particulier d’Alice McDermott.
Une œuvre qui construit petit à petit un mausolée à la mémoire des héros modestes, destins ordinaires qui épousent l’histoire des Etats-Unis. Someone paru en France l’année dernière revenait sur le destin d’une femme issue d’une famille irlandaise de Brooklyn depuis les années 30 jusqu’à aujourd’hui. Ces 70 ans qui ont vu basculer le monde, une époque et les modes de vie. Une épopée minuscule commencée déjà dans un livre paru il y a dix ans Ce qui demeure.
Alice McDermott y écrivait déjà : «Ce n'était pas contre l'avenir qu'ils en avaient, mais contre la perte du passé.» Ce goût du passé, Alice McDermott le déploie dans toute la palette de ses saveurs. Son style qu’on pourrait qualifier de « réaliste-intimiste » a le charme désuet des beaux récits et la force contemporaine de la fluidité avec images et enchaînements comme dans un film. Rien d’étonnant à ce qu’elle ait reçu l’American Book Award et le U.S. National Book Award for Fiction pour Charming Billy en 1999 : ce qui l’installa d’emblée comme une des écrivains américaines de tout premier plan. Nous la rencontrons lors d’un de ses passages à Paris, elle qui vit à Washington. Conversation avec une femme sensible qui ressemble à ses livres : sensible et attentive.
Pourquoi ce goût pour les personnes « ordinaires », Someone, même pas un nom?
Alice MacDermott : Je voulais réaliser le portrait d’une femme du XXème siècle dans un lieu et avec un point de vue qui n’avaient jamais été interrogés. J'ai donné une voix à cette absence. Cette femme n’était personne. Et j’en ai fait quelqu’un.
L’Irlande. L’immigration. Toile de fond de vos livres…
A.M. : Je suis irlando-américaine. Mes grands-parents ont émigré d’Irlande. Ils ont connu la grande pauvreté. Je suis issue de cette quête d’une issue meilleure. L’immigration est un combat. Mais cela occulte parfois les destins individuels. Les sacrifices. J’ai baigné dans cette culture qui a compté dans la construction américaine. Une culture du travail et de la modestie. De l’espoir aussi.
Un mélange de résignation et de courage est souvent associé à la conscience morale chez votre héroïne…
A.M. : Je crois en cette bonté intrinsèque que possèdent de nombreuses personnes. Et ce ne sont pas toujours les plus visibles. Ce sont celles qui font ces petites choses qui améliorent la vie des autres. Ces héros du quotidien comme Marie (le personnage principal de Someone) qui vouent leur vie à essayer de faire de leur mieux, plutôt qu’à vouloir changer le monde. Entrer dans leur intimité nous amène à leur donner la place qu’ils méritent. Leur capacité de résistance et d’empathie sont une inspiration pour moi et j’espère pour les lecteurs. Cette génération a su combattre la pauvreté et croire en l’avenir.
Rêve américain ?
A.M. : Aujourd’hui, ce rêve est en pause. On dirait que tout le monde est recroquevillé dans sa bulle. Comme si un mur s’était érigé partout entre les êtres. C’est l’opposé de ce que nous avons été. Il y avait de l’ouverture, on parlait de tout, avec ses amis. Maintenant j’ai l’impression qu’on ne parle plus de rien. Comme si la pensée ne pouvait plus avoir sa place. Comme si l’éthique des autres était gommée.
L’histoire se répète aujourd’hui pour d’autres migrants qui fuient aussi leur pays…
Tous les émigrés ont en commun la détermination à agir. Quitter leur pays en sachant qu’ ils ne retourneront pas en arrière. Cela signifie qu’ils sont prêts à perdre leurs repères pour échapper à la mort, sans savoir si une vie nouvelle va pouvoir se construire. Le monde d’aujourd’hui qui connaît d’importants mouvements migratoires fabrique de nouveau ces enclaves de survie à la limite de l’impossible. Ces émigrés sont, eux-aussi, souvent sans visage et sans identité. Un jour peut-être un de leurs descendants de la première ou deuxième génération racontera leur histoire. «Someone, somewhere »…
>Alice McDermott, Someone, Quai Voltaire, Traduit par Cécile Amaud
> Alice Mc Dermott, La Neuvième Heure, traduit par Cécile Arnaud (Quai Voltaire)
>Visionner uen vidéo dans laquelle Alice McDermott présente Someone:
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