«Ada et Graff»

Dany Héricourt : «Mon livre parle du regard comme socle de l'amour même à l'âge mûr»

Dany Héricourt a été choisie comme Talent 2022 par les libraires de l'enseigne Cultura pour son lumineux Ada et Graff ( Liana Levi). Un roman qui parle d'amour à l'âge mûr, sur fond de paysages intimes et grandioses, près de ces montagnes où coule une  rivière, au milieu du Massif central. L'auteure répond à nos questions.

Dany Hericourt  © Olivia Phélip

Légende photo : Dany Héricourt, comme une figure en équilibre sur une haute table en bois  © Olivia Phélip

Dany Héricourt est née au Ghana d'un père français et d'une mère britannique. Elle a ensuite vécu en Angleterre, puis en France. C'est dire si son ubiquité tant géographique que culturelle est grande. Elle s'exprime avec un soupçon d'accent britannique, tout en écrivant dans la langue de Molière. Ces frontières diverses lui ont donné le goût de la liberté. Que ce soit au cinéma, où elle travaille  le plus souvent, que dans les livres où elle se déploie, elle affirme la fantaisie de n'être jamais là où on l'attend. 

Une rencontre sur le fil

Son deuxième roman Ada et Graff (Liana Levi), qui fait suite au surprenant La cuillère (Liana Levi), relate l'histoire d'une rencontre sur le fil. Deux êtres que tout semble opposer se croisent dans le Massif central alors qu'ils viennent tous deux d'horizons lointains : l'une, Ada, du pays de Galles ; l'autre, Graff, tsigane, homme du voyage selon l'expression. Elle a expérimenté  les dures conditions de la mine; il a écumé les cirques et a connu les camps. Elle est sédentaire et aime l'ancrage terrien; il est nomade, de passage, bloqué provisoirement par une jambe dans le plâtre. Tous deux ont un âge certain. Elle n'attend plus grand chose de la vie, lui a tout perdu et donc tout à gagner des presque riens qui pourraient devenir des presque tout.

Un roman sur le temps qui s'arrête

Ada et Graff  est un drôle de roman, écrit par une auteure qui pratique davantage le monde du cinéma que celui de l'édition. Et pourtant, Dany Héricourt qui a été choisie Talents Cultura 2022 livre un texte qui se lit en toute fluidité, comme la rivière qui coule dans ce Massif central, si présent en arrière plan des personnages.  Elle sait dire les absences de ses deux protagonistes principaux, leurs renoncements et leurs désillusions. Elle saisit aussi le réveil de leur pulsion de vie, leur désir qui ose s'exposer au grand jour. Il y a d'autres livres qui évoquent les histoires d'amour en cheveux blancs, mais celui-ci ne tombe pas dans le cliché. L'âge des personnages leur confère un sens de l'instant présent, au point que cette perception de l'âge devient un non-sujet.

Une histoire de regard

Plus que tout Ada et Graff compose une histoire de regard. Quand le regard de Graff se pose sur Ada, il la «regarde» vraiment. Ces regards croisés instaurent les prémisses d'une exaltation. «Je regarde, donc je suis »? Plutôt : «Je regarde, donc je vis».  Car il est beaucoup question de vie ici. Vie qui vient aussi se dessiner en arrière plan au travers du personnage de la fille de l'héroïne.

Ada et Graff est un roman qui fait du bien. Dany Héricourt aussi. Nous la rencontrons pour comprendre ce qu'écrire signifie pour elle. Dans sa jolie salopette blanche, elle-aussi nous regarde comme si bientôt nous allions passer sur scène. Rencontre.

Viabooks : Pourquoi ce livre ? Pourquoi Ada ?

-Dany Héricourt : Je cherche d es histoires tout le temps, je suis ainsi ! J'ai croisé un jour dans le Massif central où je séjournais, une femme aux longs cheveux blancs. Très belle comme une créature mythique, elle est allée plonger dans la rivière. Elle était presque fantomatique et pourtant tellement présente. Je me suis rendu compte ensuite que sa grâce masquait un corps de 80 ans. Les gens du village m'ont dit qu'elle se baignait ainsi tous les jours de l'année. Cette image m'a marquée, car il s'émanait d'elle un mélange de rigueur et de sensualité, de jeunesse et de vieillesse. Ainsi est née mon personnage Ada, inspiré de cette femme aperçue, un été, de loin vers la rivière.  J'ai voulu montrer son universalité, hors du temps, encore désirable malgré l'âge. Ou qui sait, à cause de son âge ? Et puis en me renseignant sur la région, j'ai eu vent des accidents miniers qui avaient eu lieu. Cet arrière-plan m'a semblé un contraste puissant. Et puis, il fallait  qu'Ada soit étrangère pour que sa singularité soit plus grande.

Pourquoi Graff ? 

-D.H. : Quoi de plus symbolique qu'un tsigane funambule ? L'image de la vie qui est toujours si incertaine. Un tzigane représente le mouvement permanent, le sans attache. Le funambule, celle de l'équilibre malgré le défi du vide... Vous réunissez les deux, il y a quelque chose de la fugacité et de la force dans l'instant. Le sens du mouvement que possède Graff, incarne une énergie de posséder l'horizon, tout l'horizon. Chaque paysage peut changer au fur et à mesure du voyage, mais l'équilibre sur le fil reste. 

Finalement, comment arrivent-ils à se «rencontrer» ?

-D.H. : D'abord ils se regardent. Tous deux ont quitté leur culture. Il sont des déracinés. Ils doivent apaiser leur passé et ont appris à vivre au présent L'âge les place dans cette zone d'invisibilité qui frappe les personnes âgées. C'était important pour moi d'écrire le grand âge.  Mais je ne voulais pas écrire sur l'âge en tant que tel. Je voulais écrire sur la rencontre. La rencontre de deux étrangetés, de deux solitudes. Mais lorsqu'ils se regardent,  ils redeviennent visibles. Pour eux. Mais aussi pour le village. C'est ainsi que nous devrions penser notre relation avec nos «aînés». En les regardant.

Il y  a aussi la fille d'Ada, Beka ..

-D.H. : Elle est le miroir invisible d'Ada et compose une sorte de négation, car elle est partie dans une sorte de secte. Elle s'est rendue invisible, justement. Ce contexte résonne aussi avec quelque chose de réel pour moi. Ce même été où j'ai vu cette dame se baigner dans la rivière,  j'ai été interpellé par les membres d'une secte. J'ai réalisé à quel point il était difficile en 2022 de penser par soi-même. Ainsi ai-je imaginé que Beka soit une activiste écologiste. C'est le lieu aujourd'hui de nombreux espoirs et de nombreuses dérives. L'enfer est pavé de bonnes intentions...

Beka incarne le remord de sa mère pour qui la maternité n'a pas été facile. Elles vont réussir à échanger et Beka va finir par avoir le déclic de la vie. A tout âge, la vie peut s'éteindre. Elle peut également repartir.

Finalement votre livre est aussi celui de la transmission..

-D.H. : Et si tout dans nos vie n'était qu'une histoire de transmission? Avec nos parents, avec nos amoureux, avec nos enfants ? On ne peut pas tout partager, mais on peut essayer de se regarder d'abord, puis de s'écouter et de se comprendre. On met beaucoup de temps à pouvoir échanger sur le passé de nos parents. Beka est d'abord une victime du silence de sa mère. Ce qui est beau c'est de se dire que la mise en lumière permet l'émergence de ce qui existe au fond de chacun. Et que cela est possible à tous les âges de la vie. Il n'est jamais trop tard.

> Dany Héricourt, Ada et Graff, Liana Levi, 288 pages, 21 euros

En savoir plus

> Dany Héricourt s'exprime en direct sur son livre. Réalisation Mollat.

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