«Les funambules »

Mohammed Aïssaoui, un hommage aux héros de l’engagement

Dix ans après le succès de son livre-plaidoyer en faveur de la diversité L’affaire de l’esclave Furcy (Gallimard)le journaliste littéraire Mohammed Aïssaoui sort de l’ombre ces héros discrets que sont les bénévoles des associations. Dans Les funambules (Gallimard), un écrivain public retranscrit leur histoire. Un roman émouvant, nécessaire, qui se lit avec le cœur.

Portrait de Mohammed Aissaoui. ©Francesca Mantovani Portrait de Mohammed Aissaoui. ©Francesca Mantovani

« Je tremble au bout d’un fil, si nul ne pense à moi, je cesse d’exister » Jules Supervielle

C’est un roman qui a toutes les apparences de la non-fiction. L’écriture sèche, dense, emprunte aux codes de l’enquête et du reportage. Le journaliste littéraire Mohammed Aïssaoui auteur de L’affaire de l’esclave Furcy et L’étoile jaune et le croissant en transpose habilement les codes dans ce roman efficace et opportun. Les funambules tisse des entretiens fictifs avec des bénévoles du milieu associatif, « ces êtres de peu mais qui donnent beaucoup ». Ceux des Restos du Cœur en particulier. Leur entrelacement avec l’histoire, les souvenirs du narrateur, touche au cœur.

Le porteur d’histoires

Les Funambules qu’aident ces héros très discrets, ce sont ces êtres qui vacillent déjà sur le fil de la vie habituellement. Toujours sur le point de basculer et qu’un simple déclic, plus ou moins dramatique et spectaculaire, suffit à projeter dans l’autre monde. Celui de l’abandon, de la précarité et des laisser-pour-comptes.

Dans ces temps de peste, le repli et le chacun pour soi, vecteurs de haine, risquent facilement de devenir la règle. L’angoisse collective est bien compréhensible mais ce livre n’en est que plus indispensable. De manière exemplaire, la fable que Mohammed Aïssoui nous jette à la figure montre comment éviter que ceux qui n’ont rien ne se sentent en plus « réduits à rien ». C’est un pavé lancé dans la mare de l’indifférence.

Le pouvoir rédempteur de la parole

Le narrateur est écrivain public. « Prête-plume » chargé par un mécène et philanthrope de retranscrire l’histoire singulière de bénévoles du milieu associatif. De sortir de l’ombre ces héros de l’engagement qui entretiennent le lien social vaille que vaille, là où l’État – et la charité chrétienne – ont failli. Son rôle est également de montrer à quel point la parole est salutaire, nécessaire pour rendre aux cabossés de la vie, aux miséreux, leur dignité et leur respect d’eux-mêmes. Le prélude indispensable à un nouveau départ sur leur chemin chaotique.

« Ce qu’il m’explique, je le retrouve souvent dans la bouche des bénévoles : l’important n’est pas que d’aider, il y a surtout ce lien social, incroyablement fort, qu’il faut tisser instant après instant et qui passe par la parole et l’ écoute, par les mots et l’écriture ». À ce jeu-là, le narrateur du roman, héros non moins discret, y gagne aussi en connaissance de lui-même.

Le silence est parfois un geste barrière. Mais à force d’écoute et de questions, le ghost-writer comprend qu’il doit lui aussi se prêter au jeu des confidences. Accepter de laisser voir ses failles. De faire face à ses propres vulnérabilités. C’est d’une blessure d’exil dont il est question pour celui qui a grandi au milieu des barres d’immeubles. L’impossibilité de dire « Chez nous », de se sentir appartenir à une communauté, « même la sienne ». Au point de sentir « étranger à soi-même ».

J’ai souligné, est-ce par hasard ? : « Attention, on ne fait pas ça que pour les autres. On fait du bénévolat pour soi, aussi. Il y a tout ce qu’on apprend sur les autres et sur soi-même. Ça m’a donné une force extraordinaire. Je ne crains personne ! ».

Donner pour donner

Sa force, c’est de toujours guetter le meilleur en chacun. Son obsession pour la compassion, l’attention aux autres, les égards pour leur sensibilité expliquent sa vocation et l’étrange mission qui le confronte à ces autres funambules que sont les bénévoles. Avec leurs propres fragilités, ils font face à la nécessité de se protéger. Aragon, Supervielle, Fitzgerald et d’autres lui apportent leur secours. La lecture est sa planche de salut. Le lien qui le relie aux autres. La figure de Geneviève De Gaulle-Anthonioz est un point de repère majeur aussi dans ce monde de l’entraide à la fois fort et fragile.

« On devrait par exemple pouvoir comprendre que les choses sont sans espoir, et cependant être décidé à les changer » F. Scott Fitzgerald

Les véritables héros de ce nouveau roman-plaidoyer sont le sentiment de fraternité et la tolérance. Il en résulte un roman mélancolique et sentimental à la recherche de l’amour perdu, en quête de grâce. Une nécessité à la fois humaine et sociale. En effet, « garder le silence est aussi une résistance pour ne pas tomber. Le problème, c’est que ce silence cache la violence. »

Un message de générosité et d’ouverture aux autres guère superflu pour la nouvelle annus horribilis qui s’annonce en attendant les effets des campagnes de vaccination.

>Les funambules, de Mohammed Aïssaoui. Gallimard, 219 pages, 18 euros

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