2011 fut l'année du grand retour du maître de l'horreur et du fantastique. Avec les deux volumes de Dôme (Albin Michel), Stephen King signe l'un des romans les plus passionnants de sa carrière. Comment l'auteur est-il parvenu à marquer la littérature en se consacrant à ce qui fut longtemps considéré comme un " sous-genre", le roman horrifique ou fantastique? Sa bibliographie compte plus d'une cinquantaine d'ouvrages, qui rendent compte d'une écriture cohérente, tournée vers l'horreur que cache parfois la réalité.
En 1981, vingt années après son entrée en littérature, Stephen King raconte dans son essai autobiographique Danse Macabre (publié en 1995 en France sous le titre Anatomie de l'horreur, par les éditions du Rocher) son attachement pour un genre longtemps considéré comme une dégradation de la "bonne littérature": le roman d'horreur. Les Contes de la Crypte (comics de William Maxwell Gaines), les romans de Ray Bradbury, Ira Levin ou encore Frank Herbert effraient et ravissent le jeune auteur en devenir. Son inclinaison pour les romans publiés en plusieurs tomes dérive de cette éducation artistique fragmentée, où il faut attendre la suite du récit pendant quelques jours jusqu'à l'épisode suivant, ce qui laisse le temps au spectateur (ou lecteur) de contruire sa propre histoire: c'est à l'écrivain de le surprendre, en relançant son intérêt pour la fiction. Une cinquantaine de romans d'horreur plus tard, Stephen King évoque sa carrière d'écrivain: une vocation? Pas pour le maître de l'horreur, qui déclare sur le site stephenking.com, à propos de la raison profonde qui le pousse à écrire: « la réponse est assez simple - il n'y a rien d'autre que j'étais capable de faire. J'étais fait pour écrire des histoires et j'aime écrire des histoires. C'est pourquoi je le fais. Je ne peux m'imaginer faire quelque chose d'autre comme je ne peux imaginer ne pas faire ce que je fais. »
Pour faire entrer son genre favori dans le Panthéon des oeuvres d'art, Stephen King a choisi d'évoquer ces forces invisibles, en nous, qui provoquent la peur. Dans la lignée du Horla de Maupassant, ses romans reposent sur un juste équilibre entre dissimulation et révélation de la cause profonde du mal. Dans le roman en trois parties Ça, dont le titre fait référence à un concept psychanalytique qui désigne la couche la plus enfouie, la plus profonde et la plus ancienne de l'inconscient, King choisit d'incarner le Mal dans un clown diabolique, qui prend la forme des pires peurs des enfants. La peur est donc innée en l'homme, inscrite dans l'inconscient collectif, au sein de ce Ça qui renferme des visions insoutenables que le moi a bien du mal à contenir... Dès lors, Stephen King peut passer en revue la totalité du spectre des terreurs humaines: les chiens (Cujo), les voitures (Christine), la maladie (Le Fléau), l'obésité (La Peau sur les os), l'avenir incertain (Dead Zone)...
La peur que Stephen King sait si bien distiller dans ses romans ne trouve pas seulement ses sources dans le fantastique ou l'horreur. Dans The Shining (1977) par exemple, la folie du personnage principal n'est pas uniquement imputable à l'hôtel hanté dans lequel il est enfermé: son problème d'alcoolisme y est sûrement pour beaucoup. Dans le premier tome de Ça, le lecteur suit les premiers pas d'une enquète sur un cas d'homophobie. Problèmes d'argent, d'intégration, d'amour-propre ou déboires sentimentaux torturent bien souvent les personnages des romans de Stephen King, les laissant déjà en condition pour céder à la terrible épreuve qui les attend: affronter la peur quotidienne et omniprésente de l'inconnu. Dans de nombreux ouvrages, l'auteur inclut une figure de l'écrivain (Misery, par exemple, La Part des ténèbres ou Les Tommyknockers) ou un personnage d'enfant (The Shining ou les inséparables compères des trois tomes de Ça): deux catégories d'êtres qui se confrontent en permanence à l'inconnu, l'enfant par sa découverte progressive du monde, et l'écrivain par sa reconstitution et son approche personnelle et unique des évènements qu'il relate.
Malgré le ton presque sociologique de ses ouvrages, Stephen King ne délaisse pas pour autant l'aspect fictionnel de son oeuvre. De nombeux lecteurs passionnés ont ainsi pu remarquer les retours réguliers de certains personnages d'un roman à l'autre: Randall Flagg, par exemple, est un patronyme courant chez Stephen King. En faisant revenir certains personnages d'une histoire à l'autre, l'écrivain améliore sensiblement la cohérence de son oeuvre fictionnelle, à l'instar d'un Balzac dans sa Comédie humaine. Et lorsqu'il crée la ville fictive de Castle Rock, dans le Maine, c'est William Faulkner qu'il invoque, lui qui avait imaginé le comté de Yoknapatawpha, inventé de toutes pièces pour les besoins de son oeuvre. Lorsqu'il entame une nouvelle série de romans, Stephen King pense avant tout chaque cycle comme une oeuvre complète et indépendante (il fut après tout deux fois écrivain: Stephen King et Richard Bachman, son peudonyme de début de carrière), pour rendre hommage à ces puissants écrivains du réel que furent Richard Matheson, William Golding, Bram Stoker, Edgar Allan Poe ou H.P. Lovecraft.
On a souvent souligné que le style littéraire de Stephen King se construisait au fur et à mesure des flash-backs qu'il insère dans son récit: le présent, transi par la peur, ne fait plus avancer le roman. Ce ne sont pas les actions mais les souvenirs des personnages qui font évoluer la situation. De nombreuses scènes des ouvrages de King évoquent les traumatismes qui ravagent la conscience américaine ou mondiale: le Vietnam, l'Holocauste, la Guerre de Sécession... Autant d'erreurs, autant d'horreurs de l'humanité qu'il faut racheter, en supportant une malédiction qui courrent peut-être sur plusieurs générations (le voici Le Fléau). Dans Ça, l'évocation d'une attaque du Klu Klux Klan contre un club accueillant des clients noirs impressionne le lecteur par sa cruauté. L'écriture de Stephen King devient alors terriblement évocatrice: la scène se déroule pratiquement sous les yeux du lecteur (cet effet est appelé hypotypose en rhétorique). C'est la raison pour laquelle les écrits de King ont toujours intéressé le cinéma: ils sont déjà, en partie, sur un écran. La question centrale de l'écriture de Stephen King est finalement très simple: Comment effrayer le lecteur alors que le monde extérieur s'en charge tous les jours? Toute peur est devenue banale, dépassée par les évènements. Il faut donc réorganiser, perdre le lecteur, le retrouver, l'habituer à sa présence, et soudain... le surprendre. C'est ici qu'entre en jeu la littérature.
Stephen King, Dôme, tome 1 et 2, Albin Michel
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