Son livre Yaak Valley, Montana (Belfond) qui plonge dans le quotidien d'une population pauvre et exclue du Nord Ouest des Etats-Unis a été salué comme un chef d'œuvre. Un ton nouveau, un récit de près de 600 pages qui ne se perd jamais en propos inutile, une capacité à placer le lecteur en immersion au milieu des personnages... Smith Henderson a frappé fort avec son premier roman. Nous l'avons rencontré à Paris.
Smith Henderson photographié dans les rues de Paris ( Photo: Olivia Phélip)
Smith Henderson ressemble au titre de son livre Yaak Valley, Montana (Belfond). Dans ces trois mots posés côte à côte, il y a de l’énergie, un "pas de chichis" et une forme de sympathie à la scout du genre : "allez les gars, venez, on va couper du bois" ! On imagine bien ce jeune auteur faire fondre des marshmallows au dessus d’un grand feu de camp, dans le silence d’une soirée d’été...
Smith Henderson est né dans le Montana. Ancien travailleur social reconverti dans l'écriture pour la télévision à Los Angeles, il a mis KO tout le monde des lettres américaines avec son premier roman. Ses pairs, unanimes, l’ont encensé : de Philipp Meyer, l’auteur de Le fils qui a écrit : « Ce premier roman m'a frappé tel la foudre, comme l'œuvre d'un auteur au sommet de son art. Yaak Valley, Montana est un chef-d’œuvre. » à Kevin Powers, auteur de Yellow Birds : « Une écriture à l'énergie inépuisable et d'une terrible précision. Smith Henderson maîtrise son art et à travers ses personnages, éclaire d'une lumière nouvelle ce que signifie être américain. Je n'ai pas de qualificatif assez élogieux pour décrire ce chef-d’œuvre. » Jusqu’au New York Times qui conclut dans sa critique : « Rarement on a lu premier roman écrit avec tant d'audace et d'imagination. ».
Nous ne pouvons que confirmer. Yaak Valley, Montana est un grand livre, qui instaure un style nouveau d'écriture et de posture. Il n’est pas seulement bouleversant. Il est édifiant. Les personnages y sont incarnés avec tant de justesse, qu’on peine à penser qu’ils ne sont pas vrais. Un texte choral avec un fil conducteur de récitant, comme dans une tragédie à l’antique. Et pourtant il bouge, vibre avec une modernité, un sens du rythme et des formules, des alternances de scènes, des morceaux de vie. Les descriptions s’offrent avec un lyrisme parfois grandiose, notamment à propos de la nature, qui s’oppose au réalisme d’une simplicité incisive.
Dans ce livre, il est question de la vie chaotique d’un travailleur social dans une petite ville de la Yaak Valley dans le Montana (Toute ressemblance avec des faits ou des personnes qui ont existé serait fortuite…). Le narrateur est confronté à la pauvreté (pour ne pas dire la misère) de la population qu’il côtoie, aux croyances, entre superstition et religion extrémiste, alcool et exclusion, dérives sexuelles et déchéance… Le «Je suis du DSF (Département de Services à la Famille, l’équivalent des services sociaux en France NDLR)», qu’il répète pour se présenter sonne comme un signal désespéré : la marginalité passe aussi par le refus de se faire aider. Aider pourquoi ? Pour faire semblant, un peu ? Pas du tout ? On s’attache aux personnages de Smith Henderson, même les plus extrêmes, comme cet homme révolté qui vit dans les bois coupé du monde sous l'emprise d'une exaltation religieuse « antisociale ».
Certains caractères nous poursuivent, à jamais. Le souvenir de ce petit garçon nu, tremblant dans une froide nuit d'hiver, dont le père refuse les vêtements donnés, reste gravé dans la mémoire. D’où vient cette capacité qu’a l’auteur de nous émouvoir sans jamais devenir larmoyant ? Il écrit juste, avec empathie. Il ne se contente pas d’un regard chirurgical. Il se plonge et nous immerge dans cette Amérique profonde, souvent moquée mais jamais montrée. Pendant opposé de Moins que zéro de Bret Easton Ellis, Yaak Valley Montana se situe dans les mêmes années 80. Delano contre McDo, cocaïne contre Dr Pepper-Coca. Vintage chic contre vêtements usés de poubelle. On est loin des stars de Hollywood et des images de cow boys aux bottes bien cirées de la soi-disant Amérique des grands espaces. Ici, la nature est rude et la vie, un combat. On ne s’apitoie pas sur soi-même, on tente simplement de tenir debout. Parfois, on tombe. Et puis on se relève. Ou pas. Mais on a sa dignité, et la beauté du monde à portée de regard.
Rencontre avec un auteur qui connaît le sens du mot "authentique" .
Légende photo : Smith Henderson au Festival America
Un livre qualifié de chef d’œuvre, un auteur qui entre tout de suite par la grande porte des lettres… beaucoup de raisons pour nous réjouir de rencontrer Smith Henderson. Nous n’avons pas été déçus du voyage. Si son livre est « authentique », l’écrivain l’est aussi. Il parle sans faux-semblants. Et même s’il est émerveillé de tout ce qui lui arrive, il n’oublie pas d’où il vient. Il retourne tous les mois dans « ses » montagnes où il retrouve sa famille à laquelle il a dédié son livre. Dans le Montana, l’hiver est peut-être rude, mais les liens forts. Rencontre avec un enfant d'Emile Zola, de Cormac McCarthy et de John Fante.
Smith Henderson : Parce que j'étais fatigué de voir partout au cinéma, à la télévision, ou de lire dans les livres une représentation idéalisée de l'Amérique des "contrées profondes". Toutes ces histoires de romances sur fond de rural factice m''écoeuraient. Elles semblaient dire que la réalité devait ête cachée,car elle était honteuse. Honteuse, pourquoi ? Il n'y a rien de honteux à dire le vrai, à placer les projecteurs sur un monde qui n'a jamais droit à être regardé. L'indécence réside dans le mensonge. Pas dans la révélation. Mon grand-père m'a confié la rudesse de la vie des cow boys. Rien à voir avec le cinéma. C'était dur. Mais il était fier de ce qu'il avait fait.
S.H. : J'ai reçu un accueil formidable. Peut-être parce que les lecteurs sont las aussi qu'on leur raconte de belles histoires idiotes. Mes personnages ont des vies difficiles, mais ils ont tous leur dignité. Dans les villes il y a plus de facilité, mais les gens y perdent souvent leur fierté. Si cela fait réfléchir tant mieux...
S.H. : Il est vrai que j'ai été travailleur social, même si c'était dans un contexte moins exposé. Il est vrai que je suis né dans le Montana au milieu de la religion et de la pauvreté. Mais ma ressemblance avec Pete, le narrateur s'arrête là. Je ne me suis jamais inspiré d'histoires que j'ai connues directement. Je n'aurais jamais voulu "voler" le récit de quelqu'un. Et je n'ai jamais eu un réflexe d'échec aussi fort que Pete! D'ailleurs, c'était un truc d'écriture. Chaque fois que je me demandais ce qu'il allait faire dans telle ou telle situation, je m'imaginais ce que j'aurais fait à sa place et je décidais qu'il fasse l'opposé de moi!
S.H. : J'éprouve beaucoup d'affection pour tous mes personnages, même les plus extrêmes. Je les montre tels qu'ils sont, c'est à dire humains. Les enfants du livre sont peut-être ceux pour lesquels j'éprouve le plus d'affection. La fille en fugue de Pete. Ou le petit Benjamin. Mais même Jeremiah, qui semble fou : il dit aussi des choses qui sont le miroir de notre monde dérangé...
S.H. : Pete commence son métier en pensant qu'il va pouvoir aider les personnes en difficulté. Et puis il se heurte à leur résistance, à l'usure de l'engrenage du malheur et à la sensation de faire partie d'un système. Il ne change rien, pis, il entretient la situation malgré lui. Lutter contre le courant est impossible. Il commence par vouloir "guérir". Et ensuite il se contente de "soins palliatifs" en quelque sorte. Sa vie à lui aussi est en dérive. Mais il peut survivre. Et survivre, c'est aussi vivre. Même dans ce contexte difficile, on s'apostrophe, on boit et on passe un bon moment, même un peu trop arrosé. La vie ce n'est pas toujours quatre étoiles.
S.H. : Dans le Montana, vous êtes confronté à la nature partout. La montagne vous dépasse et vous transporte en même temps. Ele aura toujours le "dessus" sur vous. Elle s'offre à vous, comme un spectacle éblouissant. On est marié avec elle. Elle nous malmène souvent, car le climat est dur. Mais elle est fidèle à toutes les saisons. Et on apprend à vivre avec elle.
S.H. : La nature est notre force. En ville, on perd la notion de cette richesse, qu'il nous faut préserver et respecter.
S.H. : L'Amérique va mieux après dix ans d'Obama, qu'avant lui. Mais il y a tant de chantiers à améliorer... Notamment dans l'éducation, qui est la clé de tout et si mal répartie. L'écart entre les deux Amériques s'est accentué.
S.H. : Pour les "red necks" du Montana, ce rêve-là n'a peut-être jamais existé. Ici, on fait comme on peut et on ne se berce pas d'illusion. On n'envie pas non plus ceux qui vivent coupés des racines de la terre. Mais le rêve parfois arrive pour l'un ou l'autre. Et c'est suffisamment exceptionnel pour montrer qu'on peut aussi "sortir" de la fatalité.
S.H. : Même si je ne venais pas d'un milieu aussi défavorisé, il est certain que de me retrouver à travailler à la télévision à Los Angeles et de venir à Paris pour présenter mon livre, c'est insensé ! Un rêve que je n'aurais pas pu imaginer...
Un rêve qui rend hommage avant tout aux déshérités de la vie, aux oublié des médias. Smith Henderson a écrit une symphonie pastorale en leur honneur. Magistral livre, plein de rage, de liberté et de découragement, qui laisse poindre aussi l'énergie de la survie. Dans la nuit de la Yaak Valley, les personnages en déshérence tissent un patchwork de leurs émotions sombres, au travers duquel brillent les étoiles du Montana. Nous quittons Smith Henderson en le laissant partir à la découverte de Paris, là où coule aussi une rivière, mais où la montagne n'existe pas.
>Smith Henderson, Yaak Valley, Montana, traduit par Nathalie Perrony, Belfond
>Lire un extrait de Yaak Valley, Montana
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