Daniel Sarfati rend hommage à la poétesse russe Anna Akhmatova (1889-1966) dont le poème Requiem figure parmi les plus belles pages de la poésie. Alors que la guerre secoue l'Ukraine, alors que le 8 mars célèbre les femmes dans le monde entier, les mots d'Anna Akhmatova résonnent plus que jamais comme un sombre et magnifique testament du monde libre.
Elle a été la bête noire de Staline, parce qu’elle incarnait la beauté et la liberté.
Son mari et ses amants ont été arrêtés et fusillés. Son fils Lev, déporté quinze années dans un goulag.
La poétesse russe Anna Akhmatova n’a jamais courbé l’échine.
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Avec Ossip Mandelstam, elle prône une écriture poétique de la réalité, sèche, concise sans lyrisme ni symbolisme.
Lors de son passage à Paris, en 1911, le peintre Amedeo Modigliani, subjugué par son port altier, l’élégance de sa silhouette, dessine 16 portraits d’elle.
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Elle compose un recueil de poèmes, « Requiem », en 1935, lorsque son fils est arrêté pendant la terreur stalinienne. Ses amis apprennent par cœur les centaines de vers, car ils savent que le manuscrit sera détruit par la police politique.
« Requiem », sera finalement publié pour la première fois, en russe, à Munich, en 1963.
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J’aime la culture russe, ses écrivains et ses artistes.
Je hais les dictateurs qui ont asservi leur propre peuple et ont tenté de dominer d’autres nations.
Je souhaite en ce début d'année 2023, qu’à l’Est, se taisent les armes et que s’élève le murmure des poètes.
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« Voilà une femme malade,
Cette femme, de solitude,
Son mari est mort, son fils prisonnier,
Priez pour moi, veuillez prier.
Déjà dix-sept mois à crier,
Je t’appelle et te veux chez moi.
Aux pieds du bourreau me jeter;
Tu es mon fils et mon effroi.
Confondus hier comme demain,
Où distinguer m’est impossible
La bête sauvage de l’humain,
La peine, jour imprévisible.
Et les semaines fugitives de s’envoler,
Je ne puis comprendre ce qui t’arriva.
Comment sur toi, ô mon fils qu’on emprisonna
Les nuits blanches ont dû veiller,
Comme elles te veillent encore
De leur œil ardent d’épervier,
De ta croix haute ne font que parler
Et d’évoquer la mort.
Ni les yeux fous de mon enfant, au visage
Figé de souffrance,
Ni le jour de l’orage,
Ni le parloir, heure d’importance...
Et je ne prie pas pour moi seule,
Mais pour toutes celles qui, avec moi, se tenaient ici,
Dans le gel comme sous la canicule,
Au pied du mur aveugle et rougi. »
Anna Akhmatova
Requiem ( traduit du russe par Sophie Benech )
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Daniel Sarfati est médecin ORL, passionné par le langage, par les signes, la lecture des mots qui s’écrivent, se lisent sur une page ou sur des lèvres, les histoires qui se vivent ou qui s’inventent.