Qui était Kate Keller, la mère de la célébrissime Helen Keller dont le parcours, les textes et les engagements philanthropiques font d’elle un role model par excellence ? Angélique Villeneuve braque le projecteur sur ce personnage secondaire dans un roman entêtant sur l’amour filial.
Kate Keller est une jeune Bovary. Elle en présente tous les symptômes, jusqu’à ce que le malheur la frappe. Jeune fille sans histoires issue du Vieux Sud. Jeune femme favorisée qui a poussé dans une plantation. Femme qui s’ennuie dans les bras d’un mari falot, âgé de vingt ans de plus qu’elle. La mère d’Helen Keller n’avait pas aucune raison objective de rester dans l’histoire. Avec la maladie grave de faille, Kate sombre dans les « tumultes issus de son monde inconnu ». L’enfant manque de mourir.
Kate Keller a soudain une histoire. Angélique Villeneuve, auteure remarquée des Fleurs d’hiver, roman d’amour sur fond de Première Guerre Mondiale repris en Libretto, la met au jour par touches délicates, pleines de justesse et de douceur. Kate fait figure de second rôle dans l’histoire célébrissime de l’enfant aveugle, sourde et muette qui apprit le braille, le langage des signes et l’écriture manuscrite en un temps record. Tout l’art de la romancière est de donner chair et vie au personnage à mesure qu’elle met en lumière son rôle dans le destin de sa fille.
Kate Keller a une personnalité, que la romancière et auteure de livres pour la jeunesse révèle en toile de fond du parcours héroïque et exemplaire qu’est celui d’Helen Keller. Kate aime les roses rares venue de France, qu’elle collectionne, elle aime les livres et le chant des oiseaux. « Après la maladie d’Helen, les fleurs, les livres et l’observation des oiseaux sur les rives du fleuve ont été seuls à parvenir, fût-ce par brèves étreintes, à la distraire de son chagrin ».
Alors Kate s’épuise dans l’économie de la maison. La confection de bons petits plats avec ses domestiques offre une échappatoire à son angoisse, à ses frustrations. À sa culpabilité surtout. Car malgré son amour dévorant pour son enfant, son indolence coupable est à l’origine de la fièvre et des handicaps graves dont souffre Helen.
Dans une langue imagée, à fleur d’émotion, l’auteure de Maria et Nuit de septembre donne une voix, discrète mais profonde, à cette fille de bonne famille qui contrainte de se taire. De taire « le chagrin qui ne se dit pas. La rancune et la honte. Le vide et la pitié, la folie qui rôde. Les hurlements qui se rassemblent à l’intérieur des ventres sans jamais en sortir, s’agglomérant jusqu’à former une masse gluante (…) ».
C’est aussi dans les livres, en l’occurrence dans Le Voyage en Amérique de Dickens, que les Keller trouveront de quoi alimenter l’espoir de sortir un jour la petite Helen de sa prison de ténèbres et de silence. La méthode du Dr Howe sera la planche de salut de cet enfant sauvage. Intelligente certes, mais incapable de communiquer autrement que par grognements, signes d’agressivité, mouvements compulsifs et intrusifs sur le visage des autres. Ou des caresses sur la joue de sa mère…
Outre le langage impalpable de l’amour, Helen ne dispose en effet que de quelques signes primaires qui désignent « la nourriture, les bêtes, les gens (…) Ces signes sont les éléments d’un dialecte qu’elle est la seule à parler. Ils sortent et n’entrent pas ». Helen est emprisonnée en elle-même. Tragiquement malheureuse. « Pour lui répondre, il faut obéir sans tarder, surtout si l’on veut éviter les coups de bottine, les ongles et les dents ». Sa mère, quelques animaux et les roses qui émaillent le domaine familial, ou le gâteau au citron, sont les clairières dans son terrible labyrinthe intérieur.
Kate Keller a un regard. Car c’est avec les yeux de l’amour qu’elle ne cesse plus de couver Helen. Sans oublier de lui passer tous ses caprices. Mais qui en ferait autrement après une telle tragédie ? C’est de ce sentiment dévorant teinté de désarroi qu’elle tire la force de laisser son enfant de sept ans s’éloigner d’elle pour apprendre et trouver ainsi la lumière. D’abord avec l’aide de sa préceptrice Ann Sullivan. Puis à l’Institution Perkins à Boston. Loin de l’Alabama natal.
C’est l’histoire d’une rédemption qui succède à une longue descente aux enfers. « Comme si jour après jour la nuit était tombée à l’intérieur d’elle ». Ce troisième roman montre des mains tendues successivement pour aider une enfant à s’arracher à son funeste destin. La prose sensuelle, « recueillie, perçante (…) paisible comme une eau » d’Angélique Villeneuve fait la part belle à la sensibilité et aux sentiments féminins pour retracer ce chemin de lumière. « Puisque chaque chose, dirait-on, est connue de cette femme avant d’être vue, ne nécessitant de sa part qu’un contrôle de pure forme ».
>La Belle Lumière d’Angélique Villeneuve. Editions Le Passage, 240 pages, 18 euros.
>Visionner une courte vidéo résumant la vie d'Helen Keller.
Réalisation Brut
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