Les Écrits

La bioéthique, pour quoi faire?

En matière bioéthique,  face aux possibles, promesses et risques issus des technosciences, les arguments s’affrontent – c’est dans l’ordre des choses humaines. Entre celui qui sait (sapiens), celui qui se dé-mesure (demens) et celui qui produit des images ou des représentations de soi à soi et de soi à l’autre (pictor) : parce que la conscience, parce que les vécus… Parce que les espoirs, les inconnues, les angoisses et la souffrance qui, de temps à autre, se révolte…

                                                           La bioéthique pour quoi faire ? 

 

   A question simple, réponse simple : pour opérer un ‘tenir-ensemble’  qui n’est autre que l’ensemble référentiel situationnel  (propre à un temps, un lieu, une histoire – relatif donc).

   Mais les choses humaines, justement, ne sont pas si simples. Car la culture fait l’homme qui fait la culture qui fait l’homme qui…   … vous connaissez la chanson !

   De fait, l’homme est tel dans et par un ensemble de liens (au passé, à autrui, à certaines valeurs, à l’humanité comme projet commun à soutenir, aux aïeux, aux descendants, à lui-même comme cohérence identitaire et unité biographique, à l’avenir, etc.). Tel  également, proprement humain, dans un ensemble de libérations (par rapport au donné imposé, eu égard aux limites et restrictions – en ce compris celles de son propre corps souffrant). Problème donc ; à résoudre en équilibres délicats.

 

       Introduction

   Tout au long de l’aventure humaine, le pouvoir acquis sur la nature se lia à ses propres règles et limitations :

                                          -- quelquefois externalisées en Révélations – Transcendantes donc ;

                                          -- d’autres fois inscrites dans l’immanence de codes juridiques, règles déontologiques ou traités

                                              moraux. 

                Et selon une perspective universaliste ou en une approche relativiste…

                Dans la crainte et le tremblement ou par conviction enthousiaste…

                En adoption raisonnée ou sous les contraintes coercitives…

                En subordination aux Idées (Principes, Idéaux) ou en référence casuistique aux subjectivités singulières et situationnelles…

   

   De fait, la puissance opératoire acquise inquiète ; a fortiori quand elle touche à l’invisible ou à l’intime et qu’elle réactive en cela des angoisses ancestrales :

                 Où les forces démontées écraseraient le sujet…

                 Où la nature (Nature ?) violée se vengerait…

                 Où l’homme se verrait possédé ou asservi par ses créations…

                 Où un dieu courroucé (d’une atteinte portée au Sacré) laisserait  échapper sa colère…

   Ce sont là autant de craintes viscérales, de réactions souvent outrancières associées peut-être à un psychisme rigide ou une perspective conservatrice, quand ce n’est à la méconnaissance du sujet.

  

   N’empêche ! Imprédictibles en leur devenir (car l’avenir est ouvert, les hommes libres, les conditions changeantes et les données de l’équation innombrables) et proprement tentaculaires en leurs élans (car les ‘objets’ concernés, les champs balisés, les organisations, valeurs et concepts impliqués sont multiples), les nouvelles technologies fascinent les uns et affolent les autres : les possibilités y associées sous-tendant un périple au cœur de la condition humaine. Une équipée collective où l’homme devra vraisemblablement maintenir le cap entre deux rives : tant l’écueil de la rupture ou de la déliance[1]  (où éclaterait le sujet, où se déliteraient les liens et s’altèreraient les émotions -entraînant tous et chacun en une  errance sans arraisonnement ou dans la barbarie) ; que  l’écueil du conservatisme, de la démission ou de l’abandon de soi et du devenir anthropique en d’autres «mains» (naturelles ou  divines – hasard ou volonté extérieure où se perdrait la pulsion qui fit se lever les premiers hominidés).

  

   En ces perspectives, et en leur opérativité, les biotechnologies nous emmènent en un voyage incertain : entre procréation et re-production, thérapie et transfiguration – ou encore, entre affirmations (du «Je» en sa puissance volitive)  et éclatement (du «soi»  comme intimité référentielle ou ‘moi’ d’identité). Voyage au long cours oscillant entre choix multiples, risques potentiels et gains concrets. Mais aussi, entre  bifurcations essentielles (espèce éclatée, communauté/humanité segmentée)  et pertes ontologiques (entité individuelle instable, identité mouvante).

   La situation est complexe car l’homme se définit aussi de ses indéfinitions et de ses transgressions. De ses extériorisations et relations (en soutenance). Ainsi, ces sciences opératoires rencontrent l’humanitude comme leur condition de possibilité  et leur moteur. Mais elles hypothèquent concomitamment (par leur efficience) ce fonds de spécificités et d’aptitudes. Où donc lesdites technosciences pourraient rendre agissante une potentialité aporétique[2] associée à une enclave biologique perméable  et à une maintenance (organique et personale) inscrite dans le devenir : une aporie associée à une intériorité  se dépliant en extériorité et à un monisme substantiel (charnel) s’exprimant dans la dualité (comme soi en soi et hors de soi – comme soi corporéel et comme extensions ou représentations du soi).

 

       Historique 

   Aujourd’hui donc, la science peut faire et défaire…

  1. Refaire, parfaire, contrefaire – jusqu’à la métamorphose ou le métamorphisme (d’un individu qui serait sans accroche identitaire ni état stabilisé, livré ou soumis à ses volitions changeantes sinon évanescentes – chirurgie transformatrice, interfaces homme/machine, prothèses, dopages génétiques, blocs de gènes verrouillables/déverrouillables à souhait, transgenèse, modification des états de consciences)…
  2. Agir sur le monde, sur l’être et sur l’être des êtres…
  3. Et agir au présent, pour le futur et sur des individus encore potentiels…

   Par suite, tel pouvoir suscite une responsabilité accrue ; une responsabilité qui désormais se tourne vers la bioéthique – à savoir ce qu’il en est ?

   Le souci de contrôler l’expérimentation et d’asseoir l’homme dans sa dignité de personne humaine est apparu au lendemain de la seconde guerre mondiale : dans l’effroi et face à l’explosion brutale de l’idée humanité et de l’optimisme progressiste, hérités l’un et l’autre des Lumières. Il aboutit à la Déclaration Universelle des Droits de L’homme (en 1948).  

   Nonobstant, il fallut attendre le balbutiement des manipulations génétiques pour que la  bioéthique se constitue en science autonome. Ainsi, le terme naquît, semble-t-il, de la plume de Van Rensselaer Potter[3], en 1970. Celui-ci donnait alors une définition élargie du concept et de la chose bioéthiques : une éthique de la biosphère qui engloberait tant l’écologie que la médecine - tel abord rencontre une volonté de totalisation que ne renieraient pas les adversaires actuels du spécisme. N’importe, le domaine d’extension se réduisit rapidement au champ médical – en 71, l’université de Georgetown créait un centre de bioéthique[4] axé sur les risques, effets et promesses des Procréations Médicalement Assistées. Et l’optimisme «progressiste» de Van Potter laissa très vite place aux angoisses catastrophistes : où l’humanité se trouverait menacée par le progrès 'déchaîné '   (spécifiquement par les sciences génétiques et la procréatique). 

   Aujourd’hui encore, deux grands courants de pensée scindent le champ bioéthique ; que l’on pourrait schématiser d’une partition entre technophiles (selon l’idéal technoscientifique de réalisation des possibles) et technophobes (souvent portés par l’heuristique de la peur chère à H. Jonas) – sachant que la réalité du terrain est infiniment plus complexe, plus nuancée[5].

 

       Bioéthique -définition ?

   Point d’intersection de disciplines diverses, matrice active où celles-ci se confrontent et coordonnent, la bioéthique se laisse difficilement définir.  Elle recouvre un ensemble de recherches, pratiques, savoirs et discours argumentaires peu ou prou normatifs (codes déontologiques, systèmes philosophiques ou référentiels, articles de loi…). Pluridisciplinaire et interstitielle (entre médecine, bio-ingénierie, sociologie, psychologie, philosophie, anthropologie… et éthique), sa réalité empirique et ses attaches idéologiques, tout comme son objet en continuelle évolution[6],  lui confèrent une identité mouvante.

       Rôle et biodégradabilité ?

   "On" demande à la bioéthique de le bon comportement, les bonnes pratiques (individuelles et collectives) – et par suite, de tracer les lignes infranchissables. Parallèlement pourtant, on lui conteste toute référence stabilisatrice, tout droit d’imposition normative. Situation paradoxale semble-t-il. Au vrai, le paradoxe est d’apparence dès lors que les requérants diffèrent : les premiers  se rattachent à la réflexion froide (quand la technique évaluée ne concerne pas immédiatement). Les seconds sont des acteurs de terrain (chercheurs, personnes en souffrance) ne prétendant pas se laisser contraindre par une imposition externe. Les premiers s’attachent aux principes, normes et devoir-être ; portés par la quête d’un idéal et, souvent, par l’impératif kantien. Les seconds s’attachent à la réalité du terrain ; portés par un certain empirisme, voire par un pragmatisme certain..

   Reste à savoir alors si cette  bioéthique est autre chose qu’un mécano biodégradable proposé en jardin d’acclimatation aux idées, projets, outils et réalisations. Ou encore, si elle diffère d’un ensemble de positions et de consensus fades et flous tentant de concilier l’inconciliable et débouchant sur un substrat plus que minimaliste. Car les points de divergence sont laissés en suspens, les décisions tiennent du moratoire, les acquis s’offrent des exceptions et des dérogations.  Au final, même les lois bioéthiques apparaissent modifiables en fonction de découvertes et d’orientations (techno)scientifiques ou biomédicales. Certes, à horizon historique, l’éphémère est le destin de toute loi. Néanmoins, à mesure humaine, elles requièrent sans doute la stabilité que leur élaboration pensée, pesée et démocratique doit ou devrait assurer car elles traitent de la condition humaine : posent les référents des structures qu’elles contribuent à tisser et visent concomitamment à protéger. De fait, une trop rapide biodégradabilité risque d’accentuer le sentiment (social et individuel) de déréliction et de désintégration.

        Ambivalence et complexité ?

   S’agissant des biotechnologies, les attitudes et évaluations se partagent entre optimisme et pessimisme. Et l’on distingue, à l’emporte-pièce il est vrai, le groupe des alarmistes selon lesquels «seul le pire est certain» ; et le groupe des optimistes se nourrissant d’espérance et se réjouissant des nouvelles aventures de l’espèce. Et les uns et les autres de se répondre à coups d’arguments : où les technosciences prennent leurs motivations dans un combat mené contre les souffrances (mentales et physiques), contre les manques (existentiels, génésiques et générationnels), les impuissances (face au destin cruel), les servitudes et les pénuries…  Où l’on souligne en contre-argumentation que  le besoin ou même l’utilité ne sont pas les seuls moteurs de l’invention technique : quelques mécanismes ou inclinations relevant du pulsionnel jouent un rôle – transfigurant un désir en droit, une envie en besoin, un superflu en nécessité, une fiction en réalité et une éventualité statistique (à l’échelle du cosmos) en scénario plausible.

   Ainsi donc, parce qu’elles peuvent aider, soigner, guérir…   …et trier, contraindre ou métamorphoser, les différentes techniques rencontrent des évaluations ambivalentes – en voici quelques cas particuliers, très schématiquement :

                1- En matière de PMA :

  1.    Soit  on mesure l’intervention au désir  d’enfant (quand la naissance était subordonnée à cette seule voie) - soit on  s’inquiète des retombées de la technique (sur l’enfant susceptible de ressentir une certaine étrangeté, sur les organisations sociales, les identifications, insertions et symbolisations …).
  2.   Soit on traduit cette assistance procréatique en inflation des pulsions prométhéennes (à long terme autodestructrices) - soit on la rapporte à une opposition proprement humaine à l’encontre d’une imposition de destin compris comme contingence insensée devenant fatum cruel pour la conscience y confrontée.  

               2- Face manipulations non procréatiques de l’embryon :

  1.  L’évaluation peut se focaliser sur  «ce» à «quoi» s’applique la manipulation  -  ou se tourner vers les remaniements symboliques, identitaires et sociétaux.
  2.  Insister sur  la processualité des interventions – ou souligner  l’incommensurabilité  des parties en présence (une structure biologique et sa symbolique éventuelle d’une part, un individu conscient et sa souffrance en espoir de guérison de l’autre).

              3- Au regard du Diagnostic Préimplantatoire:

  1.  Appréhendé comme une réponse opératoire à la souffrance – ou mesuré aux risques eugéniques.
  2.   Rapporté à un sentiment proprement humain, à un souci  affectif, empathique, compassionnel et éthique  – ou  renvoyé à divers fantasmes (dont celui de l’enfant parfait, probant ou garanti). 

             4- Tests génétiques de susceptibilités :

  1.  Rapportés aux  bénéfices possibles (attitudes prudentielles, décisions informées) –  ou renvoyés à des pertes douloureuses  causées par la puissance rétroactive des connaissances probabilistes  (trajet existentiel biaisé par la force  intrusive d’une pathologie future plus ou moins probable).

             5- Clonage thérapeutique :

  1.  Insistant sur une  reconstruction ou une régénération des organes atteints de dysfonctionnement – ou  relevant la mise en place des conditions de déconstruction de l’unité corporelle  (corps puzzle) ;

              6- Thérapies géniques et transgénèse:

  1. Associées au  meilleur  (guérison, liberté étendue, adaptation à des environnements changeants et toxiques) - ou au pire (indéfinition du «soi», du «personnel» et du «même» ou du semblable eu égard au non- soi, au tiers, au différent et à l’autre «tout Autre» - mais aussi assignation à demeure existentielle ou inféodation au désir générant… fin de l’humain)…

       Argumentation et référents ?

    Quelle que soit la technique évoquée, les arguments favorables ou défavorables se répondent le plus souvent en miroir : renversant en négativité (ou en positivité) le point soulevé par le contradicteur – et ce en fonction de positions philosophiques  ou de vécus personnels.

Schématiquement, ces arguments se rattachent :

         -  Soit au «Principe Responsabilité» de H. Jonas, recouvrant alors une attitude prudentielle à l’égard des générations futures, voire une heuristique de la peur ;  

         - Soit à la responsabilité factuelle répondant à la demande pressante des sujets conscients présents.

   Ou encore, s’attachent :

         - Soit à l’impératif kantien, exigeant que nul ne traite l’homme simplement comme un moyen mais toujours aussi comme une fin ;

         - Soit  à la plus grande coexistence des possibles chère à Leibniz -loi de faisabilité ou de remplissage tempérée, en certaines positions, par le respect de la sensibilité ou de la conscience (une jauge souffrance, cf. G. Hottois).

   En outre, ces arguments  se rapprochent :

         - Soit d’un universalisme formaliste, selon Kant[7] ;

      - soit d’un relativisme casuistique  commandant de prendre en compte la singularité d’un individu toujours déjà situé et de mesurer les conséquences de l’action au niveau local.

   Ils se justifient ici d’un idéalisme, là d’un conséquentialisme (et l’on peut se rapporter, entre autres, à J. Harris). 

   Notons bien que la démarche conséquentialiste s’attache à une éthique pragmatique recommandant de mesurer l’action à la réalité (et à la réalité vécue des faits) tout en adoptant une attitude logique eu égard aux savoirs et principes généralement partagés : où l’individu sensible et conscient l’emporte sur l’individu insensible et inconscient, où il n’existe nulle conscience d’avant la conscience – elle  trouve ses limites dans une soumission aux modes et désirs ponctuels. Partant, une telle conception vaut aussi longtemps qu’elle ne détruit pas cela même qui vaut cette finalité (le sujet pensant, la conscience sensible et soucieuse, l’humanité).

     A l’opposite, la démarche principialiste s’attache à une éthique de l’impératif (re)commandant de mesurer toute action individuelle aux conséquences de son universalisation et imposant de considérer tout homme et tous les hommes comme fin -  trouvant ses limites dans un mépris de la casuistique (c’est-à-dire des singularités) et se colorant alors de froide rigidité. Partant, assise sur le respect de la personne humaine (sphère abstraite), elle vaut en son respect d’une valeur transcendante aussi longtemps que le modèle ne méprise ni ne sacrifie l’individu.

 

                                  L’homme ?

   A notre estime, l’homme est une émergence en dehors d’un ensemble de convergences –en soutenance d’équilibre entre un ensemble de données peu ou prou antagonistes (matière et matière qui se fuit en ses réalisations, dedans et dehors, Etat advenu et devenir, Inné et Acquis, déliance et appartenance, contraintes et latitudes, etc.).

   Bref, l’homme est un être transgressif qui doit, pour garder une certaine réalité, une certaine continuité historique et existentielle ou une certaine densité personnelle, qui doit donc, maintenir un centre référentiel – c’est-à-dire un nœud entitaire et identitaire cohérent au-delà de son évolution.

   Telle position pose l’humanité comme petits liens[8] :

                                                                                    De soi au monde, de soi aux autres consciences;

                                                                                    De soi aux générations futures;

                                                                                    Et de soi à soi – soi comme corps sensible et conscience incarnée se heurtant au non soi qui les définit.

    Si dès lors la bioéthique à un sens, sans doute est-ce de protéger cette bipolarité : tant la réalité corporéelle que la réalité subjective.

                                        Aporie bioéthique ?

      Au regard des différents arguments et des comparatifs argumentaires, face à la relative biodégradabilité des lois dites bioéthiques, devant le peu de poids des comités du même nom (dont les avis sont indicatifs) et eu égard à la relativité des valeurs et principes, de la multiplicité des situations également, une question se pose :  la bioéthique ne serait-elle qu’une chimère?

      Peut-être, mais alors, une chimère nécessaire qui devrait prendre corps en une construction normative et s’asseoir sur la conscience de la fragilité et de la vulnérabilité :

                                                                                   -Fragilité de l’humanité qu’un rien fait plonger dans l’inhumanité ou dans le mécanisme totalitaire ; vulnérabilité des objets soumis aux techniques et aux pouvoirs de l’homme (embryons, fœtus, espèce).

                                                                                   -Fragilité des équilibres du vivant et de la nature ; vulnérabilité des animaux objectivés.

                                                                                   -Fragilité des constructions identitaires et personnelles; et vulnérabilité des réseaux symboliques. 

     Une construction donc, qui se distinguerait de l’éthique par son inscription juridique. Et cela quand le droit, cet artefact, se situe à l’intersection (ou naît de l’articulation ?) de l’éthique et du politique – de l’éthique et du socio-économico-politique (la Praxis). Quand aussi le droit, par la désignation de la norme et sa réalité contraignante, assure et rassure l’individu. Quand enfin et de plus en plus souvent, il pose l’espèce en référent : pour le meilleur d’un monde cohésif facteur de valeur et garant d’un hors-champ (hors emprises) ; et pour le pire d’une réduction biologique/eugénique de l’humanité (cf. Ph. Descamps). 

 

      L’éthique (ethos - ou le fond référentiel/moral d’un groupe humain considéré)  recouvre une certaine puissance normative : jaugeant ou instituant des normes. Elle a en cela partie liée avec des jugements de valeur : menant une réflexion sur les référents et sur leurs conflits – pour ensuite ébaucher un projet (humanité) à partir de ses présupposés ou options. Sa scène originelle est celle du champ Idéel/Idéal. Son rôle celui d’un schème paradigmatique qu’un sentiment d’appartenance et qu’un vécu de reliance au collectif contribuent à intérioriser au regard d’une raison et d’une conscience qui l’une et l’autre l’assument.

      Aujourd’hui pourtant, sous son habit bioéthique tout neuf,  elle se laisse infléchir par un pragmatisme certain : dès lors qu’elle suit les savoirs et les savoir-faire proposés (imposés ?) par la science. Elle se trouve de plus en plus souvent confrontée au fait avéré (qu’il lui faudrait réguler ou justifier) et aux exceptions expérimentales. Par suite, elle fait avec, tentant le plus souvent d’acclimater la nouveauté.

      Pourtant, l’impératif technicien lui est étranger: car elle entend précisément limiter l’action au regard d’un au-delà qui la (les) dépasse – une valeur qui peut être l’autre en son altérité et/ou sa liberté, mais également le juste, le digne ou le futur.

      En clair, l’éthique est une conceptualisation (à propos référentiel ou normatif) de l’homme, de la vie (bonne), de l’existence (libre) et du sens (humain). Une mise en forme et en place des limites et des points d’arrêt à  imposer à l’action au regard d’autrui (dont la définition peut varier), de la liberté  (propre et tierce, présente et future), de la dignité (en sa polysémie), de l’espèce et du futur – à préserver comme futur libre et réel (différent d’une programmation ou d’un déroulement processuel du présent).

      Comment alors fonder une morale non théologique, non Transcendante, non violente (en ses réquisitions et préceptes) et non rigide (non Essentialiste) qui ne soit cependant ni fluctuante ni essentiellement Relativiste ?

      Lévinas en référait à la réalité d’autrui : de son visage qui parle, réquisitionne ou oblige son vis-à-vis. Sartre s’engagea de même dans la voie de l’appel : la main qui se tend et me parle – parle d’un autre moi, autre Je (autre et semblable). Jonas pour sa part se fondait sur le ' Principe Responsabilité '  (au nom de l’espèce, des générations futures  et des futurs individus). Pour nous, la question se lie fondamentalement à celle des ancrages – en ce compris à l’autre ou à autrui. Elle tient à la place d’un individu semblable et différent, capable ou incapable, autonome en ses puissances ou vulnérable en ses dépendances. L’autre donc, fragile en ses premiers matins comme en ses deniers instants, conscient ou pas (ou plus) et présent ou futur – en gestation, projet ou projection.

      Le point fondamental tient alors aux attitudes et soucis  - au regard de la dignité d’autrui ou plus justement des conditions dignes de son humanité.

                - Où l’espèce pourra constituer l’universel du spécimen humain : c’est-à-dire un fonds de possibles (potentiels) communs.

               - A revers, l’individu se pose tel le singulier essentiel de l’espèce : une déclinaison unique de possibilités réelles.

      Ou encore, l’espèce est un  nous exprimé par des singularités conscientes de leurs appartenances (spécielles) et fortes de leur soutenance identitaire – une soutenance résumée, portée et extériorisée en Je (vers l’autre, pour lui ou contre lui).

      En tel contexte, la difficulté consiste à soutenir une transcendance immanente : à poser un horizon référentiel restant flexible (aux données circonstancielles, situationnelles et singulières du vivant et de l’existence).

      En fait, la dimension  qu’il s’agit de préserver  ne peut s’identifier ni au Sacré (Absolu en son imposition extérieure et immuable) ni à la perfection. Elle relève de ce qui fait, pour l’homme (pour nous ici présents), valeur, sens ou humanité. Il s’agit alors d’une référence ou d’un horizon, d’un but ou d’une valeur, dont la transgression factuelle doit être interrogée et posée en sa dimension proprement transgressive : selon une tension éthique et psychologique. Transgression rapportée à la préservation d’une valeur ou d’une entité supérieure à celles contredites. Transgression qui fait alors retour sur la préservation de l’homme et de son humanité.

      Reste alors à arrimer nos manipulations et nos réifications, nos utilitarismes, dans l’exception - cette sphère réflexive permettant de souligner à chaque fois que la voie empruntée recouvre un moindre mal et / ou une étape transitoire. Où l’on traite, non pas d’une exception quantitative, fondamentalement inégalitaire, mais d’une disposition conceptuelle abordant chaque individu tel un être unique et chaque option tel un choix circonstanciel ou relatif (confronté à ses limites et à ses dommages collatéraux) – dans l’assomption d’une tension éthique qui ne peut être évacuée et doit s’imposer en problème (en attente de résolution autre). Semblable abord méthodologique et conceptuel permet de rappeler les paradoxes ou contradictions patents en toute intervention (d’appropriation ou de dé-symbolisation) dès lors qu’on confronte cette intervention  à la condition humaine, au libre arbitre et aux générations futures. Permet finalement d’éviter l’accoutumance conduisant nécessairement à la pente glissante – notion d’accoutumance  soutenant l’argumentation d’Habermas en son opposition aux pratiques eugéniques diverses : «La désensibilisation de notre regard sur la nature humaine, qui irait de pair avec l’accoutumance  [à de telles pratiques] (…)  ouvrirait, à n’en pas douter, la voie à un eugénisme libéral»[9]

 

      Quid donc de cette bioéthique ? Supposée jauger en valeur, au regard de références communes et à l’horizon d’un projet partagé ? Se dispersant en tendances, se répandant en avis ou se diluant dans le relativisme? Et se déclinant ou fluctuant au regard du possible s’actualisant/se réactualisant - soumise, donc, à la technique.

      Au fond, pour l’heure, elle n’existe pas, pas vraiment : car elle nie cela même qui devrait la fonder et qui tient à une certaine ontologie – celle d’une humanité-communauté.  Elle apparaît comme une construction propre aux experts qui se sont infiltrés dans les brèches et aux acteurs ayant partie liée au techno-scientifique: des acteurs fascinés et inquiétés par leurs propres pouvoirs et cependant jaloux de ceux-ci ;  refusant trop souvent que d’autres en demandent compte (les renvoyant à une ignorance apeurée, un conservatisme frileux ou un dogmatisme aveugle). Une construction à ce point consensuelle, à ce point pauvre en substance, à ce point peu prescriptive, qu’elle en est pour part chimérique, pour part virtuelle. Sa raison d’être tient conséquemment trop souvent du miroir aux alouettes (pour la pensée, l’éthique et le droit qui tenteraient de s’y adapter  et s’y perdraient quelquefois dans l’urgence de la réaction épidermique -  en moratoire sans signification ou en consensus tiède).

      Pourtant, quand la biologie relève du fait, que la technique tient du savoir-faire, l’éthique s’inscrit dans le devoir-être : en vue d’un idéal ou d’un projet sociétal sinon anthropique comprenant une hiérarchie des valeurs – sur une toute autre scène donc. Ainsi et même si la transformation subséquente du monde peut être conséquente pour d’autres, l’acte  technique ne concerne[10] que son acteur et sa réalité mondaine (le monde tangible qu’il perçoit). Loin de ce corps à corps, l’agir éthique prend en compte, comme horizon incontournable et souci constant, un au-delà du sujet (autrui ou un autre temps –si ce n’est un fond sociétal ou un canevas symbolique). En ce sens singulier, l’éthique exige une distanciation eu égard au donné - un décentrage systématique. Mais aussi une conscience d’appartenance (à une communauté spécielle) et une projection hors de soi – vers l’autre, vers l’avenir. Au propre, est éthique une relation avec autrui appréhendé dans sa gratuité, considéré selon son existence (d’être-au-monde) et pris en compte en sa similitude de différance - en son statut d’autre moi/autre je.

       Reste alors à dégager les conditions de possibilité de la conscience sensible, de l’identité individuelle et du monde habitable. Car il est des voies d’appropriation inacceptable : qui soumettent, démettent ou excluent. Car il est des comportements intolérables : qui ségrégent, hiérarchisent et dévaluent ou stigmatisent les individus. Car aussi il est des souffrances, des aliénations, des mépris. Car enfin il n’est pas humain de confronter froidement l’individu souffrant aux raisons éthico-symboliques s’opposant à sa guérison. En la matière, la question du monde et de l’humanité souhaités se pose avec insistance.  Et celle d’une certaine aporie bioéthique qui répond à celle de la dualité humaine. Qui naît, cette aporie, de la réversibilité de certains arguments et de l’irréversibilité de certaines actions. S’explique de l’ancrage situationnel et affectif des positions – et de la nature même des objets concernés, où se jouent la vie, la liberté et la mort. Aporie d’un bien inconnaissable et d’un futur  insondable. Mais aussi, d’une soutenance relationnelle déployée en un monde partagé. Où les niveaux se croisent pour quelquefois s’opposer lors même que les intérêts  s’affrontent (réels/potentiels, pratiques/symboliques, actuels/futurs)…

 

                                          Conclusion – (bio)éthique ?

      Les problèmes posés par l’opérativité sont multiples et complexes, ils touchent à l’intimité ultime des individus et tout autant à l’avenir de l’espèce et de la planète. Mais, dans la foulée des Comités d’experts, groupes de pression et autres associations de patients, l’éthique peu à peu se fait discrète face à une bioéthique  située au regard de son but supposé : préservation du vivant et de la diversité, bien-être de l’individu, épanouissement de la personne, pouvoir d’autodéfinition et d’action du sujet, ou encore ouverture des possibles. Cependant, telle perspective peut entendre, soit une an-éthicité (offrir tous les possibles, combler tous les désirs, réaliser le faisable), soit une éthicité sociale/démocratique minimale (dans le souci d’accès égal aux offres, le respect du choix individuel et l’élaboration de consensus), soit encore une éthicité anthropohumaniste : où la préservation des spécificités humaines s’impose en garde-fou. De telles spécificités (sensibilité, affectivité/émotivité, libre-arbitre, conscience autodéfinitoire et positionnelle) requièrent la préservation de leurs conditions de possibilité et c’est à ce titre que la bioéthique rencontre différentes limites :

                                 - De son jugement, déjà ;

                                 - Mais aussi des références et savoirs ;

                                 - De l’individu ou de la personne ; 

                                 - Et finalement de l’identité et des doubles-nœuds multiples qui font l’humain.

      Dès lors, qu’elle soit éthique ou bioéthique, la question normative est essentielle car l’individu est menacé  par son être et dans son être - du fait des techniques qui pèsent en chaque réalité et chaque concept  pour se coupler avec les incertitudes essentielles et les failles consubstantielles (d’un génome manipulable, d’une néoténie, d’une faculté intégrative).

      Ainsi, soutenant continûment une articulation du Soi et du non-Soi,  de l’ego et de l’alter ego, du moi et du je (pour exister dans le mouvement d’articulation et de soutenance, pour exister aux limites, dans une position quasi tangentielle -dans l’entre-deux), l’homme est hypothéqué en son humanitude par la démesure de son pouvoir et par la force de son vouloir.  Hypothéqué par le jeu de sa personnalité, la pluralité de ses déterminants et l’indétermination autant que l’imperfection de ses déterminismes (quand cependant ses possibles techniques se font de plus en plus déterminants).  A cette aune, l’humain se confronte à la rencontre rétroactive de l’individu et de ses outils, du sujet et de ses conceptualisations ou encore du soi et de ses voies d’expression : un soi disposé à se résumer en centre décisionnel et force efficiente. 

       Au bout du compte et pour un homme sortant de l’animalité dans le champ où s’entrechoquent libre arbitre et déterminisme, espèce et représentant d’espèce, références identitaires et décentrages[11], il importe de préserver l’individu d’une existenciation illusoire et d’une personnalisation évanescente. Et d’appréhender la fragilité de l’équilibre propre à préserver la liberté – et à la préserver tout autant  contre la compacité ou la forclusion  que contre la dispersion. Il s’agira dès lors de pondérer la totalité individuelle de ses dimensions temporelles : où l’existence crée, mesure, occupe, investit et signifie une durée ; où l’identité est continuité d’unicité en devenir ; où l’humanité est construction d’Histoire et invention de sens.  Ce remaniement oblige à se soutenir eu égard à des doubles nœuds référentiels : anthropique et autobiographique, culturel et familial, spirituel et charnel, symbolique et opératoire, autoréférentiel et relationnel. Mais aussi, individuel, interindividuel et transgénérationnel. Ou encore, en éthique, entre  principe et casuistique, idéal et exception, collectif et individuel.

      Par ailleurs, s’agissant de cette construction d’histoire, cette invention du sens, cela implique, non pas un conservatisme rigide, mais une édification de nouveaux liens, de nouvelles liances…. Où tout est à inventer autour d’une humanité-communauté riche de son unité et de ses différences…

 

                       J. Wautier

 

Attention! 

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 Titres :

Licence en philosophie morale ;

DEA en Histoire, Ethique et Philosophie des Sciences et Techniques Biomédicales ;

Doctorat en Philosophie, orientation Bioéthique (ULB, 2005).

  

Publications :

       Article :           

                           -  L'euthanasie, entre éthique et politique, in L'année Sociale 2000, Institut de Sociologie, ULB, 2000, p.43-55.

                            - Soi, corps de soi, corps de l'autre -la greffe d'organe, in Ethica Clinica, Mars-Avril 2011

 

      Recherche : 

                             L'ouverture du débat sur l'euthanasie au Sénat / Cadre éthique, médical, juridique et politique, Courrier Hebdomadaire du CRISP (Centre de Recherche et d'Information Socio-politiques) , 2000, dble n° 1672-1673.

 

     Essais :

                      - Ce petit rien, ce petit lien ? / L’identité humaine face à l’opérativité techno-

                               scientifique, Le Manuscrit, 2007.

                      - Du désir d’enfant au désir de soi / L’homme à l’épreuve de la génétique et des

                               technosciences, Le Manuscrit, 2007.

                      - L’éthique sur la paillasse…   ou l’aporie bioéthique, Edilivre, 2010.

                      - L’humanité à l’épreuve de la génétique et des technosciences  -

                           Aporétique humanité ?, Editions Universitaires Européennes, 2011

 

                         L'humanité à l'épreuve de la génétique et des technosciences   - Aporétique humanité?, développe une thèse doctorale de philosophie bioéthique précédemment soutenue  (ULB).  Publié aux Editions Universitaires Européennes, l'ouvrage compte quelques 650 pages -dont 1 consultation (graphiques et commentaires, plus de 350 participants)  portant sur l'accueil et l'évaluation des techniques interrogées (PMA, diagnostics génétiques et DPI, IVG/I.Th.G, usages divers de l'embryon, clonage thérapeutique et clonage reproductif, thérapie génique somatique ou germinale, OGM, eugénisme, neurosciences et possibles y associés, greffes et xénogreffes, manipulation ou modification des champs et cercles identitaires ou référentiels, pratiques mélioratives, transhumanisme, etc.). Le livre qui peut être commandé auprès de tout bon libraire est également accessible via de nombreuses librairies en ligne (disponible dans toute l’Europe mais également au Canada ou aux Etats-Unis d'Amérique) : thebookedition.com, soundmedia.ch, amazon.fr, amazon.UK, morebooks....

 4° de couverture:

"Descartes nous le dit jadis, ego cogito ergo sum  -je pense donc je suis. Ou encore, ego cogito ego sum  -je pense je suis.  Mais que suis-je ? Une chose pensante…  Aujourd’hui, nous ne retenons que l’un ou l’autre terme de cette entité peu ou prou  polarisée : soit la ‘chose’ en sa choséité, soit l’immatérialité de la subjectivité. Nous réintroduisons en cela l’idée d’une dualité vraie entre corps (utilitaire) et pensée ou esprit (valorisé en sa seule dimension volitive). Et s’il apparaît que les ‘technosciences’ rencontrent l’humanitude comme leur condition de possibilité, elles hypothèquent nonobstant ce fonds de spécificités et d’aptitudes par leur efficience. En effet, par la transformation de l’objet préhendé, des vivants manipulés, des concepts élaborés et des nœuds définitoires ou identitaires, les techniques risquent de réduire le devenir à un processus. Et de défaire les modes biologiques, personnels et conceptuels de différenciation. Et encore, de détisser les réseaux symboliques avant de faire exploser l’individualité  –pour le moins en son investissement personnel, affectif, existentiel et conceptuel…" 

Thèse centrale : 

Les interventions et recherches à dynamique opératoire  usuellement regroupées sous l’appellation ‘technosciences’ rencontrent l’humanitude comme la condition nécessaire de leur possibilité  -mais  cette rencontre de l’efficience et du pointillé matriciel (pointillé d’un individu néotène, d’un sujet libre, d’un génome manipulable) promet le déploiement (en réalisations multiples) de la potentialité aporétique attachée à une enclave organique perméable  et à une maintenance identitaire  inscrite dans le devenir. Potentialité associée tant à  une intériorité  se dépliant en extériorité (via une interface dermique -sensorielle) qu’à un monisme* substantiel s’exprimant dans la dualité  –c.-à-d. par corps ou comme corps et par

                            L’éthique sur la paillasse  ou l’aporie bioéthique, est conçu tel un "livre-outil" et recouvre un essai réalisé à  la croisée des chemins, dans un champ pluriel et selon une approche interdisciplinaire. Il s'agit de relever les arguments et positions de nombreux spécialistes francophones et anglo-saxons attachés aux entrelacs des différents domaines concernés : une vingtaine de pratiques inscrites dans le champ technoscientifique ou biomédical, quelques 250 auteurs et près de 500 extraits ou citations sont ici comparés, analysés et commentés. Par ailleurs, la dernière section questionne le corps  et l'espèce (reconstruction, transfiguration, métamorphose ou bifurcation) pour articuler ensuite les techniques opératoires y rapportées à une théorie de l'homme en son humanité - avant de les associer aux ruptures multiples et aux poussées violentes de nos sociétés. A cette aune, une déconstruction constructive  de la bioéthique s'est peu à peu imposée. 

  La paillasse donc…

                        …...Où la vie se fait, se jauge et se défait : refaite, parfaite si ce n'est contrefaite, en pièces détachées ou rapportées.

                       …...Où les techniques s'enchaînent et parfois se déchaînent.

                       …...Où la question partout présente est celle du sens - de l'homme en son existence, de l'humain en sa signifiance.

                          ...Où la bioéthique se perd quelquefois en arguments réversibles ou contradictoires, calculs utilitaristes, consensus fades et moratoires mous.

 

                                   Ce petit rien, ce petit lien? Cet essai met en relation une analyse de la condition humaine et le développement des technosciences:

"Imprédictibles en leur devenir, tentaculaires et impétueuses en leurs élans, les nouvelles technologies fascinent ou affolent raison et imagination ; les conviant à d’autres élans, d’autres contractions.

Au propre, les possibilités y associées sous-tendent un périple au cœur de la condition humaine : où l’homme se laisse peu à peu emporter par le courant bouillonnant qu’il produit – le cœur affolé par les écueils, l’esprit captivé par les promesses…

Il s’agit là d’un parcours sinueux recelant autant de gouffres abyssaux (où pourrait s’engloutir l’humanité des hommes) que d’îlots florissants (où pourraient s’épanouir les consciences, se régénérer les chairs et se décupler les jouissances…).

D’une aventure fabuleuse au fil d’une histoire qui se construit en une odyssée dépourvue d’assignation : entre une origine qui se livre et un futur qui échappe – ou s’échappera en embranchements multiples…

Equipée collective donc, où l’homme doit maintenir le cap entre deux rives :

Celle de la déliance effrénée où se désagrègerait l’unité, où éclaterait le sujet, où se déliteraient les liens et s’altèreraient les émotions – entraînant tous et chacun en une  errance sans arraisonnement ou en une barbarie sans nom. Et celle du conservatisme frileux où se figerait l’aventure anthropique, où se perdrait la pulsion qui fit se lever, et marcher, les premiers hominidés.

 En ces perspectives, en leurs opérativités, les biotechnologies nous emmènent en un voyage incertain : entre procréation et re-production, thérapie et transfiguration – ou encore, entre affirmations (du «Je» de puissance volitive*)  et éclatement (du «soi» d’intimité référentielle).

Voyage au long cours, sans chenal ni port d’attache : oscillant, nous faisant vaciller, entre choix multiples, risques potentiels, gains concrets et voies inédites. Mais aussi, entre  bifurcations essentielles et pertes ontologiques - satisfactions matérielles et empêchements existentiels.

Où conséquemment, aujourd’hui comme hier, l’opérativité en sus, le chemin des hommes se fraie entre soucis et exigences, pulsions et projets, propension centripète et tentation centrifuge…"

[1] Eu égard à l’espèce et à l’humanité/communauté, par rapport au propre et à l’intime et au regard de l’autre.

[2] Est aporétique ce qui est propre à une situation où convergent les antagonismes, antithèses ou paradoxes : où le substrat est soit l’objet soit l’agent d’un équilibre précaire nécessitant un réaménagement incessant. Où tout écart signifiant  par rapport aux paramètres d’équilibres, comme aussi toute modification du travail de maintenance,  mènent à l’explosion du substrat (à tous les niveaux ou en tout domaine : que l’on traite de la société hébergeant ces maintenances diverses et relationnelles ou ces équilibres particuliers, que l’on considère le corps les concentrant et s’en constituant, que l’on envisage le métabolisme les opérant, la psyché les englobant ou encore la pensée les actant).

[3] Biologiste/ cancérologue // Bioethics : Bridge to the Future, Prentice Hall, Englewood Cliffs

[4] Kennedy Institute of Ethics

[5] Le lecteur intéressé par le questionnement des technosciences, de leurs développements et effets pluriels sur l’homme et sur la condition humaine, trouvera un ensemble de discussions argumentées dans notre livre L’éthique sur la paillasse…   …ou l’aporie bioéthique, Edilivre, 2010

[6] Ses objets : l’homme, la société, l’humanité réelle et paradigmatique – et bien évidemment les savoirs, savoir-faire et fonds situationnels ou référentiels…

[7] ‘Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par la volonté en loi universelle de la nature’.

[8] En référence à notre premier essai : Ce petit rien, ce petit lien/ L’identité humaine face à l’opérativité techno-scientifique, Le Manuscrit, 2007

[9] L’avenir de la nature humaine, p. 108, Paris, Gallimard, 2002

[10] Dans le rapport corporel et matériel, dans la préhension effectuée, dans le but recherché.

[11]Un animal exprimant sa spécificité à l’extérieur de l’enceinte biologique mais à partir d’une densité individuelle : dans l’investissement du corps propre, dans le vécu émotionnel, dans le tissage de liens affectifs, dans la soutenance de projets à long terme, dans l’élaboration sociale et culturelle, les savoirs et les techniques…

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