Alors que Facebook a annoncé se lancer dans l'aventure du metavers, les expériences de lecture immersive dans un univers numérique en 3D sortent de leur statut expérimental. Sommes-nous à l'aube d'une nouvelle révolution ? Nous faisons le point avec Lorenzo Soccavo, chercheur en prospective du livre et concepteur de la BiblioSphère.
Bienvenue dans le monde numérisé en 3D ! Alors que Facebook se lance dans le metavers et va développer de nouveaux outils qui aboutiront à de nouveaux usages, le monde de la culture s'agite. Une nouvelle révolution numérique est-elle en marche ? Allons-nous vivre avec notre avatar, qui va devenir un prolongement de nous-même et participer à de nombreuses aventures artistiques, littéraires, cinématographiques dans des univers virtuels ? Quid dans le monde des livres ? Et de l'éducation ? Le metavers va-t-il nous permettre de nous promener dans des bibliothèques, de communiquer avec d'autres lecteurs, de choisir un livre dans une librairie virtuelle et même d'échanger avec des avatars d'écrivains qui organiseront des conférences ou des ateliers d'écriture ? Un peu vertigineux et pourtant déjà possible.
Nous rencontrons Lorenzo Soccavo, qui est l'un des meilleurs chercheurs en prospective du livre, concepteur de la BiblioSphère, qui travaille sur ces sujets depuis de nombreuses années.
-Lorenzo Soccavo : En fait, malgré depuis plusieurs semaines tout le buzz autour du futur métavers de Facebook, il y a depuis des années déjà des métavers qui sont et font le cyberespace. Un métavers (contraction entre les mots meta et univers) est une simulation numérique d'un monde possible. Pour ma part, j'y suis actif en effet depuis 2006 où j'ai d'abord donné quelques conférences sur Second Life. J'ai très vite ensuite migré sur des métavers opensource. J'ai développé différents projets, visant tous à expérimenter de nouvelles formes de médiations du livre et de la lecture dans le cyberespace, sur un métavers francophone d'abord, puis sur la plateforme EVER (Environnement virtuel pour l'enseignement et la recherche) de l'université de Strasbourg.
Depuis 2014 je travaille surtout sur OSGrid, la plateforme des développeurs du logiciel libre de création de mondes virtuels OpenSimulator, en collaboration avec le collectif i3Dim (Incubateur 3D immersive) et Adret Web Art.
-L.S. : C'est un prototype d'hyper-bibliothèque futuriste qui a pour vocation première de s'adresser aux bibliothécaires afin de tester avec eux les possibilités de bibliothèques du futur dans des univers virtuels 3D immersifs avec avatars. C'est un peu une "bibliothèque témoin" comme il y a des "appartements témoins" dans de nouvelles résidences. C'est un cadre expérimental ouvert aux dialogues et aux échanges... Concrètement, il s'agit d'une sphère dans le cyberespace, accessible aux internautes du monde entier au sein d'un métavers opensource et dans laquelle les internautes peuvent se projeter par le truchement d'avatars. A l'intérieur, trois niveaux proposent de tester différents dispositifs de lecture et de découvrir les multiples ressources que ce type d’environnement numérique pourrait apporter, notamment aux réseaux de médiathèques. L'ensemble a été modélisé par Jenny Bihouise avec laquelle je collabore sur ces projets depuis plusieurs années.
-L.S. : Cet espace, pour virtuel qu'il soit, est un lieu bien réel et ouvert, notamment aux bibliothécaires et aux professionnels du livre et de la lecture au sens large. Afin de faciliter leur acculturation et leur appropriation de ces nouveaux canaux de communication, je leur propose une rapide présentation à distance, qui ne nécessite aucun téléchargement et leur permet des visites commentées et personnalisées
>Lire : [https://prospectivedulivre.blogspot.com/p/bibliosphere.html ].
Ce concept de BiblioSphère a été en 2014 l'objet d'une validation design thinking par France Business School et sa vocation est bien d'enrichir la relation entre usagers et bibliothécaires. Par rapport au site Web d'une bibliothèque, ce type d'environnement reproduit les conditions de nos interactions dans un environnement 3D tel celui auquel nous sommes naturellement habitués. Et même par rapport à une bibliothèque matérielle, les avantages sont nombreux, entre autres il y a toujours la possibilité de s'y rendre même en cas d'empêchement physique ou autre, comme un confinement, par exemple...
-L.S. : L'interactivité entre les participants est l'ADN de notre projet. Le métavers réalise enfin pleinement le co-browsing, la navigation simultanée sur un même site web de plusieurs internautes qui peuvent interagir et échanger. Ces espaces numériques sont comme de nouveaux territoires à découvrir et à explorer: c'est la raison pour laquelle je pense que nous pouvons en effet établir des parallèles avec les mondes possibles proposés par les fictions littéraires. Face à ce web du futur qui émerge enfin, il est pertinent je pense de distinguer les similitudes entre l'expérience d’internaute et celle de lecteur, entre le statut d’avatar et ce que j'appelle le fictionaute, la part de soi que nous projetons spontanément dans nos lectures de romans...
-L.S. : Ces réalisations sont déjà nombreuses... Nous avons par exemple développé avec Adret Web Art des rencontres littéraires avec des auteurs québécois (Danielle Dussault, Denis Morin) entre autres, des promenades théâtralisées en compagnie d'avatars de comédiens professionnels bien réels (Jean-Claude et Jacqueline Barral), différentes propositions pour voyager dans l'univers d'auteurs.
>découvrir : [https://www.adret-webart.fr/textes-en-3d-immersive.php]
La BiblioSphère propose également de découvrir la modélisation d'une Roue à livres du XVIe siècle : l'ancêtre de l'hypertexte en quelque sorte... Plus loin, en cliquant sur l’illustration d'un conte on se retrouve téléporté dans l'image... Les univers de la bande dessinée peuvent également y trouver des espaces de créativité...
-L.S. : Oui bien sûr. Pourquoi pas ? Le grand confinement du printemps 2020 nous a ouvert l'esprit sur les possibilités de lier contact tout en étant physiquement éloignés. A nous tous maintenant de faire preuve d'agilité et de développer des usages en commun et particulièrement dans les domaines des arts, de la culture et de l'enseignement. Nous devons nous saisir de ces outils et inventer avec. Nous en saisir pour réaliser nos utopies et ne pas nous laisser entraîner vers les futurs dystopiques que toujours certains prédiront. L'avenir, y compris du Web, sera ce que nous en ferons !
-L.S. : Comme je le disais, voyager dans les métavers, c'est un peu comme voyager dans des mondes fictionnels. Dans les deux cas il s'agit de simulation de mondes possibles. Et le cœur de mes recherches porte justement sur la lecture immersive, le sentiment de "traversée du miroir" par les lectrices et lecteurs de fictions littéraires : le passage de notre monde physique vers d'autres mondes.
En janvier 2022, je vais lancer sur la plateforme d'écriture Panodyssey une expérience de pensée et d'écriture créative inédite. Je vais me projeter dans le roman de Thomas Mann, Nobel de littérature 1929, La Montagne magique, qui m'obsède et que j'ai lu une quinzaine de fois ces dernières années. Les textes préliminaires qui expliquent "la chose", entre guillemets, sont déjà consultables librement sur Panodyssey. Ensuite, à partir de janvier 2022, le suivi et la participation à l'expérience seront possibles sur abonnement.
> découvrir : [https://panodyssey.com/fr/creative/room/operation-montagne-magique-3nadfhbhfnbt].
-Lorenzo Soccavo : Wattpad, un expérience qui change l'écriture
-Interview : Lorenzo Soccavo et les mutations du livre
-Lorenzo Soccavo : Et si le rêve chez Marcel Proust relevait d'une fonction chamanique ?
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Lorenzo Soccavo est chercheur associé à l'Institut Charles Cros, rattaché au séminaire Ethiques et Mythes de la Création, conférencier et prospectiviste du livre et de la lecture à Paris. Il est l'inventeur avec Jenny Bihouise de la Bibliopshère.
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