Stendhal, Venise, les bras d’une femme...et moi et moi et moi. Le dernier livre de Philippe Sollers, Trésor d’amour (Gallimard) semble nous emmener en voyage. En réalité il nous mène en gondole, et tourne entre quelques canaux sans jamais quitter la lagune. Du pur Sollers qu’on aime ou déteste, selon qu’on accepte ou pas de suivre les méandres du personnage à miroirs. Un magnifique jeu d’illusionniste entre érudition, confidences et jubilation.
Entre Stendhal et Sollers, il n’y a pas qu’une simple résonance en s, mais le son d’une connivence d’esprit, avec tous les méandres d’une opposition en miroir. Le premier rêve de retenir les femmes qu’il aime, le second aime les femmes qu’il ne retient pas, mais tous deux aiment « l’amour ». Le premier écrit avec l’ampleur du génie, le second avec l’art de l’érudition, mais tous deux aiment la littérature sans limite. Et puis, il y a l’Italie, celle qui les caresse, les envoûte, celle vers laquelle ils ne cessent l’un et l’autre de converger.
Alors Philippe Sollers remonte le temps et marche sur les traces d’Henri Beyle pour arriver à Stendhal. Il n’est pas peu fier de nous narrer les conquêtes féminines décevantes de l’auteur de La Chartreuse, tout en vantant ses propres mérites de Casanova encore vert : Sollers ne changera pas .Lorsqu’il parle des autres, c’est pour parler de lui, encore et toujours, même s’il s’attaque à un monstre sacré comme Stendhal. Parfois, on se dit : non il ne va pas oser. Mais si, il se mesure au coefficient de séduction, à l’art de la conquête, au destin politique. En osant se mesurer au maître, il se coule dans son imaginaire et nous mène en gondole dans les méandres de sa vie et de ses désirs. Avons-nous besoin de connaître la liste des principales maîtresses de Stendhal ? Est-il nécessaire de connaître les détails de ses déceptions sentimentales ? Peu importe. Le Rouge et le Noir ne perdra jamais sa flamboyance, même si Sollers ose lever le voile sur le monstre sacré de nos lettres françaises. Il remonte le temps avec Stendhal et danse avec sa biographie. Comme Sollers l’écrit : « Selon son désir, j’entraîne Stendhal dans toutes les époques ». Alors nous voguons, entre les vagues des époques et nous pensons à Narcisse dans le miroir de Stendhal et nous le suivons encore dans l’ombre de son reflet.
Sollers évoque la vie de Stendhal sous le prisme de l’amour, cette quête du cristal éternel, éternel lorsqu’inatteignable. Il cite : « L’amour est une fleur délicieuse, mais il faut avoir le courage d’aller la cueillir sur les bords d’un précipice affreux ». Souffrances et tourments du maître. Sollers évoque ses propres plaisirs non retenus, mais il accueille cette frustration et ces déboires amoureux comme une étrangeté. Non sans humour. Sourire au lèvres, et regard malicieux, Sollers jubile en évoquant telle comtesse italienne ou telle autre figure parisienne. Et dans un va et vient dont il détient seul le secret en profite pour narrer quelques histoires contemporaines dont on se demande comment il va bien pouvoir les raccrocher au récit. Par une superbe pirouette nous rattrape alors que nous pensions être perdus. Ainsi après une tirade hilarante sur le commerce actuel du don de sperme, Sollers conclut « Je me demande quelle peut être la réaction de Stendhal après cette lecture, mais je vois qu’il dort ». Peut-être ou pas. Stendhal aurait sûrement apprécié sûrement cette galante valse des mots qui raconte sa vie comme une danse.
Une danse. C’est ainsi que Sollers tourne sur lui-même, dans ce lieu unique, qu’il ne cesse d’évoquer : Venise, ainsi que l’Italie. A l’instar de Stendhal, amoureux aussi des cieux transalpins, revenu par sept fois près des sept collines de Rome, et goûteur des clapotis vénitiens. Sollers nous promène et nous évoque la magique sensation de l’intime ouvert sur le monde : « Ici, à bord de la Sérénissime, soleil le matin, à gauche, lune le soir. Soleil de feu le soir à droite, lune le matin. Les jours et les nuits rentrent les unes dans les autres, les coupoles de la Salute et du Redendore les recueillent, messes du matin, messes du soir. Accélération folle partout, calme au large. »
Alors, dans ce calme qui appelle, il y a l’écriture . Ce silence qui parle tant. « « J’écris en langue française, mais non pas certes en littérature française. Dieu me préserve d’avoir rien de commun avec les littérateurs estimés d’aujourd’hui ». Il a parfaitement conscience de faire autre chose. » Autre chose. C’est aussi ce que veut écrire Sollers. Le cinéma remplace le roman et il ne veut plus écrire comme « avant ». Comme Stendhal qui change le rythme. Comme en amour toujours. Car, Trésor d’amour est comme son titre l’indique le plus singulier des romans d’amour. Amour-hommage pour Stendhal, écrivain qu’il admire, amour-évocation pour Venise, ville qui l’envoûte, et amour-sensuel pour Minna, celle dont la présence tout au long du livre est louée et saluée. Hommage suprême, Sollers lui dédierait presque son livre« Je peux bien dire que Minna est l’auteur de ce livre-ci, même si c’est moi qui l’écrit ». Minna inspiratrice, apaisante et désirée, muse d’un récit ondulant qui se mire dans l’infini des mots.
Philippe Sollers, Trésor d'amour, Gallimard
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