Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, fut l'un des favoris de la cour de Louis XIV. Grand seigneur, il eut le privilège de loger à Versailles et d'y observer les intrigues de palais. Durant plus de trente ans, Saint-Simon va être l'historiographe du roi et de la cour. Ses Mémoires, oeuvre colossale de plusieurs milliers de pages, ne sont pas une entreprise autobiographique, il s'agit en fait d'une gigantesque fresque historiographique. Le titre des Mémoires est trompeur. Saint-Simon en avertit son lecteur: "Je ne parle pas du coeur, dont ce n'est pas ici le lieu. (...) Ces Mémoires ne sont pas faits pour y parler de moi." Il précise : "J'écris une histoire particulière (...) celle du temps et du pays où on vit." Une histoire donc et non une autobiographie : les Mémoires sont rédigés à la première personne, mais une personne se postant discrète et anonyme, comme une caméra cachée, dans les couloirs de Versailles et les allées de son jardin. De là, on assiste, spectateur comblé, voyeur patenté, au défilé impressionnant des courtisans intéressés et aux tableaux vivants des gens de cour. À la mort du Grand Dauphin en 1712, Saint-Simon se plaît à "croquer" tout ce beau monde qui "méditait profondément aux suites d'un événement si peu attendu, et bien davantage sur eux-mêmes". Tels sont les Mémoires de Saint-Simon, drôles, vivants, scrutateurs, une somme incomparable sur les moeurs politiques du temps que renferme un traité de morale caustique sur la fatuité éternelle de l'homme. --Denis Gombert