Romain Blachier a lu "Soumission" (Flammarion) de Michel Houellebecq. Un livre qui selon lui se connecte autant à Eric Zemmour qu’à René Guénon, et qui n’évite pas les habituelles obsessions sexuelles de l’auteur. Alors est-ce que le dernier Houellebecq vaut le « coût » ? Est-il scandaleux ? Romain Blachier confie à Viabooks son avis de lecteur « éclairé ».
Le thème central de Soumission est l’arrivée au pouvoir par les
urnes en 2022 d’un parti islamiste en France à la suite d’un second tour avec
le Front National. Un parti musulman, Fraternité
islamique, soutenu par l’ensemble des forces républicaines traditionnelles,
dont le but secret est de détruire la France pour la dissoudre dans l’Europe devient alors le parti majoritaire.
Une France « soumise » au pouvoir musulman ? La polygamie est
rétablie. Les aides sociales baissent de 85%. L’enseignement devient
confessionnel. La gauche ne trouve rien à redire. La droite non plus. François Bayrou en profite pour se
faire nommer Premier Ministre. Le tout après une période de campagnes émaillées
de violences urbaines qui sont passées sous silence par les médias français à
l’exception des sites de partage vidéo russes. Dans la première partie du
roman Soumission , on trouve un ouvrage écrit à quatre mains pendant
une nuit d’ivresse par Eric Zemmour et
Renaud Camus, dans le cossu château de ce dernier. Ne manquent même pas les
clichés sur les militants de la mouvance identitaire radicale (dont l’auteur a
d’ailleurs une vision idéologique assez floue que ne reconnaîtraient pas les
intéressés) en infiltrés résistants. Et l’Islam ramené à une vision certes pas
extrémiste, mais en tous cas fortement réactionnaire.
Houellebecq à force d’être populaire
serait-il devenu banal, dans l’air du temps? Le style en plus, Soumission ne
serait-il pas finalement que le reflet de l’habituel contenu des bas de forums « complotistes »
et/ou nationalistes? Y voir une vague photocopie de ce qu’on peut lire à
longueur de colonnes dans Causeur, le
Figaro et autres manifestations de Zemmourismes médiatiques vues et revues ?
Et le secours semble ne pas pouvoir
venir du narrateur. Celui-ci ne change pas de la plupart des précédents héros
houellebecquiens : homme entre deux âges, en proie aux affres du trop peu
sexuel, revenu de tout sans être allé nulle part, vivant dans un monde
confortable, mais morne. Soumis en quelque sorte aux temps « modernes ».
Avec pour engagement réel, celui qu’il consacre à la quête de sa jouissance
sexuelle. Ainsi que celui pour son travail, qui fera découvrir à beaucoup de
lecteurs Huysmans, l’écrivain du XIXème
siècle célèbre pour sa conversion après quelques perditions décadentes, dont le
narrateur n’arrive pas pourtant à partager la mystique chrétienne.
C’est d’ailleurs dans le domaine littéraire, alors qu’on se dit que le contenu du roman se dirige vers une version française du délirant « la mosquée Notre-Dame-de-Paris année 2048″ que commence une première dissonance avec le convenu : alors qu’il est de bon ton (surtout quand on n’a pas été obligé de s’enfiler sa prose tristounette) d’encenser Léon Bloy pour jouer au rebelle conservateur, Houellebecq ramène sans doute avec un excès de dureté l’auteur de La Résurrection de Villiers de L’Isle-Adam à un mauvais polémiste ne cherchant la controverse que pour vendre. Une sorte d’Eric Brunet du début du XXe siècle qui n’aurait pas réussi à se placer financièrement et médiatiquement.
La soumission du narrateur, là est l’une des clefs du roman, une de celles aussi
du titre, celles qui expliquent en quelque sorte un parcours qui, surprenant au
premier abord. se révèle linéaire finalement, passant d’une bienveillance pour
un universitaire réac d’extrême-droite à une conversion à un islam tout aussi
réactionnaire..L’auteur ne cache d’ailleurs pas que
loin de se combattre, ces deux courants se nourrissent l’un et l’autre et ont
énormément en commun, notamment sur le
rôle des femmes qu’il convient selon le narrateur de réserver à la cuisine
(si elles ont quarante ans) et au lit (qu’elles aient plus ou moins de 18 ans)
ou sur les mœurs, la vision de la famille et l’économie en général.
C’est dans l’admission de ces convergences où son récit diffère aussi des logorrhées de la pensée dominante réactionnaire qui rencontre tant de succès dans les salons de nos jours. Passer de l’imaginaire Camuso-Zemmourien implicite aux références explicites à la vie et à la pensée du mystique converti à l’Islam René Guénon d’une part, d’autre part de l’hystérie identitaire au rêve d’un nouvel empire sous les traits d’Eurabia (grand thème de certains complotistes) vu sous un angle positif, voilà qui pourrait paraître un surprenant tour de force de Houellebecq sans ce prisme.
Un livre parfois schématique, alternant
de fortes imprécisions avec une culture pointus, le déjà vu avec le plus
original, la posture réac avec la réflexion intéressante sur la difficulté catholique à susciter la
transcendance au XXIe siècle (malgré des passages saisissants qui m’ont
donné grandement envie de lire davantage Péguy).
Un ouvrage taillé pour faire polémique, dans lequel l’auteur campe sur ses postures vues et vues (ce qui lui donne le mérite de la cohérence) et un pénible sexisme obsessionnel de salon, presque conformiste à force de vouloir ne pas l’être, agréable à lire avec de jolies pointes d’humour, mais qui n’est certainement ni le livre de l’année, ni le brûlot que certains croient.
>>Michel Houellebecq, Soumission, Flammarion
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