«Consolée»

Beata Umubyeyi Mairesse: «La langue façonne la mémoire et l'identité»

Beata Umubyeyi Mairesse qui vient d'être choisie comme l'un des Talents Cultura 2022 pour son livre Consolée (Autrement) répond à nos questions. Elle nous parle de son questionnement sur l'identité et la transmission. Et sur l'ancrage de la langue qui fleurit dès l'enfance dans le cœur de chacun.

Portrait de Beata Umubyeyi Mairesse ©Olivia Phélip

Légende photo : Portrait de Beata Umubyeyi Mairesse © Olivia Phélip

Beata Umubyeyi Mairesse sait s'emparer des sujets identitaires et les transfigurer par l'écriture. Avec son magistral Tous tes enfants dispersés (Autrement), elle portait les voix de trois générations tentant de renouer leurs liens brisés par la guerre du Rwanda. Dans Ejo et autres nouvelles (Autrement), l’auteure franco-rwandaise évoquait encore l’horreur de la guerre, au détour de récits savamment noués et entrecroisés ( Lire la chronique d'Agnès Séverin sur Ejo ).

Le puzzle des mémoires enfouies

Dans son dernier livre, Consolée (Autrement), qui vient d'être sélectionné comme Talents Cultura 2022, Beata Umubyeyi Mairesse quitte la guerre comme sujet central. Elle y aborde le thème de la mémoire post-coloniale et de la transmission. En construisant son roman à la manière d’un puzzle, le livre imbrique plusieurs monologues écrits en des chapitres parallèles, qui résonnent sans se confondre. Nous ne savons pas au départ ce qui unit le destin de ces 3 femmes - Consolée 1954, Astrida 2019, Ramata 2019. Rwanda, Sénégal, France. Nous comprenons que chacune porte en elle une histoire complexe d'identité et d'exil, de mémoire originelle enfouie. Que reste-t-il lorsque l'Histoire vous a obligé à gommer toutes vos racines, à l'époque où les «mulâtres» d'Afrique étaient arrachés à leurs parents et placés dans des institutions en Belgique pendant la tutelle du Rwanda ? Sort réservé à Consolée, le personnage qui a donné son titre au livre. Que reste-t-il quand tout est oublié ? La langue, peut-être, toujours et encore. Langue comme reflet, miroir, semence...

La vieillesse et les traces de l'Histoire

Dans ConsoléeBeata Umubyeyi Mairesse aborde aussi la question du regard sur la vieillesse. Astrida est une pensionnaire métisse dans un EHPAD, elle perd la tête comme il est dit communément. Elle perd surtout son ancrage au monde. Coupée des autres, inintelligible et invisible. Il faudra le regard de Ramata, venue effectuer un stage d'Art-Thérapie dans cette institution, pour que cette langue inconnue prenne sens et résonne avec celle de tous les déracinés.
Consolée est un texte porté par la grâce d'un style, la beauté de ses images et la force de ses représentations. Beata Umubyeyi Mairesse incarne une voix qui résonne de tous ceux et celles qui parlent à travers elle. C'est avec bonheur que nous la rencontrons, par une des ces journées d'été qui joue les prolongations...

 

Viabooks : Quel a été le point de départ de votre roman ?

-Beata Umubyeyi Mairesse : Mon point de départ a été la proposition de résolution qui a été déposée, le 2 mai 2017, devant la Chambre des représentants belge, pour que l’État reconnaisse la ségrégation dont ont été victimes les enfants métis nés pendant la colonisation d'un père belge et d'une mère africaine. Certains de ces enfants ont été arrachés à leur famille et envoyés en Belgique où ils ont été considérés comme des étrangers. Au nom du gouvernement belge, le Premier ministre Charles Michel a d'ailleurs présenté des excuses en 2021. Cette affaire a provoqué comme un électrochoc chez moi. Etre métis vous mettait en danger d'un côté comme de l'autre de vos origines. Votre sort était un exil sans retour. C'est ainsi qu'est née mon personnage Consolée, née au Rwanda sous tutelle belge, fille d'un Blanc et d'une Rwandaise, retirée à sa famille noire en 1954 et placée dans une institution pour «enfants mulâtres».

Une des conséquences de ce déracinement est l'abandon de la langue maternelle...

-B.U.M. : Ces exils forcés avaient pour fonction de gommer toute référence aux «origines» et donc à la langue maternelle. Or, cette langue a été chantée, parlée au bébé et a imprimé en lui une trace mémorielle, qui l'inscrit dans une lignée, même inconsciente. 

C'est ce qui ressort aussi chez votre personnage Astrida. Lui revient une langue d'enfance alors que sa mémoire lui échappe.

-B.U.M. : On se déplace dans le temps et dans l'espace. Astrida, est une vieille femme métisse atteinte de la maladie d'Alzheimer, placée dans un EHPAD du Sud-Ouest dans la France d'aujourd'hui. Elle perd petit à petit l'usage du français et s'exprime désormais dans une langue inconnue. Personne ne la comprend. Tout se passe comme si sa maladie gommait les strates successives qui l'avaient façonnée et lui redonnait sa parole originelle. C'est donc l'histoire d'une langue perdue et d'une langue retrouvée qui s'incarne en elle.

Vous mettez en scène un autre personnage, Ramata, d'origine sénégalaise, qui va créer un lien avec Astrida.  Pourquoi ?

-B.U.M. : Je souhaitais tisser un lien entre le passé et le présent, qui est le seul moyen d'apaiser les souffrances. Dire les choses pour que «le passé passe». Une sororité va naître en effet entre Ramata qui est une femme noire d'origine sénégalaise de cinquante ans et Astrida, femme âgée aux origines rwandaises. Le cas de cette pensionnaire va interroger Ramata sur ses propres racines et l'aider elle-aussi à se réconcilier avec son histoire. 

Ces deux personnages renvoient en miroir aux ravages intimes de la colonisation...

-B.U.M. : Je voulais montrer dans ce livre comment l'histoire coloniale est encore vivante dans ses conséquences, qu'il s'agisse des personnes qui l'ont subie directement ou de leurs descendants. Ces traces sont encore très présentes. Elles possèdent les familles qui les gardent souvent sous silence. 

Cette symbolique de la langue retrouvée correspond-elle à une situation fréquente chez les personnes âgées issues de l'immigration ?

-B.U.M. : C'est une situation qui est de plus en plus fréquente. De nombreuses personnes immigrées vieillissent dans leur pays d'adoption. Parfois elles perdent la mémoire de la langue liée au pays de leur exil et recouvrent celle de leur enfance. C'est une réalité sociale et médicale. Mais c'est aussi une réalité qui interpelle l'écrivaine métisse que je suis sur la puissance fondatrice de la langue et de la mémoire. 

Vous-même, à quel âge avez-vous appris le français que vous maîtrisez si bien ?

-B.U.M. :  Je l'ai appris à trois ans. Mais, même si le français occupe une place forte dans ma vie, je n'ai pas oublié ma langue originelle. J'aime bien faire le parallèle avec l'univers du végétal. 

Une langue est comme une plante. Elle possède des racines aériennes qui peuvent se transporter avec vous, où que vous soyez. C'est important d'en prendre soin. Une langue est précieuse. Mais, même quand vous essayez de l'étouffer, elle continue d'exister. Si vous retirez la chappe de ciment qui enferme ses racines, elle se développe en une floraison de mots et de paroles.

Des mots qui fleurissent dans la poésie, salvatrice, vivante ?

-B.U.M. : La poésie. La chanson. L'écriture ...tout ce qui «parle». Ces langues-racines fleurissent de mémoire et d'histoire.

>Beata Umubyeyi Mairesse, Consolée, Autrement, 366 pages, 21 € >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien 
>Lire notre article qui présente le palmarès complet des Talents Cultura. Plus d'informations sur le site Cultura pour découvrir tous les lauréats.

En savoir plus

> Visionner la présentation  que Beata Umubyeyi Mairesse fait de son livre. Réalisation Mollat. 

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