Rentrée littéraire 2022

«La Nuit des Pères» de Gaëlle Josse : le crépuscule des souvenirs

Avec La Nuit des Pères (Notabilia-Noir sur Blanc), Gaëlle Josse nous entraîne dans l'intensité d'un moment crépusculaire : des retrouvailles familiales au cœur d'une maison de montagne, sur fond de souvenirs douloureux et de mémoire qui s'efface. Comme dans une tragédie à l'antique, Gaëlle Josse place ses personnages en étoile face à leurs vies tourmentées. Un livre qui résonne longtemps après l'avoir refermé.

Portrait de Gaëlle Josse © Louise Oligny Portrait de Gaëlle Josse © Louise Oligny

Gaëlle Josse est l'écrivaine des tourments intimes. Depuis Les heures silencieuses (Autrement), elle distille son style délicat, qui dépeint les ombres des jours et les lumières des nuits. Comme dans Ce matin-là (Notabilia), qui évoque la descente vers le vide d'un burn-out ou dans Nos vies désaccordées (Autrement), valse lente sur les ressorts d'un amour tragique, au bord de la folie. Parfois, l'auteure interroge aussi le sens du regard, comme dans son anti-biographie de Vivian Maier, Une femme en contre-jour (Notabilia), ou dans son Vermeer entre deux songes (Editions Invenit). L'art de Gaëlle Josse ? Une écriture à pas feutrée qui donne à sentir, comme à voir, et qui sait mettre des mots sur les silences. 

Plongée dans les flottements du monde intérieur

Son dernier livre, La nuit des pères (Notabilia-Noir sur Blanc), poursuit sa plongée dans les flottements des émotions. Un texte lumineux et sombre comme les profondeurs de l'océan. Scandé par une succession de journaux intimes qui composent des monologues en parallèle, le texte resserre le champ du temps (une poignée de jours), tout en ouvrant sa perspective sur une montagne alpine, qui enveloppe le paysage et impose sa force. 

Des retrouvailles familiales à l'ombre de la montagne

Avec une grande sobriété, Gaëlle Josse écrit comme dans une tragédie antique. Dans l'unité de lieu qu'est la maison familiale, les trois protagonistes : Isabelle, la fille, Olivier, le fils et leur père (qui n'a pas de nom) se rassemblent pour la première fois depuis longtemps. Ces «instants-là» vont permettre à chacun de se retrouver, tout en sachant qu'ils vont se séparer. 

La mémoire de l'avenir

Interroger la mémoire pour repartir vers l'avenir, est un thème que Gaëlle Josse aime à pétrir. Isabelle est celle dont la voix est la plus présente. On comprend qu'elle a fui ce père, guide de haute montagne, brutal, cassant, souvent blessant, avec lequel la relation a toujours été difficile. Elle a quitté tôt sa famille et est devenue réalisatrice de films documentaires sur les fonds sous-marins. Quand son père monte vers les cimes, elle descend vers les profondeurs.

Revenir pour mieux se quitter

Si elle revient vers la maison de son père à côté de laquelle son frère médecin vit encore, c'est à la demande de celui-ci. Le père irait mal. Gaëlle Josse décrit très bien les lieux, les non-dits, les appréhensions de retrouver celui qui a toujours fait régner une atmosphère de terreur dans la famille. Comme un orage de montagne, le père arrivait sans prévenir et éclatait avec violence. Isabelle transporte avec elle sa valise de souvenirs, y compris celui de la mort de son mari. Par sa voix, on pénètre dans ce huis-clos familial, on s'installe dans la maison, on entend les parquets grincer. On tourne autour de la figure du père. On se demande pourquoi cette colère contre tout : le monde, les autres, sa fille... On comprend qu'il est en train de perdre la mémoire. Le lion est fatigué. L'âge l'a raviné, comme un versant alpin. Une mémoire qui flanche, c'est une progressive absence aux choses immédiates et à soi-même.

L'oubli et la mémoire

En voyant son père s'abîmer dans l'oubli, Isabelle fait le chemin inverse : la maison fait remonter sa mémoire familiale et lui révèle les traces d'un passé qui lui a échappé. Le livre se poursuit avec sa découverte d'un épisode dans la vie de son père, point focal de sidération d'une vie traumatisée. On aurait presque envie que ce passage soit plus développé. Mais c'est ainsi que Gaëlle Josse l'a voulu : raconter une violence passée, sans basculer dans le récit historique, sans «extérioriser» son sujet. Le récit est là comme un point d'ancrage, ni plus ni moins. C'est la montagne qui prend de plus en plus de place dans le récit. Une montagne qui se mérite, se conquiert, permet de se dépasser et de prendre de la hauteur au sens propre et au sens figuré. Par cette montagne, Gaëlle Josse réussit à montrer qu'une chute peut aussi devenir une ascension. Vers la rédemption et la libération.  

>Gaëlle Josse, La nuit des pères, Notabilia-Noir sur Blanc, 192 pages, 16,00 €
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