Alors que les cendres de Maurice Genevoix entrent au Panthéon ce 11 novembre 2020, ce sont tous les poilus de la grande guerre qui sont honorés. Ceux de 14 cette somme de carnets écrits par l'Académicien alors poilu sur le front et publiés entre 1916 et 1923. Nous rendons hommage quant à nous au Maurice Genevoix amoureux de la nature. Dans La Dernière Harde (Flammarion) publié pour la première fois en 1938 et parfois qualifiée de roman-poème, Maurice Genevoix déploie pour nous les hautes futaies de Sologne qui abritent « une frise d’ombres mouvantes et bleues ». En notre époque qui revendique l'importance des forêts et de la nature, retrouvons la trace d'un écrivain qui célèbre avec grâce la puissance de la terre et des animaux.
A la faveur des jours dorés de l’automne, on voudrait trouver cette heure qui « brille de temps à autre […] où l’on aille devant soi sous les arbres d’une forêt sans nom, une grande forêt sauvage… » Dans La Dernière Harde, parue en 1938 et parfois qualifiée de roman-poème, Maurice Genevoix, né le 29 novembre 1890 et mort le 8 septembre 1980, déploie pour nous les hautes futaies de Sologne qui abritent « une frise d’ombres mouvantes et bleues ». Une lecture contemplative et tragique, le temps de laquelle rien n’existe au monde que l’intense vie des sous-bois, animée par la fascination réciproque de la bête et du chasseur.
Tantôt attentifs au « murmure soyeux » des feuilles d’automne, tantôt alanguis par un été qui paraît « éternel » en ses « soirs interminables » et ses « nuits tièdes et transparentes », Genevoix nous introduit dans la respiration lente de la forêt profonde. Au travers d’inlassables évocations sensorielles, il nous initie aux impatiences secrètes, aux allégresses contenues, aux brusques lassitudes ou encore aux mélancolies résignées de ce royaume silencieux. Si « le refuge profond de la nuit » peut être prétexte à voir débouler « une énorme laie qui conduisait sa compagnie » ou bien un chevreuil « plus batailleur et plus hardi qu’un bouc », La Dernière Harde n’est pas d’abord un tableau pittoresque, ni même une vision d’esthète. Scrutant avidement chaque nuance de lumière, chaque variation de la terre, chaque mouvement de ce grand corps vivant qui lui parle, Genevoix s’en fait un interprète dramatique.
Et dans ce monde frémissant autour duquel l’ombre de la civilisation elle-même s’évanouit, passe une silhouette gracile « dans une allongée planante, un vol de flèche qui [paraît] un moment se soutenir et s’appuyer sur l’air ». C’est un cerf d’une « vivacité hardie, une sauvagerie tendre et farouche », surnommé le Rouge. De jeune hère, il devient au fil des pages daguet, puis enfin l’un de ces hiératiques dix cors qui font l’admiration et la convoitise des hommes. Parmi toutes les bêtes, le cerf est celui dont le souffle a le pouvoir « d’émouvoir la nuit », « bête royale et dédaigneuse » dont nous apprenons les pensées et que nous voyons, comme le reste des bois, livré à « la grande force élémentaire » de la nature. Plongé dans ses sensations, étourdi de leur intensité, le lecteur est avec lui soumis à la « longue ébriété du printemps », puis « tourmenté par le sang d’automne », happé par des odeurs qui brûlent ou qui amollissent, tour à tour fiévreux, haletant, dolent ou aérien.
Le destin du Rouge est rattrapé par celui des autres cerfs, « ombres dans leur forêt natale, de saison en saison chemin[ant] leurs années à travers les embûches des hommes. » Au son des « traînantes fanfares qui résonnaient, le soir près des étangs », il développe un « mélange d’attirance et de crainte hostile » envers un chef piqueux à « la geste fruste et tendre à la fois », paré de cette « espèce de beauté barbare » qui est celle de la forêt elle-même. Vieux adversaires engagés dans une « lutte secrète et passionnée », ils danseront ensemble un ballet fatal de courses, de fuites et de feintes dans lesquelles se mêleront « les mêmes battements du sang, la même fièvre, le même acharnement passionné ».
Dans la main du chasseur, il ne faudrait pas voir ici l’implacable grignotement du monde moderne sur le monde sauvage. Le consentement tragique du cerf suggère au contraire comme une participation au monde sauvage, dans lequel l’homme, partenaire de « la grande force élémentaire », accomplit sa tâche sous « la froide lumière ruissel[ante] » de la lune.
Dans une plume amoureuse, dans une plume toute de grâce, ambrée par la « saveur […] vive » et « l’aloi franc » des termes de vénerie, La Dernière Harde n’est pas autre chose que « le calme de la nuit, la pureté de la forêt, la douceur de cette halte ensemble, au fil d’une vie pure comme la forêt, et là-bas, entre les arbres, cette grande bête splendide, innocente, qui écoute, qui demeure avec nous, si confiante qu’on l’entend respirer. »
>>Maurice Genevoix, La Dernière Harde, Flammarion, 217 p, 7,48 euros
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