La psychologue Martine Gercault se lance dans un premier livre touchant et intime, Mon père au loin . Un récit qui conte l'amour d'une fille pour son père atteint de la maladie d'Alzheimer. Une approche belle, simple, sans pathos. Un premier livre dont le fil rouge reste l'amour plus fort qui résonnera dans le coeur de tous ceux qui accompagnent un parent malade.
Elle est psychologue clinicienne, psychanalyste et psychothérapeute. Des termes bien scientifiques mais qui ne reflètent pas complètement la totalité de son être. Après avoir écrit plusieurs livres centrés sur la psychanalyse, Martine Gercault se lance dans la publication de son premier roman. Ce qui nous donne une opportunité de faire un peu plus ample connaissance avec l'auteure. Car en effet, derrière sa façade médicalisée, toujours au service et à l'écoute des autres, qui est-elle vraiment ? "Mon père au loin" sonne comme un livre dont les éléments ont été tirés directement de la vie personnelle de Martine Gercault. Rencontre avec celle qui a réalisé une oeuvre de maître, sur un sujet sensible et délicat qui touche beaucoup d'entre nous, de près ou de loin : la maladie d'Alzheimer.
Martine Gercault : Ce livre est une sorte d'au revoir, une ronde de nuit vécue aux confins de l'obscurité etdela lumière plusieurs années durant. Écrire "Mon père au loin" fut un rite de passage,un rituel d'accompagnement et d'accomplissement tout au long d'une maladie ravageuse. Poser par écrit les mots et les maux libère un refoulé, souvent à l'œuvre dans les familles lorsque paraît cette maladie terrible. On la cache jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus être tue. Trop de silence entoure encore ce stigmate innommable qui court-circuite la communication habituelle, la pensée, et fait perdre tous ses repères au malade et à ses proches.Tout est à repenser, à retisser, à remodeler. Ariane ouvre ici les portes d'un monde forclos. Puisant en elle des ressources résilientes, elle pratique l'art de "naviguer entre les torrents", et toujours rebondit. Ce livre hommage exorcise la maladie. Il est une invitation au dépassement, à la danse de la vie, envers et contre tout.
M.G. : Le mot valise "autofiction", créé par Serge Doubrowsky illustre mon premier roman : "L'autofiction est une fiction d'événements et de faits strictement réels, un récit dont la matière est entièrement autobiographique, la manière entièrement fictionnelle". L'histoire d'Ariane et la mienne se conjuguent certainement dans l'éprouvé des affects. Il existe une grande intimité entre nous, une grande porosité. Est-elle mon double, mon regard, ma voix intérieure que le lecteur écoute à travers elle ? Cette conversation ultime entre Ariane et Simon, comme un miroir qui se promènerait sur mon chemin, réfléchit l'humanité et la fragilité des êtres. Simon est sur le départ, absent, au loin, et pourtant si présent dans cette absence. Prise dans les tourments du sentiment tragique de la vie, Ariane oscille entre la pulsion de vie, et celle du désespoir. C'est cela qui, paradoxalement la rend humaine, très humaine etvivante. Insolente, presque.
Il ne s'agissait pas de narrer ma vie dans son déroulement. Je me suis laissée guider par la règle de la libre association, sur un mode non linéaire, laissant les idées s'écrire comme elles venaient. Je les attrapais au vol ! J'ai déconstruit ces années pour en faire jaillir quelque chose d'universel, d'intemporel (la relation père-fille) et en même temps de très contemporain (la maladie d'Alzheimer et le droit de mourir dans la dignité). Transposition fictionnelle ? La frontière est souvent ténue entre la réalité et la fiction. Le psychanalyste ne peut emmener ses patients sur des territoires qu'il n'a lui-même explorés. Comment eussè-je pu écrire ce premier roman "personnel", étrangère au vécu de mon héroïne? Ariane pourrait-elle être moi, envisagée comme une autre ?
M.G. : Mon enfance fut obscurcie par le spectre de la Shoah. Ma vie d'adulte en conserva cette imprégnation. Cette nuit noire de l'humanité inscrivit en mon père la culpabilité du survivant, et attaqua sa vieen un chagrin qui déteignit très tôt sur la mienne. L'écriture ne pouvait se dérober à la désespérance du souvenir. Cette rémanence qui absorbe Simon tout entier et le hante devient l'un des éléments essentiels du livre, le passé plus fort que le présent qui se détricote.
M.G. : Il est absolument certain que mon écoute et ma sensibilité à l'inconscient ont imbibé ma plume. J'ai écrit, guidée par la règle de la libre association. Dans le désordre apparent de ce processus, une vérité s'est manifestée, riche de significations, tissant une fiction de l'intime. Ai-je souhaité montrer comment le romancier permet à son lecteur de s’identifier à des personnages, et à leur drame, de trouver des mots pour symboliser une part de sa vie pulsionnelle et/ou de ses blessures narcissiques ? Assurément. Cela s'est fait jour dans l'après coup. Analyste, il s’agissait de guérir de souffrances en les révélant, en les resituant dans une histoire à laquelle chacun peut s'identifier. L’analyse implique un espace psychique partagé de traduction et de symbolisation qui rend possible d’en faire un récit racontable. Écrire fut une psychanalyse à ciel ouvert, l'inconscient en fut mon guide… et l'amour le fil qui permit à Ariane de ne pas se perdre dans le labyrinthe de la maladie de la mort.
M.G. : Il est très bien accueilli. Je suis infiniment touchée, encouragée par les commentaires nourris des lecteurs. Leur réceptivité au livre et leur identification aux héros témoignent d'une belle réflexion autour de sa thématique. Ils se retrouvent dans l'humanité douloureuse des personnages. En contrepoint, la spontanéité viscérale d'Ariane face aux êtres et aux choses de la vie, ses tumultes intérieurs et son amour indestructible pour son père les renvoie souvent à la réalité brute de l'existence dans ses différentes tonalités.
6- Est-ce que votre livre s’adresse uniquement aux personnes qui ont un proche touché par cette effroyable maladie ?
M.G. : Non, il s'adresse à tout un lectorat, la relation père-fille est un thème éternel, la maladie d'Alzheimer, un fléau contemporain.
M.G. : L'amour est le médicament le plus important, notre allié, un allié non iatrogène.
Vous avez choisi l’autoédition, vous êtes aussi présente et active sur des réseaux sociaux d'auteurs, racontez-nous en quelques mots votre aventure d’auteure indépendante...
M.G. : Je ne pensais pas débuter mon aventure littéraire par l'autoédition. Ce fut certainement ma réticence à adresser mon manuscrit dans le vide, et la crainte des refus qui m'a fait être décisionnaire de ce premier envol. Je suis une femme indépendante qui a choisi la pratique libérale pour asseoir son art. J'ai refusé le travail institutionnel, plus limité dans son action. L'autoédition me remet certainement dans cette posture. Je serais néanmoins très heureuse d'être remarquée par un éditeur traditionnel. L'auto-édition et MBS me permettent le lien avec le lectorat, les échanges, l'enrichissement mutuel, la libre entreprise. Je vis une très belle ouverture, et découvre un monde solidaire, souvent talentueux, d'une très grande richesse et d'une très grande générosité. C'est dynamisant et proactif.
M.G. : Oui, j'ai un autre manuscrit terminé, enfin presque. Une psychanalyste parle aux esprits.
>Martine Gercault, Mon père au loin, Librinova
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