«Les flammes de Pierre»

Jean-Christophe Rufin: «La montagne, une école de sincérité»

Jean-Christophe Rufin revient avec un livre qui nous entraîne non pas loin, mais haut. Les flammes de pierre (Gallimard) racontent une relation amoureuse sur fond d'aventure montagnarde. L'auteur de Rouge Brésil réussit à nous faire trembler et nous faire partager les frissons de la grande blanche. Vertigineux.

Légende photo : Portrait de Jean-Christophe Rufin, Catherine Hélie © Éditions Gallimard. 

Présente-t-on encore Jean-Christophe Rufin ? Médecin, voyageur et diplomate, il est membre de l’Académie française depuis 2008 et est notamment l'auteur de Rouge Brésil (prix Goncourt 2001), Le collier rougeCheck-pointLe tour du monde du roi ZibelineLes sept mariages d’Edgar et Ludmilla (tous chez Gallimard). Dans son dernier livre, Les flammes de pierreJean-Christophe Rufin ne part pas loin, mais haut. C'est à sa passion de la montagne que Les flammes de pierre se confrontent. Une passion qu'il qualifie lui-même de mystérieuse. Pour l'écrivain, chaque ascension est unique, source d'une transformation intérieure.

Une ode à la montagne

Chaque dépassemement de soi fait l'objet d'une quête personnelle, d'une confrontation avec les éléments. Devant le grandiose, l'humain se confronte avec humilité aux limites de la nature. Mais au fur et à mesure des ascensions, la montagne fait grandir ceux qu'elle n'engloutit pas. Et le montagnard acquiert de la hauteur, au sens propre comme au sens figuré. Les flammes de pierre (du nom d'une crête des Alpes) sont un livre presque initiatique.
« Une ascension accomplie dépose dans l’esprit de curieux souvenirs. On a beau répéter que le sommet lui-même n’a aucune importance, les instants que l’on y passe s’impriment dans la mémoire. […] Tout ce qui a été vécu sur ce sommet pénètre profondément dans l’esprit et pourra se libérer un jour, comme un génie sorti de sa bouteille, au moment où le regard, d’en bas ou d’ailleurs, se posera à nouveau dessus. Ceux qui ont partagé cette expérience sont habités par ces souvenirs rares et qui les lient à jamais. »

L'amour, en quête de verticalité

Ces souvenirs vont être partagés par les deux héros du livre, Rémy et Laure. 
«Rémy connaissait trop la force de cette communion pour y mêler les gestes minuscules de l’amour. Il sentait que son désir était partagé, que cette émotion avait la valeur d’une étreinte et que Laure, pas plus que lui, ne pourrait l’oublier. Tout devait garder son ampleur, sa grâce. Les petites effusions, les maladroites caresses humaines, dans ces décors de lumière, d’espace et de vent, sont dérisoires et même insupportables. Il fallait laisser l’esprit se mouvoir sans contraintes. Le regard était suffisant pour exprimer l’émoi et celui de Laure parlait sans ambiguïté. »
Ce couple qui n'en est pas (encore) un, encordé et élevé par la force de l'émotion partagée face à l'immensité des crêtes, entre roche et ciel. Rémy est guide de haute montagne. Il va être subjugué par Laure, l'énigmatique citadine, différente de toutes les clientes qu'il a l'habitude de séduire. Mais le retour au réel ne sera pas simple pour les deux. Le livre les suit dans leur aventure montagnarde qui se passe dans le massif du Mont Blanc, que connaît bien l'auteur et les retrouve à Paris où Rémy est venu rejoindre Laure. Choc d'une confrontation dans un autre milieu, non moins hostile... Le lecteur se trouve mêlé à ces frissons vertigineux, de l'amour ou de la montagne, les deux se mêlent sans se confronter. Et chemine auprès des héros au sein de cette montagne que l'auteur nous rend presque palpable. 

Il y a des livres qui nous grandissent.  Les flammes de pierre en font partie. Car il ne s'agit pas seulement de Rémy et de Laure. Il s'agit d'un couple universel qui nous renvoie à nos propres dépassemements. Jean-Christophe Rufin répond à quelques questions et nous raconte "sa" montagne. Et sa propre quête verticale.

Légende photo : Le Mont Blanc vu depuis Valmorel. Wikipedia.

Quelles sont ces « Flammes de Pierre » qui donnent son titre au roman?

Jean-Christophe Rufin : L’arête des Flammes de Pierre est une crête rocheuse située sous les Drus, au flanc de l’Aiguille Verte dans le massif du Mont-Blanc. Elle joue un rôle dans le roman mais elle constitue aussi un lien avec un grand classique de la littérature alpine, Premier de cordée, de Roger Frison-Roche. Et, bien sûr, par le mariage de ces deux termes qui évoquent à la fois le feu et le rocher, ce titre évoque métaphoriquement les deux forces à l’œuvre dans ce livre : la passion amoureuse et celle de la montagne.

Peut-on considérer ce roman comme l’histoire d’un trio amoureux, le troisième personnage étant la montagne ?

-J.-C.R. : Laure et Rémy, les deux héros du livre, vont vivre une histoire tumultueuse, faite d’unions et de ruptures. Chacun de ces épisodes est relié à la montagne. C’est par elle qu’ils se rencontrent, à cause d’elle qu’ils découvrent leurs différences, grâce à elle qu’ils pourront l’un et l’autre se reconstruire. Et en elle qu’ils pourront (peut-être) se retrouver…

Aucun des protagonistes du roman n’est natif de la montagne, pourtant elle leur est indispensable. Vous-même, montagnard d’adoption, comment expliquez-vous cet appel de la montagne?

-J.-C.R. : Cet attrait reste toujours mystérieux. Au cours d’une vie, le lien qui nous unit à la montagne change de nature et on découvre à chaque âge de nouveaux motifs de sacrifier à cette passion. Du consumérisme un peu grégaire des sports d’hiver jusqu’à l’angoissante solitude de l’alpinisme, en passant par la randonnée en liberté ou par la grimpe hédoniste dans des falaises ensoleillées, les pratiques sont variées, les motivations aussi. Le roman, en suivant les protagonistes, va permettre de les visiter toutes.

Vous écrivez en substance que la montagne, ça réduit en poudre les petits drames de la vie...

-J.-C.R. : La montagne connaît le drame ; pas le mélodrame. C’est une école de sincérité. Les bobos, les déprimes n’y résistent pas, non plus que les fanfaronnades. On ne peut pas tricher longtemps. On est vite ramené à sa vérité quand on se confronte à la montagne.

Vous évoquez la paroi rocheuse comme « un jardin zen ». Une façon de dire que la montagne, nous impose une forme de méditation, nous révèle à nous-mêmes?

-J.-C.R. : La grande alpiniste Stéphanie Bodet compare l’escalade à un « yoga vertical ». On pourrait en dire autant de la marche. Ce sont des ascèses du mouvement. Ce que les personnages découvrent dans ces décors de glace et de pierre, c’est leur corps et, par son intermédiaire, leur esprit. Suivre pas à pas Laure et Rémy dans leur histoire, c’est cheminer avec eux, pour nous découvrir nous-mêmes.

>Les flammes de pierre de Jean-Christophe Rufin, 352 pages, 21 euros

>Lire l'entretien dans son intégralité en allant sur le site de Gallimard © Gallimard

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